Pour Danièle Langloys, présidente de Autisme France, ces critiques sont emblématiques d’une méconnaissance de ce trouble.
La jeune militante écologiste Greta Thunberg est la cible d’attaques régulières. Au-delà de ses positions politiques, de son physique, de son sexe, ou de son jeune âge, son handicap aussi est ciblé. Greta Thunberg est atteinte du syndrome d’Asperger, une forme légère de trouble autistique qui rend, notamment, les interactions sociales plus difficiles.
Certains de ses détracteurs la qualifient ainsi « d’enfant illuminée » qui serait « au bord de l’effondrement psychiatrique », à l’instar du médecin urologue et essayiste Laurent Alexandre. D’autres l’accusent d’être froide et distante ou même d’être incapable d’émotions, comme le journal Causeur qui la compare à un « automate ».
Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, s’indigne de ces critiques qui découlent, d’après elle, d’un retard tragique sur la « visibilité du handicap » en France.
Ce déferlement de critiques en rapport avec son syndrome d’Asperger vous surprend-il ?
Danièle Langloys : Non, ces critiques ne sont pas nouvelles. On accuse les autistes de ne pas avoir d’émotions depuis longtemps. Il y a quelques années, le psychanalyste Charles Melman les avait même comparés à des « golems », personnages faits d’argile et dépourvus de libre arbitre. Plus récemment, le philosophe Michel Onfray a traité Greta Thunberg de « cyborg ». Il est ignoble de nier l’humanité des personnes autistes. Bien sûr, elles ne sont pas extrêmement démonstratives, mais une personne qui n’exprime pas ses émotions de manière spectaculaire peut les ressentir de manière violente !
L’autisme recouvre par ailleurs un spectre très large…
Bien sûr, et Greta n’est même pas dans le champ du handicap ! Elle ne souffre pas d’une maladie mentale ou psychiatrique, c’est une adolescente comme une autre avec une particularité de fonctionnement. Elle n’est pas du tout choquante ou même troublante dans son comportement social, elle est un peu rigide, mais elle est très haute dans le spectre autistique [c’est-à-dire qu’elle n’a pas de troubles du développement intellectuel].
Il y a beaucoup de différences entre les personnes dans le haut du spectre de l’autisme et celles, à l’autre bout, qui ont des troubles associés parfois très graves. Ils ont beaucoup de particularités troublantes. Certains agitent beaucoup leurs mains, d’autres font du bruit avec leurs dents ou ne mangent que lorsque tous les aliments ont la même couleur.
Les gens ne se rendent pas compte de ce qu’est réellement l’autisme. Ils assimilent cela à Josef Schovanec [écrivain et philosophe autiste Asperger]. Fréquemment, on m’arrête dans la rue pour me dire : « Vous avez bien de la chance, votre enfant est un génie. » Mais c’est complètement faux ! Mon fils – qui est un adulte autiste – a des troubles du développement intellectuel. En réalité, 98 % des personnes autistes ne sont pas surdouées.
Comment expliquez-vous ces amalgames ?
Les stéréotypes sont entretenus par la manière dont le handicap est pris en charge en France. L’autisme fait peur : on ne sait pas accompagner les personnes autistes, on ne sait pas comprendre leurs problèmes. La culture, même si l’intégration s’améliore, c’est de mettre les personnes handicapées dans des établissements pas toujours adaptés, dans des départements de campagne, de les cacher. Or les personnes autistes ont besoin d’un environnement organisé et planifié. Comme elles n’ont pas d’outils de communication, si elles se sentent mal, elles peuvent se taper la tête contre le mur, hurler, casser des objets…
J’ai amené mon fils au Québec, il y a trois ans : personne ne le regardait, alors qu’en France, il ne passe pas inaperçu. Là-bas, le handicap est banalisé. Quand on a fait enregistrer nos bagages, on m’a naturellement proposé de couper la queue pour que mon fils soit plus à l’aise et cela n’a choqué personne. Dans les autres pays, on trouve normal de se déplacer avec une personne qui a besoin d’assistance depuis belle lurette. En France, on a beaucoup de retard sur la visibilité du handicap et particulièrement celle de l’autisme.
Quelles sont les raisons de ce retard en France ?
C’est même pas qu’on est retard, c’est qu’on ne veut rien faire. Il n’y a pas de volonté politique, et la situation se dégrade : le gouvernement fait pire que ses prédécesseurs. Certes, il est extrêmement compliqué de savoir comment gérer l’autisme parce qu’il est multiforme, mais, encore une fois, dans d’autres pays, la volonté politique permet de faire avancer les choses.
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