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vendredi 8 mars 2019

Simone de Beauvoir au « Monde », en 1978 : « J’ai cru trop vite à une proche victoire des femmes »

Par Pierre Viansson-Ponté   Publié le 8 mars 2019

Headshot of French writer, feminist and philosopher Simone de Beauvoir, 1983, in Paris. AFP PHOTO / MICHELE BANCILHON

Archives. A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous republions un entretien donné en janvier 1978 par la féministe, auteure du « Deuxième Sexe », à Pierre Viansson-Ponté.

Cette rencontre entre Simone de Beauvoir et le journaliste Pierre Viansson-Ponté a été publiée dans Le Monde en deux volets, les 10 et 11 janvier 1978, alors que l’auteure de La Vieillesse vient de fêter ses 70 ans.

Son œuvre d’écrivaine n’est pas achevée, mais elle se consacre alors à l’adaptation à l’écran de plusieurs de ses ouvrages. Elle poursuit d’autre part son action de « féministe radicale », comme elle se définit elle-même, participant volontiers aux travaux et recherches, voire aux manifestations et interventions publiques des jeunes femmes qui l’entourent. Dans l’entretien, la romancière ausculte la situation des femmes, la jugeant avec moins d’optimisme que lorsque, trente ans auparavant, elle écrivait son œuvre majeure : Le Deuxième Sexe.

« On ne naît pas femme : on le devient. » C’était l’une des idées centrales du « Deuxième Sexe ». Trente ans après, maintenez-vous cette formule ?

Je la maintiens tout à fait. Tout ce que j’ai lu, vu, appris pendant ces trente années m’a complètement confirmé dans cette idée. On fabrique la féminité comme on fabrique d’ailleurs la masculinité, la virilité. Il y a eu beaucoup d’études très intéressantes de psychanalystes, de psychologues, ou autres, pour démontrer ce fait.

En particulier, le livre d’une Italienne, Elena Gianini Bellotti, « Du côté des petites filles », qui a montré d’une façon très détaillée, à partir d’une expérience de femme qui a travaillé dans des maternelles ou auprès de jeunes mères, que l’éducation de l’enfant, garçon ou fille, est différente dès les premières années. Elle diffère par exemple dans la manière de donner le sein à l’enfant, dans la manière de le traiter. Et puis, quand il devient un peu plus grand, on ne lui parle pas de la même façon, on lui dit : « Un petit garçon doit faire cela “ou bien” une petite fille doit faire cela », et ainsi de suite.

Ce livre montre très bien comment on fabrique la féminité qu’on nous présente comme une espèce d’instinct et de donnée et comment on fabrique également la masculinité. Quand un petit garçon de 5 ou 6 ans veut faire la cuisine, on lui dit : « Ce n’est pas à toi de le faire, c’est un travail de petite fille. » Par conséquent, la société met l’emprise dès les premiers jours sur l’enfant, mâle ou femelle, de manière à fabriquer à partir de là, conformément aux exigences de notre civilisation d’aujourd’hui, un homme qui soit ce qu’on appelle un homme et une femme qui soit ce qu’on appelle féminine.

Donc, je crois absolument qu’il y a de profondes différences entre les hommes et les femmes, au désavantage des femmes d’ailleurs dans l’ensemble – dans l’ensemble, parce qu’il y a de rares exceptions. Ces différences ne viennent pas des natures féminines ou masculines, mais de l’ensemble culturel. Je crois à cela de plus en plus.

Et vous estimez aussi que la situation des femmes n’a pas sensiblement évolué. Vous avez écrit dans « Tout compte fait » : « J’ai cru trop vite, quand j’ai écrit “le Deuxième Sexe”, à une proche victoire des femmes. »

Oui, j’ai cru trop vite, parce que j’ai pensé que la victoire des femmes serait liée à l’avènement du socialisme. Or le socialisme, c’est un rêve, il n’existe nulle part. Les pays que nous appelons socialistes aujourd’hui ne le sont pas du tout.

Et d’autre part, dans ces pays dits socialistes, la situation des femmes n’est pas meilleure que dans les pays capitalistes. Enfin, peut-être qu’en URSS quelque chose se passe : les femmes travaillent davantage. Pour moi, c’est une des choses essentielles : la femme doit avoir son indépendance économique. Elle l’a certainement plus en URSS. Seulement cela n’empêche pas qu’elle concilie toujours son travail à la maison. Il y a eu quantité de nouvelles ou de romans russes qui ont montré ça très bien.

