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mardi 5 mars 2019

Un Nobel pour la féministe Loujain al-Hathloul, le prix de la liberté

Par un collectif d’enseignantes et enseignants , de Sorbonne Université — 



Image extraite de la vidéo publiée par Loujain al-Hathloul, avant sa première arrestation, en 2014, en Arabie saoudite.
Image extraite de la vidéo publiée par Loujain al-Hathloul, avant sa première arrestation, en 2014, en Arabie saoudite. Photo Loujain al-Hathloul. AP


Détenue depuis dix mois par les autorités saoudiennes, torturée, la militante paie son expression libre, dans l’espace public et sur les réseaux sociaux, pour faire avancer les droits des femmes.

Depuis au moins un an, l’Arabie Saoudite est sous le feu des projecteurs internationaux en raison du sort réservé à plusieurs de ses ressortissantes et ressortissants. L’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en est l’illustration la plus visible : dans ce royaume, y compris dans ses ambassades, les voix alternatives et considérées comme dissidentes sont étouffées, sinon anéanties. Le Comité Nobel norvégien a, en 2019, l’occasion d’utiliser cette lumière médiatique pour célébrer l’action de celles et ceux qui luttent contre ce système de répression et de silence. Plusieurs femmes et hommes y paient encore actuellement leur engagement pour la liberté et l’égalité. Loujain al-Hathloul est l’une de ces femmes exceptionnelles, et nous, enseignantes et enseignants de Sorbonne Université, qui avons, pour certains, eu la chance de côtoyer ou d’enseigner à cette étudiante exemplaire, soutenons sa candidature, officiellement déposée par la députée canadienne Hélène Laverdière, et récemment portée par le journaliste américain Nicholas Kristof, pour le prix Nobel de la paix 2019 (New York Times, 26 janvier 2019).
Saoudienne et francophone, ayant passé une partie de son enfance à Toulon lors d’une mission de son père militaire, titulaire d’un bachelor en français de l’Université de Colombie-Britannique à Vancouver, Loujain al-Hathloul était inscrite en master de sociologie à la Sorbonne Abou Dhabi entre 2016 et 2018. Déjà dotée à l’époque d’une notoriété internationale en matière d’actions féministes, elle s’était fait connaître, en particulier sur les réseaux sociaux, pour ses prises de position contre la tutelle masculine, la violence domestique et les multiples interdictions faites aux femmes dans son pays d’origine. Sa volonté de mieux penser les phénomènes sociaux et politiques contre lesquels elle luttait l’a conduite entre nos murs universitaires d’Abou Dhabi, pour faire le lien entre l’action et la pensée, sans rien abandonner de son amour pour son pays, maintes fois constaté lors de nos échanges avec elle, ni de sa conviction dans l’efficacité d’actions non violentes pour la progression des droits.

