Féminicides : des meurtres dans toute la France et majoritairement à domicile Julien Guillot
Depuis plus de deux ans, «Libération» recense les féminicides survenus en France. L'analyse de ces données révèle notamment que ces meurtres conjugaux sont très majoritairement commis au domicile de la victime, au moment d'une séparation.
Depuis le 1er janvier, elles sont au moins 21. Vingt-et-une femmes à avoir été tuées par leur conjoint, mari ou ex en l’espace de 67 jours à peine, selon le décompte effectué par Libération. Chaque mois, depuis janvier 2017, sont recensées les victimes de meurtres conjugaux, sur la base des articles parus dans la presse nationale et régionale. Cette litanie funèbre est incomplète : la banalisation des féminicides, trop souvent relégués à la rubrique faits divers ou transformés injustement en «drames de la séparation» et autres «crimes passionnels», entrave sans doute la pleine compréhension des mécanismes sociétaux à l’œuvre (1). Mais ce décompte permet au moins de rendre hommage aux 239 victimes répertoriées depuis le 1er janvier 2017. De redonner leurs prénoms, leur profession, leur lieu de vie. Et en creux, d’essayer d’appréhender ce qui, peut-être, les lie.
Quels liens entre Monica, employée dans un centre d’appels de 29 ans, tuée à coups de couteau par son conjoint le samedi 5 janvier après une soirée à jouer aux cartes dans leur appartement toulousain, alors que leur fille de 6 ans dormait dans sa chambre, et Pascale, 56 ans, abattue par Robert, dans leur petite maison des Yvelines ? L’analyse des données recueillies depuis janvier 2017 permet d’abord de constater que dans l’immense majorité des cas (76,6%), les victimes sont tuées chez elles ou au domicile du couple.
Même s’il n’est pas possible de déterminer quel schéma malsain peut conduire à tuer sa conjointe, des similitudes apparaissent entre toutes ces histoires, la principale d’entre elles étant qu’elles peuvent survenir n’importe où, du petit village de campagne réputé tranquille à la métropole, en passant par l’outre-mer. Le féminicide est une affaire nationale, politique, et non un simple faits divers isolé.
Dans près de la moitié des cas (44,5%) les auteurs tuent leur compagne au moment d’une séparation. Ces constatations rejoignent celles du ministère de l’Intérieur : dans sa dernière étude sur les morts violentes au sein du couple(travaux publiés chaque année depuis 2005), il relève ainsi que les auteurs «commettent ce crime à domicile, sans préméditation, à égalité quasi parfaite avec une arme à feu ou avec une arme blanche. Leur principale motivation demeure la dispute, suivie de près par le refus de la séparation». A titre d’exemple, c’est exactement ce qui s’est produit le 16 janvier à Mareuil-sur-Ourq (Oise), quand le conjoint de Séverine, 46 ans, a semble-t-il pris conscience qu’elle allait «lui échapper», qu’elle ne souhaitait plus qu’il la possède et voulait se défaire de son emprise en le quittant. Il ne l’a pas supporté et l’a étranglée avec le foulardqu’elle avait autour du cou – elle venait récupérer quelques effets personnels – avant de se donner la mort.
Quant au mode opératoire, l’analyse des données en notre possession met elle aussi en évidence la prévalence d’une utilisation d’armes à feu (dans 22,5% des cas) et d’armes blanches (dans 38,6% des cas). Viennent ensuite l’étouffement et la strangulation (16,1% des cas), et les coups (11%). Dans 35,7% des cas, l’auteur des faits se donne la mort. Ou du moins il tente de le faire, dans 7,6% des cas.
Comment, dès lors, supporter d’entendre encore que l’on a affaire à «un couple qui connaissait manifestement des difficultés», comme l’a notamment déclaré le procureur de la République de Senlis (Oise) à propos de Séverine et de son conjoint meurtrier ? Selon la famille de la quadragénaire, mère de cinq enfants, la victime avait déposé plusieurs plaintes pour violences conjugales. En vain.
(1) Ainsi l'association Nous Toutes en a de son côté comptabilisé 30 depuis le début de l'année.
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