L’Américaine a usé du réseau social comme d’une thérapie à son mal-être. Expérience qu’elle a prolongée dans un récit littéraire.
So Sad Today, de Melissa Broder, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Ribes, L’Olivier, 208 p.
Tous les utilisateurs des réseaux sociaux le savent : décrire son humeur sur Facebook ou énoncer en 280 caractères ses pensées du moment sur Twitter a souvent une fonction cathartique. Pour Melissa Broder, l’enjeu était de taille. L’Américaine avait décidé de twitter pour « libérer [s]es sentiments dans l’inconnu » et s’« extirper de [s]on anxiété dévorante et de [s]a dépression ». « Quand j’avais l’impression de mourir, écrit-elle dans le récit qu’elle tire de cette aventure, je commençais à poster des Tweet anonymes sur un compte que j’avais baptisé @sosadtoday. En gros, je lâchais mes Tweet dans le grand vide. (…) Ça m’apportait un soutien. C’était peut-être l’afflux de dopamine au moment d’appuyer sur “Envoyer”, mais j’avais l’impression que les lignes commençaient à bouger, et que j’y voyais plus clair. »
Introduire du lien
Malgré le réconfort et la popularité qu’ils lui ont apportés, les réseaux sociaux ont sans doute atteint leurs limites, puisque l’Américaine a éprouvé le besoin de transformer cette expérience en « essai sur l’anxiété et la dépression ». En récit littéraire, dirait-on plus justement. Pour sublimer ses pulsions morbides plutôt que de se contenter de les exorciser. Et pour, peut-être, introduire du lien et de la continuité, là où l’écriture fragmentaire sur Twitter ne lui offrait que la possibilité d’une identité éclatée.
Grâce au succès obtenu sur le réseau social, Melissa Broder a « compris une chose » : « On n’est jamais à court de tristesse susceptible de faire l’objet d’un Tweet. » « Je n’avais jamais admis ça auparavant, écrit-elle, la tristesse qui m’habitait. J’avais toujours pensé que reconnaître ma propre tristesse revenait à reconnaître sa réalité. » Surtout, la jeune femme s’est aperçue qu’elle était capable de rire de sa propre détresse et, « par la grâce d’Internet, de faire rire les autres ».
Le texte qu’on peut lire aujourd’hui, et dont le titre reprend l’intitulé du compte Twitter de l’écrivaine, est bien de la même trempe. So Sad Today passe en revue les expériences les plus désastreuses qu’a pu faire son auteure. Elle ne cache rien de son alcoolisme, de son addiction aux drogues les plus dures, de son anorexie et de sa boulimie, de sa sexualité débridée mais rarement satisfaisante, de ses fantasmes les plus sordides ou répugnants, de sa dépendance affective, de son besoin jamais comblé d’être aimée. « J’essaie d’arrêter de me shooter aux gens,déclare-t-elle en tête d’un chapitre consacré aux sentiments que provoque l’attente d’un texto. Et putain, c’est pas gagné. Je suis une romantique et une addict. J’ai un besoin maladif d’eros, de fantasmes, d’intrigues. Je me défonce au désir. Je me ruine la santé à cause du désir. »
Préoccupation formelle
Mais elle le fait avec une telle autodérision et un tel sens de la narration – du suspense, même – que sa sincérité n’est jamais gênante pour le lecteur. Et que, aussi loin qu’on se sente, au premier abord, du mode de vie de la narratrice, l’humanité qui se dégage de ce récit haletant force l’identification. Le rire qui s’empare de nous à la lecture de ces aventures pitoyables ne nous rend jamais juges mais bien complices de la fragilité qui s’y expose. Melissa Broder a bien fait de ne pas se contenter de Twitter. A son sens de la formule, qui lui assurait un succès viral mais éphémère, s’ajoute une préoccupation formelle par laquelle son texte s’inscrit dans le temps long des récits qu’on gagne à lire et à relire.
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