Il faut que ce soit elle, même si elle est un grand patron, une chirurgienne réputée, il faut que ce soit elle qui fasse ensuite le ménage, la cuisine, mette le couvert, etc., qui fasse les courses, et elle a donc une double charge. Par conséquent, je ne crois plus du tout que la situation des femmes soit liée à l’avènement du socialisme, que l’amélioration de la situation des femmes soit liée au développement du socialisme.

En France, les choses n’ont pas bougé ?

A mon avis, elles ont un peu empiré. C’est-à-dire qu’il y a infiniment plus de viols, infiniment plus d’agressions des hommes contre les femmes.

Vous croyez qu’il y en a plus ?

Oh oui ! Il y en a plus !

« Je crois qu’il y a une hostilité des hommes qui vient justement de l’émancipation des femmes »

N’est-ce pas plutôt qu’on en parle plus ?

On en parle plus parce qu’il y en a plus. Je vois tous les témoignages que je recueille, que des amies recueillent, par exemple dans leurs classes. D’une part, on en parle plus parce que nous encourageons les femmes à dénoncer les viols, alors qu’elles n’osaient pas en parler. Mais il y en a beaucoup plus.

Quand je me rappelle ma jeunesse ou celle de ma sœur, ou celle d’amies de ma sœur, il y avait de temps en temps des types qui sifflaient sur notre passage, qui rigolaient, mais c’était très peu.

Je n’ai jamais été obligée de quitter un cinéma parce que j’étais seule. Alors que je vois quantité de jeunes amies qui ne peuvent plus aller au cinéma seules, qui ne peuvent pas se promener dans la rue seule, qui ressentent des agressions masculines d’une manière très forte et même à domicile.


Je crois qu’il y a une hostilité des hommes qui vient justement de l’émancipation des femmes, qui les rend beaucoup plus agressifs et beaucoup plus dangereux qu’ils n’ont jamais été.

Simone de Beauvoir chez elle, à Paris, en 1983.
Simone de Beauvoir chez elle, à Paris, en 1983. MICHELE BANCILHON / AFP

Mais il y a eu émancipation ?

Il y a une certaine émancipation. Sur le plan sexuel certainement, il y a l’émancipation due à la contraception et due, quand même, à la loi sur l’avortement, qui est terriblement mal appliquée parce qu’en fait je ne sais pas combien il y a d’avortements légaux par an, mais il y en a très très peu, et il y a encore une énorme quantité d’avortements clandestins. Il y a eu également une certaine émancipation, enfin une tolérance beaucoup plus grande des parents ou du milieu : il n’est plus exigé que la jeune fille arrive vierge au mariage.

Il y a une certaine émancipation sexuelle, ce qui n’est pas grand-chose, parce que la vraie émancipation, ce n’est pas là que ça se situe, ça se situe sur le plan du travail, du travail économique et des possibilités de réussir sa vie, etc. Là, il y a quelques femmes qui ont obtenu des promotions.

Nous, les féministes, nous les appelons des femmes-alibis parce que, par exemple, Mlle [Anne] Chopinet ayant été reçue première à Polytechnique [l’école s’est ouverte aux femmes en 1972] – ce que, certes, je ne lui reproche pas – servait d’alibi pour que les hommes disent : « Maintenant, vous pouvez toutes être premières à Polytechnique », ce qui est faux, parce que pour ça il faudrait que les parents investissent dans l’éducation d’une fille autant que dans l’éducation d’un garçon, ce qu’ils ne font absolument pas. C’est exceptionnel que des parents investissent dans les études d’une fille autant que dans l’éducation d’un garçon.

Vous disiez, en 1967, dans vos entretiens avec Francis Jeanson [« Simone de Beauvoir, ou l’entreprise de vivre »] : « Le féminisme, c’est une manière de vivre individuellement et de lutter collectivement. » Vivre le féminisme individuellement, comment ? Et lutter collectivement, comment ?

Je garderai toujours cette formule, c’est-à-dire que, individuellement, on peut essayer de s’affranchir des contraintes économiques qui pèsent contre la femme, on peut essayer d’avoir un métier, de travailler au dehors, de faire une carrière.

Cela dit, c’est dangereux parce que notre but, à nous, ce que nous appelons le féminisme radical, ce n’est pas de prendre la place des hommes, pour retomber dans les mêmes défauts qu’eux. Parce que les qualités singulières que peuvent avoir les femmes sont la conséquence de leur oppression : elles n’ont pas cette sorte de rivalité forcenée qu’ont les hommes, ce sens du sérieux, ce sens du rôle à jouer et ce goût au pouvoir.

