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Lors d'une réunion récente de la commission médicale des hôpitaux de Paris, sont apparues des tensions inédites ainsi que l'annonce de départs de nombreux médecins. La crise est profonde.
C’était, il y a dix jours, la grande réunion de la Commission médicale d’établissement (CME) centrale des hôpitaux de Paris, qui regroupe tous les médecins hospitaliers de l’AP-HP, sous la direction de Martin Hirsch. L’occasion, comme toujours, de sentir l’air du temps, à un moment où la crise des hôpitaux et des urgences dure, sans réponse efficace des pouvoirs publics.
Ce fut d’une extrême tension. «Jamais je n’ai ressenti une telle atmosphère, nous a raconté un des participants. De tous côtés, cela partait, c’était désespérant.» Dialogue de sourds. Exemple de ces propos échangés, comme des cris jetés : le doyen Bruno Riou, personnalité exemplaire du milieu, a fait une longue sortie pour dénoncer le plan de refondation des urgences présenté par la ministre, «totalement à côté de la plaque», à ses yeux. Le président de la CME de l’hôpital Cochin ensuite, d’ordinaire mesuré, a expliqué que s’il avait trouvé totalement hors de propos les prévisions les plus pessimistes, il les estimait aujourd’hui réalistes.
«Là, on assiste à des départs en groupe»
Plus symptomatique, le débat qui a eu lieu, ensuite, autour de la chirurgie orthopédique dont l’activité est en pleine chute libre à l’AP-HP. Le professeur Rémy Nizard, chef de service à l’hôpital Saint-Louis à Paris, l’a constaté avec effroi : «Aujourd’hui, l’AP-HP ne représente que 11% de la chirurgie orthopédique de l’Ile-de-France. Et je ne vois pas la suite, tant nos missions ne sont pas clairement définies.» Puis ces mots : «Martin Hirsch fait ce qu’il peut, mais il est victime de décisions qui ne sont pas prises. Ce n’est pas la direction de l’AP qui est en cause, on assiste à la déliquescence de tout un système. Les chirurgiens partent, et pas simplement parce qu’ils sont deux à trois fois plus payés dans l’établissement voisin.» Et ce chirurgien de multiplier les exemples : «Dans mon service, j’ai une cheffe de clinique en arrêt maladie. Vous n’imaginez pas la difficulté de faire une liste de garde. J’ai perdu un professeur agrégé, deux médecins plein-temps, deux autres à mi-temps. L’avenir, j’ai du mal à le voir. A l’hôpital Saint-Antoine, mon collègue, à peine nommé agrégé, est parti au bout de six mois. Et dans ce même hôpital, deux anesthésistes sont partis, simultanément.» Et de conclure : «Des départs, il y en a toujours eu, mais là, on assiste à des départs en groupe. C’est inédit.»
Comme en écho, lors cette réunion de la CME, a été rendu public le départ de la cheffe de service de chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital Tenon, la professeure Sophie Périé. Dans une lettre, elle s’en est expliqué : «Je quitte mes fonctions hospitalo-universitaires en janvier 2020 pour tenter de travailler autrement, avec un autre agrégé de l’hôpital Bichat, et une ancienne maître de conférences.» Elle s’en va dans une clinique, en cours de construction, avec 36 blocs opératoires : «Le système actuel et les décisions du pouvoir administratif ne me permettent plus de travailler pour les patients. Hélas, les décisions actuelles administratives qui nous gouvernent m’ont fait perdre jour après jour mon identité, à laquelle j’étais pourtant attachée.»
Mots terribles. Quand on discute avec elle, elle vous fait part de sa grande tristesse : «Jamais je n’aurais imaginé que j’allais quitter le service public et l’université. C’est pour moi très douloureux. Je ne veux pas jeter de l’huile sur le feu. Mais là, on arrive à bout, le système génère une scission des d’équipes, on ne sait comment faire. Quand vous évoquez le départ d’une aide soignante ou d’une infirmière de bloc, on vous répond "débrouillez-vous".» L’administration ? «Elle ne répond plus à vos mails. Cette dégradation, je ne la supporte plus, elle me met en porte à faux vis-à-vis de mes patients autour de leur sécurité. J’ai dû faire des choses qui n’étaient pas conformes à ma pratique.» Voilà, elle s’en va, «avec d’énormes regrets». Et c’est vrai que c’est un moment unique que traverse l’AP-HP, bateau amiral de l’hospitalisation. Hier lieu où tous les praticiens voulaient exercer, aujourd’hui on la quitte, à tous les niveaux, aussi bien personnel soignant que grands pontes. Pour compliquer le tout, cette perte d’attractivité a des causes multiples.
«Une crise d’identité»
Preuve en tout cas de la gravité de la situation, peu après ces débats houleux, s’est tenue en catastrophe une réunion dans le bureau du directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, avec tous les principaux responsables médicaux de l’AP-HP, mais aussi Martin Hirsch, et Aurélien Rousseau, directeur de l’Agence régionale de l’île-de-France, autour principalement des questions de la crise de la chirurgie. «Il y a un problème nouveau d’attractivité de l’AP-HP, reconnaît-on au ministère de la Santé. Avec des causes variées selon les disciplines.» Aux yeux du ministère, «c’est avant tout un problème de RH», entendez de ressources humaines. Est-ce seulement cela ? «C’est bloqué», nous dit le Dr Patrick Pelloux, président des médecins urgentistes : «Tout le monde voit ce qui se passe, mais on ressent comme une protection clanique des institutions qui sont imperméables à ce qui remonte du terrain. La réunion de la CME de l’AP-HP était emblématique de ce décalage. Des gens très raisonnables disent que l’on est dans une crise majeure et, en face, tu as une fin de non-recevoir de la part des pouvoirs publics. On va le voir encore avec le PLFSS.» Puis cette conclusion en guise d’incertitude : «C’est une crise d’identité, le service public ne sait plus ce qu’il doit faire.»
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