Tortures et humiliations répétées

Arrêtée par les autorités saoudiennes, Loujain al-Hathloul n’a malheureusement pas pu finir son parcours de master, et si nous souhaitons qu’elle puisse le faire un jour, le plus important et l’urgence sont évidemment qu’elle soit libérée et affranchie de conditions de détention insupportables. En plus d’une campagne de dénigrement public dans les médias nationaux, Loujain al Hathloul a dû endurer actes de torture et humiliations répétées, comme l’a documenté Amnesty International. Ses parents, qui ont pu la voir, l’ont décrite comme tremblant de manière incontrôlée, incapable de marcher et de s’asseoir normalement.
Sa détention est en soi l’illustration de l’arbitraire le plus pur : ni avocats, ni charge précise, ni procès, même si ce dernier a été annoncé vendredi 1er mars comme imminent par les autorités saoudiennes. Son crime ? Officiellement, elle est accusée de menace pour la sécurité nationale. De fait, elle paie ainsi son expression libre, depuis plusieurs années, dans l’espace public et sur les réseaux sociaux, pour faire avancer les droits des femmes et l’égalité. Avec un certain succès : ses actions en faveur du droit de conduite automobile ont paradoxalement pesé sur la récente autorisation accordée par le régime. Ironie dans l’horreur, son arrestation est intervenue alors même que le royaume saoudien autorisait la conduite automobile aux femmes, ce pour quoi elle avait combattu avec éclat, et qui lui avait valu une première arrestation en 2014 (avec soixnate-treize jours de prison à la clé).
Sa détention actuelle, plus dure, plus violente et déjà beaucoup plus longue que la précédente (dix mois), dont les détails ont récemment été révélés par sa sœur Alia al-Hathloul dans le New York Times (13 janvier 2019) est vraisemblablement une volonté de la faire taire à un moment clé : celui de la distribution des gains politiques d’une telle mesure.
Décerner un prix Nobel est à la fois la consécration d’un parcours exceptionnel en matière d’égalité, dans les contextes les plus difficiles, et un acte pouvant protéger d’un destin simple et funeste : la disparition – sous toutes ses formes. Nous, enseignantes et enseignants de la Sorbonne, qui avons accompagné de près ou de loin Loujain al-Hathloul dans son aspiration au savoir et à l’esprit critique lors de ses études à la Sorbonne Abu Dhabi, demandons justice et liberté pour Loujain, et soutenons sa candidature pour le prix Nobel de la paix 2019.
Cette femme courageuse, brillante et solaire, est déjà et peut devenir un peu plus un symbole de la lutte pour l’égalité, la liberté d’expression, et l’émancipation par la connaissance et l’action pacifique. A travers Loujain al-Hathloul, le Comité Nobel consacrerait ainsi l’engagement pour la pensée libre, et les droits humains les plus fondamentaux, dans un régime qui ne cesse de les piétiner. Reconnaître la résistance de femmes et d’hommes sous des régimes liberticides constitue un désaveu pour les gouvernements autoritaires, et une valorisation du courage démocratique.

L’heure n’est plus au silence

Combien de temps pouvons-nous encore supporter ce silence de la communauté politique internationale autour du sort de Loujain al -Hathloul et des autres hommes et femmes détenues pour raisons politiques, précisément parce qu’ils ont osé rompre le silence dans un régime qui l’organise ? Comme l’a exprimé avec sincérité Alia al-Hathloul dans le New York Times, si l’on pouvait penser pendant les premiers mois de détention qu’un silence public pouvait protéger les prisonnières et prisonniers politiques de représailles, et permettre à une action diplomatique discrète de produire ses effets, force est de constater que le silence collectif, conjugué à d’éventuelles pressions diplomatiques, n’ont porté aucun fruit.
Si l’heure n’est plus au silence, la visibilité, pour être protectrice, se doit d’être maximale. Depuis quelques semaines, les pressions se multiplient, au niveau international par les articles du New York Times et les rapports d’Amnesty International, au niveau européen par une proposition de résolution portée par plusieurs dizaines de députés devant le Parlement («European Parliament resolution on women’s rights defenders in Saudi Arabia»,le 13 février), et au niveau national par une tribune politique demandant aux autorités françaises d’intercéder pour sa libération ainsi que celle des autres détenues politiques en Arabie Saoudite (Jeannette Bougrab, le Monde, 16 février).
Dans ce contexte, le Comité Nobel a entre les mains un outil très puissant, sa propre visibilité : par l’exposition qu’il offre, il pourrait permettre, en protégeant Loujain al-Hathloul, de protéger des valeurs universelles.
Signataires : Le collectif d’enseignantes et enseignants de Sorbonne Université : Sophie Basch Littérature française, Sorbonne Université, Pascal BoldiniMathématiques, Sorbonne Université, Pierre-Marie Chauvin Sociologie, Sorbonne Université, Beate Collet Sociologie, Sorbonne Université, Renaud Debailly, Sociologie, Sorbonne Université, Pierre Demeulenaere Sociologie, Sorbonne Université, Isabelle Ewig Histoire de l’art, Sorbonne Université, Cyril Jayet Sociologie, Sorbonne Université, Jean-Noël Luc Histoire contemporaine, Sorbonne Université, Sébastien Mosbah-NatansonSociologie, Sorbonne Université, Hyacinthe Ravet Musicologie, Sorbonne Université, Jacob Schmutz Philosophie, Sorbonne Université, Claudia Senik Economie, Sorbonne Université, Céline Spector Philosophie, Sorbonne Université, Philippe SteinerSociologie, Sorbonne Université, Anne TomicheLittérature générale et comparée, Sorbonne Université, Marie Trespeuch Sociologie, Sorbonne Université, Elise Verley Sociologie, Sorbonne Université.
La liste complète des signataires

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