Nous ne souhaitons pas que les femmes prennent ce goût du pouvoir et tous les défauts des hommes.

Cela dit, il y a, en effet, plus de carrières qui s’ouvrent aux femmes aujourd’hui. C’est certain. Seulement, dans beaucoup de cas, les carrières ouvertes se maintiennent à des niveaux assez bas.

Par exemple, il y a beaucoup de femmes qui pourront faire leur droit et être avocates, mais la plupart d’entre elles seront simplement aides dans un cabinet d’avocat et feront un travail subalterne. Il y en a très peu qui arriveront à devenir des avocates, avec un cabinet à elles. De même les médecins. Elles sont plus ou moins cantonnées dans la médecine des enfants ou dans la médecine sociale et elles sont beaucoup moins considérées que les médecins en général.

C’est pour tout ainsi. On leur ouvre des carrières, mais à petites doses et sans que la considération publique les aide à pouvoir s’accomplir.

Il y a quand même une féminisation considérable dans certains secteurs, par exemple l’enseignement.

Oui, mais dans la mesure où une carrière se féminise, elle est dévaluée. Par exemple, en URSS, il y a une féminisation de la médecine ; presque tous les médecins sont des femmes ; du coup, on considère maintenant le fait d’être médecin comme on considérait avant le fait d’être infirmière. Et l’enseignement également est considéré comme une carrière assez secondaire qui dévirilise plutôt l’homme qui l’a choisie.

Depuis quand vous définissez-vous comme « féministe radicale » ? Depuis pas très longtemps au fond ?

C’est-à-dire que j’ai toujours dit que j’étais féministe – je l’ai dit, par exemple, à Jeanson – dans la mesure où, féministe, pour moi cela voulait dire que je réclamais une identité de situation entre l’homme et la femme, et d’égalité radicale entre l’homme et la femme. Mais, puisque nous parlions tout à l’heure de travail collectif, il n’y avait pas de travail collectif féminin qui vraiment m’intéressât.

C’est seulement depuis 1971 ou 1972 que je rencontrais des jeunes féministes qui m’ont contactée à propos des problèmes de l’avortement, avec qui j’ai commencé à travailler, tout à fait en sympathie, parce qu’elles étaient féministes pas pour prendre la place des hommes, mais pour changer le monde tel qu’il est fait par les hommes. Et cela est une chose beaucoup plus intéressante à mes yeux.

On voit bien ce que vous souhaitez pour les femmes, mais que jugez-vous possible pour elles au cours des dix ou vingt années à venir, en France ?

Je pense que, quand même, on peut gagner quelque chose puisque nous avons déjà gagné la contraception, l’avortement. Il y a maintenant des procès contre le viol, un appui sérieux aux femmes battues. Cela crée un mouvement d’opinion, auquel même les hommes ne doivent pas être totalement insensibles ; ils doivent être plus intimidés maintenant quand il s’agit de violer ou de battre une femme.

Je pense aussi que, si le mouvement continue d’une manière sérieuse, on pourrait arriver à une véritable égalité des salaires entre hommes et femmes, ce qui est une chose très importante ; la loi dit qu’il y a égalité, mais, en réalité, on disqualifie le travail de la femme, de manière à la payer moins. Si elle fait exactement le même travail qu’un homme, on lui donne quand même un échelon inférieur, pour justifier une rémunération moins élevée. Il n’y a pas de véritable égalité des salaires.

« On pourrait arriver à une véritable égalité des salaires mais, en réalité, on disqualifie le travail de la femme, de manière à la payer moins »

Je pense aussi qu’il peut y avoir une lutte sur le plan du travail ménager. C’est-à-dire que les femmes exigent de ne plus être seules à faire ce travail, à élever leurs enfants ; elles pourraient obtenir que l’Etat les aide avec des crèches et autres institutions possibles.

Cela me semble intéressant de voir que maintenant il y a beaucoup de jeunes gens qui travaillent dans des maternelles, alors que l’on considérait cela comme un métier absolument féminin. Donc, je pense que dans les jeunes générations, il y a une possibilité d’ouverture.

Dans les structures institutionnelles, vous ne croyez pas à l’utilité, à l’efficacité d’organismes comme un secrétariat d’Etat à la condition féminine ? Ce secrétariat, remplacé maintenant par une « délégation », vous l’aviez accueilli en disant que c’était une « mystification ». Et puis, un peu plus tard, vous avez quand même protesté contre sa suppression.

