Le machisme ambiant continue de faire des dégâts. En matière d’intelligence artificielle, en particulier, explique dans sa chronique la journaliste du « Monde »
Annie Kahn Publié le 6 mars 2019
Ma vie en boîte. Riche idée que celle du Professional Women’s Network (PWN), réseau international de femmes dirigeantes, qui, à quelques jours du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, lance un programme de mentoring « femmes-hommes ». L’ordre des mots a son importance. On s’était habitué aux systèmes de parrainage « hommes-femmes » permettant à des femmes de se faire « mentorer » par des hommes pour faire carrière. Le PWN inverse les rôles. Il ne s’agit plus d’inculquer aux femmes les codes masculins, mais de proposer aux hommes qui le souhaitent de comprendre ce que management inclusif veut dire, pour plus d’intelligence collective.
Bien, mais pas suffisant. Car, en attendant que ce type de programme porte ses fruits, le machisme ambiant continue de faire des dégâts. En matière d’intelligence artificielle (IA), en particulier. Robots et algorithmes ont un besoin urgent d’être mentorés, eux aussi. Conçus à 88 % par des hommes – non encore débarrassés de leurs biais sexistes, on l’aura compris –, ces algorithmes « reflètent les systèmes de représentation de leurs concepteurs », alertent deux scientifiques, Aude Bernheim et Flora Vincent, dans L’Intelligence artificielle, pas sans elles !(Laboratoire de l’égalité/Belin).
Les solutions existent
Or, l’IA est utilisée dans de multiples domaines : pour sélectionner des candidats à l’embauche, poser des diagnostics médicaux, accorder ou non un crédit bancaire. Les biais qu’ils véhiculent se révèlent alors discriminatoires. Le mathématicien et député (LRM) de l’Essonne Cédric Villani, qui préface leur ouvrage, avait déjà prévenu, en janvier 2018 : « L’intelligence artificielle peut exacerber les biais, renforcer les inégalités. »
Les solutions existent. La première serait de veiller à ce que les équipes chargées des projets IA dans les entreprises intègrent plus de femmes. Actuellement, cet objectif est rarement affiché. Une étude du Cercle InterElles, qui sera présentée, le 12 mars, à la Cité universitaire de Paris, lors du colloque annuel de ce méta-réseau de femmes travaillant dans quatorze grandes entreprises, le confirme. Plus de la moitié (55 %) des personnes interrogées ignorent l’existence d’une telle démarche au sein de leur groupe ; et les trois quarts de celles qui, au contraire, en confirment l’existence, sont incapables d’en donner la teneur.
Certes, les femmes expertes du domaine sont rares. Alors que les classes de terminale S accueillent 46,7 % de filles et que celles-ci obtiennent davantage de mentions au bac que les garçons, elles se détournent ensuite d’un domaine jugé « hostile ». « Le secteur de l’intelligence artificielle est aussi masculin qu’un bar des sports le soir d’un match [de football] de Ligue 1. Moins formées, moins payées, moins promues, les femmes ne sont pas les bienvenues », écrivent Aude Bernheim et Flora Vincent. Traquer les stéréotypes et mettre en place des incitations propres à aider les femmes à se faire une place chez les geeks devraient être une priorité.
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