Plusieurs hôpitaux américains qui poursuivaient en justice les patients incapables de régler de faramineuses factures ont accepté d’effacer leurs dettes. Mais la pratique persiste, fragilisant des milliers de familles.
LETTRE DE WASHINGTON
Carrie Barrett va pouvoir respirer. Cette habitante du Tennessee, soignée il y a douze ans pour insuffisance cardiaque, vient d’être libérée d’un poids. Après des années de harcèlement, l’hôpital méthodiste Le Bonheur, de Memphis, qui l’avait accueillie deux jours pour des examens en 2007, vient de mettre fin aux poursuites qu’il avait déclenchées pour une facture impayée de 12 000 dollars (11 000 euros).
Au fil des procédures, la somme avait même atteint 33 000 dollars, le double des revenus annuels de la sexagénaire, selon l’enquête du groupe d’investigations ProPublica qui a dénoncé ces pratiques. L’hôpital a annoncé, le 25 septembre, qu’il effaçait les factures de quelque 6 500 patients, parmi lesquels figuraient… certains de ses employés.
Chaque année des centaines de milliers d’Américains reçoivent ainsi des courriers ou des coups de téléphones comminatoires de « collecteurs de dettes », leur enjoignant de régler une facture médicale, dont ils ne soupçonnaient pas le montant. Faute de pouvoir l’honorer, une partie d’entre eux se retrouvent devant les tribunaux.
L’opacité des coûts des soins aux Etats-Unis, la jungle des assurances-santé offrant une couverture à géométrie variable selon les établissements et les praticiens ou l’absence de toute protection sociale (pour 27,5 millions d’Américains) expliquent ce phénomène, qui met régulièrement des familles sur la paille.
« Factures surprises »
Il est souvent impossible de connaître à l’avance le montant qui sera demandé pour tel type de soin. Tout dépend du nombre de personnes qui interviendront, du matériel employé (certains hôpitaux vont jusqu’à facturer les cotons-tiges) et surtout de la concurrence alentour. Les établissements des petites villes opérant sur un marché captif peuvent ainsi pratiquer des prix élevés sans avoir à les justifier.
Aussi les « factures surprises », récemment dénoncées par le président américain Donald Trump, s’élèvent-elles régulièrement à plusieurs milliers de dollars.
La presse américaine regorge de drames familiaux, liés à ces coûts faramineux, qui surviennent en outre dans des moments de détresse physique et sociale.
Les pratiques extrêmes d’un établissement hospitalier situé au Nouveau-Mexique ont récemment attiré les critiques. Le Carlsbad Medical Center a poursuivi quelque 3 000 personnes ces quatre dernières années. Un record. Venue en urgence pour la crise d’asthme d’un de ses enfants, une mère de famille a été prise au piège de ces mauvaises manières : elle a vu grimper sa facture à 3 600 dollars avec les intérêts, racontait récemment le New York Times. Quelques mois après, elle a découvert que l’hôpital avait pu saisir 870 dollars sur son salaire. Dans la foulée, elle a dû se séparer de sa voiture car elle ne pouvait plus payer les traites.
Politiques agressives de recouvrement
Sous la pression, l’hôpital vient lui aussi d’annoncer qu’il ne poursuivrait plus ses clients aux revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Et qu’il offrirait des remises aux patients sans assurance. En 2018, la maison mère de cet établissement – elle en gère plusieurs dans le pays –, a payé 218 millions de dollars pour régler un contentieux avec le ministère de la justice qui l’accusait de surfacturer systématiquement les visites aux urgences.
A l’autre bout du pays, en Virginie, plusieurs hôpitaux ont ouvert 20 000 procédures pour recouvrement de dettes en 2017, selon une étude de l’université Johns-Hopkins. Environ un tiers des établissements de cet Etat ont adopté des politiques agressives de recouvrement de factures avec saisies sur salaires, privilèges et hypothèques sur les biens.
La famille Waldron, citée début septembre par le site d’informations spécialisées sur la santé Kayser Health News, en a fait les frais. Déterminé à récupérer les 164 000 dollars facturés pour une opération des intestins en urgence en 2017, l’hôpital de l’Université de Virginie avait mis une hypothèque sur leur maison, qui depuis a été saisie. La famille s’est déclarée en faillite. Il a fallu six ans à une autre patiente pour rembourser les 44 000 dollars réclamés après une opération du cerveau et lever l’hypothèque sur sa maison.
Au niveau national une étude portant sur les femmes traitées pour un cancer du sein a montré qu’un tiers de celles ayant une couverture maladie ont dû faire face à des collecteurs de dettes, une proportion qui atteint 77 % pour les patientes n’ayant pas d’assurance-santé ; 16 % des adultes endettés le doivent d’ailleurs à au moins une facture médicale et un quart des Américains affirment avoir des difficultés pour payer les soins.
Conditions arbitraires
Face à ces excès et en l’absence de toute réglementation fédérale, certains hôpitaux se fixent eux-mêmes des règles. Ici, les poursuites ne seront engagées que pour une facture de plus de 10 000 dollars, là, un chirurgien consentira une ristourne de plusieurs milliers de dollars, ailleurs les chômeurs seront épargnés…
Des conditions arbitraires auxquelles une réforme du système de santé, une nouvelle fois au cœur de la campagne présidentielle de 2020, devrait s’attaquer.
Fidèle à ses propositions radicales, le candidat à la primaire démocrate Bernie Sanders a promis d’effacer les dettes médicales des Américains, estimées à 81 milliards de dollars.
En attendant, le projet de loi bipartisan, demandé en mai par Donald Trump au Congrès, pour éradiquer les « factures surprises », se heurte, lui, au lobbying actif des médecins et des hôpitaux, inquiets de voir de juteux revenus disparaître.
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