Oui, parce que c’était encore plus net comme manière de dire qu’on ne se souciait pas de la condition des femmes. Mais c’est une mystification, tel que cela a été fait. On n’a absolument rien obtenu. Ce n’est pas par là qu’il y a eu progrès.

Et même dans un pouvoir politiquement orienté d’autre façon, disons pour simplifier : avec un pouvoir de gauche, vous ne croyez pas qu’il faudrait créer un ministère spécial, une législation particulière aux femmes ?

Non, je ne crois pas. De même que l’Année de la femme [instaurée par l’ONU en 1975. Deux ans plus tard, le 8 mars 1977, la Journée internationale des femmes est officialisée] ne m’a pas semblé quelque chose de valable. Je pense qu’il ne faut pas traiter les femmes séparément.

D’ailleurs, les partis de gauche ne sont pas plus favorables aux femmes que les partis de droite. Le Parti socialiste est très déficient de ce point de vue là, le Parti communiste aussi, c’est même une des raisons qui ont contribué à la création de groupes véritablement féministes : beaucoup de femmes se sont rendu compte que, ou dans le Parti communiste, ou dans le Parti socialiste, ou dans les groupuscules gauchistes, elles étaient toujours traitées, de toute manière, comme les servantes des hommes, des subordonnées.

Alors, elles ont pensé qu’il fallait prendre la lutte des femmes entre leurs mains, en tant que lutte des femmes et pas seulement en travaillant avec les hommes à changer le monde.

Mais vous souhaitez néanmoins qu’elles soient beaucoup plus nombreuses à se présenter aux élections, et vous les y encouragez ?

Pas tellement.

Cela vous paraît secondaire ?

Cela me paraît secondaire. Je ne suis pas tellement pour la représentation parlementaire. Les élections, je ne sais pas très bien ce que cela signifie, et je ne vois pas très bien ce que les femmes élues feront, sinon d’être des femmes-alibis, là aussi.

Enfin, là, c’est un problème qui est assez délicat parce que, si les femmes veulent prendre le pouvoir à la manière des hommes, ce n’est pas la peine, c’est ce que nous voudrions changer justement, toutes ces notions et ces valeurs. Mais, d’autre part, il est évident qu’une femme qui a des responsabilités sociales, politiques ou intellectuelles est plus à même de rendre service aux autres femmes que si elle n’a aucun instrument entre les mains.

Simplement, il arrive très souvent que, si les femmes réussissent sur ce plan-là, elles se désolidarisent des autres femmes et elles pensent que, si elles ont réussi, n’importe qui peut réussir. Or c’est complètement faux parce que, si l’on réussit, c’est par des chances, ou de naissance, ou de vie, ou d’argent, et cela ne prouve pas du tout que la situation des femmes en est changée.

En somme, le demi-échec des vingt-cinq années écoulées pour la condition des femmes en France que vous évoquez dans « Tout compte fait », c’est davantage l’échec du socialisme et du changement politique que l’échec des femmes ?
Oui, ce sont les deux. Seulement, je pense que le féminisme est quand même en assez bonne voie. Puisque ce n’était rien, vraiment, il y a quinze ans ; il y a dix ans même, c’était bien peu de chose ; et maintenant il représente une force. Tandis que le socialisme, je ne vois pas du tout qu’il ait fait des progrès.

Vous ne le reconnaissez nulle part, en l’état actuel.

Non, nulle part.

Quelle société française voudriez-vous voir naître dans les années qui viennent ?

Ce que je souhaiterais ?

Oui.

Ce serait un socialisme qui soit vraiment un socialisme. Mais cela me semble très difficile à réaliser dans le monde tel qu’il est parti aujourd’hui.

Ce serait une réduction des inégalités, et même leur suppression, ce serait la cessation de l’exploitation, ce serait toutes choses qui ne sont pas réalisées non plus dans les pays dits socialistes. Par conséquent, ce serait un tel changement que je ne crois pas que cela puisse se produire avant bien longtemps.

Donc, le socialisme, pour vous, est une conception ouverte, généreuse, idéale, mais utopique.

Oui, absolument.

Alors, quel autre régime se rapproche le plus de ce que vous souhaitez, et jugez possible en l’état actuel. Est-ce que vous considérez que la gauche institutionnelle et la droite actuellement au pouvoir, c’est la même chose ?

Non. Je pense que tout de même la gauche accorderait concrètement plus que n’accorde la droite aux déshérités, aux ouvriers. Enfin, si je vote, je voterai évidemment à gauche et non à droite.

Le régime actuel [Valéry Giscard d’Estaing est alors président, Raymond Barre, premier ministre] me semble absolument corrompu, pourri. Alors, j’aimerais autre chose, ne serait-ce que pour le changement.

En politique, vous-même et Sartre signez une foule de textes. J’ai relevé, parmi vos dernières interventions, celles qui avaient trait à l’affaire du docteur Mikhaël Stern [endocrinologue soviétique arrêté pour dissidence], dont vous vous êtes beaucoup occupée, aux militants de la FAI [Fédération anarchiste ibérique] emprisonnés à Barcelone, à un musicien nigérien, à des expulsés de Saint-Denis, à la répression en Italie, etc. Est-ce que vous croyez à l’efficacité de ces prises de position ?

Quelquefois ; par exemple, je crois que pour le docteur Stern, cela a été assez important. Non pas ce que j’ai fait moi-même exactement, c’est son fils qui a accompli un travail remarquable. On dit aussi que nous avons sauvé la vie de certains Grecs. En tout cas, on ne peut pas ne pas signer.

Mais vous n’avez pas l’impression que l’on tourne en rond en se faisant plaisir ou en faisant plaisir à ceux qui vous sollicitent, sans que ce soit efficace ?

Certainement, sur le nombre de signatures que l’on donne, certaines ne sont pas efficaces. Mais il suffit que quelques-unes le soient pour qu’on soit obligé de tenter le coup.

Ecrivez-vous en ce moment ?

En ce moment, je m’intéresse surtout à de possibles réalisations de mes livres au cinéma. Une amie suédoise a fait un film sur la vieillesse en s’inspirant du Deuxième Sexe, et j’y ai participé un peu.

Et vous passez sans peine de l’écriture à l’image.

Ce n’est pas moi qui passe à l’image.

Vous regardez quand même vos œuvres passer à l’écran.

Ce sont des réalisatrices, des metteuses en scène, je dis metteuses en scène parce que c’est surtout avec des femmes que je travaille, jusqu’ici. Naturellement, l’image ne donne pas exactement ce que peut donner un livre. Mais elle donne quelque chose d’un peu différent, de plus fort, une présence. Par exemple, dans La Femme rompue.

Vous voulez faire des films aussi proches que possible de vos œuvres ou plus militants encore ?

Ah non ! Très proches. Par exemple, j’aimerais beaucoup que l’on réalise Les Mandarins, mais en respectant le roman des Mandarins, tel qu’il a été écrit.

Je n’ai jamais fait des livres militants proprement dits, à part des essais, des préfaces, mais, tout en pensant que la littérature doit être engagée, je ne pense pas qu’elle doive être militante parce qu’alors on arrive au réalisme socialiste, à des héros positifs, à des mensonges. J’ai toujours essayé dans mes livres de me tenir près de la vie réelle.

On m’a même reproché pour mes derniers livres – La Femme rompue justement et puis Les Belles Images –, certaines femmes m’ont reproché de n’avoir pas mis en scène des héroïnes positives, d’avoir montré plutôt des femmes brisées, malheureuses ; j’ai fait cela parce que la condition féminine telle qu’elle est aujourd’hui, c’est ainsi que je la vois, que je la sens, et je n’ai pas envie de mettre en scène des militantes héroïques et à mes yeux inexistantes, utopiques.

Quel est celui de vos livres auquel vous tenez le plus ? « Le Deuxième Sexe », « Les Mandarins » ?

Le Deuxième Sexe, il se trouve que c’est celui qui a eu le plus de répercussion. Celui que je préférerais personnellement, c’est Les Mandarins, parce que je l’ai écrit à un moment où j’étais vraiment dans le feu de la vie ; enfin, je sentais les problèmes du temps et j’ai écrit ce roman avec beaucoup de passion.

Et moins la série « Jeune fille rangée », vos « Mémoires » ?

Ah si ! Je tiens aussi beaucoup à mon autobiographie !

Au fond, vous tenez à tout.

Non pas à tout. Mais les Mémoires, bien sûr, j’y tiens, parce que c’est une manière de ressaisir toute mon existence.

Vous lisez beaucoup aujourd’hui ?

Oui, beaucoup.

Et que pensez-vous de ce que vous lisez, qu’est-ce qui vous frappe ?

Je ne lis pas beaucoup de romans, parce qu’il n’y en a vraiment pas beaucoup qui me touchent. Je lis beaucoup de livres d’histoire, des reportages, des essais, des livres d’ethnographie, des revues de psychanalyse, c’est plutôt cela qui m’intéresse.

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