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lundi 4 mars 2019

Questions sur l’amélioration cognitive des « bébés OGM »

La mutation d’un gène chez les deux premières fillettes génétiquement modifiées, nées en Chine, aurait-elle dopé leur mémoire et leur intelligence ? Les spécialistes restent sceptiques.
Par Hervé Morin Publié le 3 mars 2019
La mémoire et l’intelligence de Lulu et Nana, les deux premiers bébés génétiquement modifiés, dont la naissance en Chine a été annoncée en novembre, ont-elles été dopées par cette intervention ? C’est l’hypothèse avancée il y a quelques jours dans la revue MIT Review, qui avait été la première à révéler l’existence des jumelles. L’intention affichée par He Jiankui, le chercheur chinois responsable de ces naissances, était de modifier le gène CCR5 des embryons à l’aide d’un outil génétique, Crispr-Cas9, pour leur conférer une résistance au virus responsable du sida, le VIH. Cette tentative d’amélioration de la lignée humaine avait aussitôt été unanimement dénoncée par la communauté scientifique, pour des raisons tant techniques qu’éthiques.
He Jiankui, lors du Sommet international sur l’édition du génome humain à Hongkong, le 28 novembre 2018.
He Jiankui, lors du Sommet international sur l’édition du génome humain à Hongkong, le 28 novembre 2018. ANTHONY WALLACE / AFP
La MIT Review a interrogé Alcino Silva, un neurobiologiste de l’université de Californie, à Los Angeles (UCLA), cosignataires de plusieurs études sur le rôle du gène CCR5 dans le cerveau. L’une d’elles avait montré, en 2016, que son inactivation entraînait une amélioration de la mémoire chez les souris. La plus récente, publiée le 21 février dans Cell, montre que son inactivation médicamenteuse ou sa forme mutée engendrent une meilleure récupération psychomotrice et cognitive chez les personnes touchées par des accidents vasculaires ou des traumatismes cérébraux.
Alcino Silva a indiqué à la MIT Review que ses résultats de 2016 lui avaient valu des contacts avec des personnalités transhumanistes de la Silicon Valley intéressées par la perspective de doter des bébés de cerveaux améliorés. A l’annonce de la naissance des jumelles chinoises, il aurait aussitôt fait le rapprochement avec ces projets eugénistes. Dès le 28 novembre, lors du Sommet international sur l’édition du génome humain à Hongkong, où He Jiankui avait été invité à présenter son protocole expérimental, le chercheur chinois avait admis connaître l’étude de 2016 sur les souris. Mais il s’était aussitôt défendu d’avoir voulu procéder à une telle « amélioration » des embryons – notant que les recherches sur les rongeurs nécessitaient de plus amples vérifications.
Que He Jiankui ait ou non aussi eu en tête de produire des « bébés intellectuellement augmentés », y a-t-il une chance qu’il y soit parvenu, même par inadvertance ? « Notre travail sur les souris démontre que la réponse pourrait être oui, a indiqué Alcino Silva à la MIT Review. Mais les souris ne sont pas des humains. Nous ne savons pas quelles seront les conséquences de tels bricolages. Nous ne sommes pas prêts. »
« Dès l’annonce de He, la communauté scientifique a dit qu’il s’agissait d’une tentative de human enhancement [« amélioration humaine »], rappelle le neurobiologiste et neurologue Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm. Que cette tentative soit immunologique [prévenir l’infection par le VIH] ou cognitive ne change rien, et ne justifie en rien un tel crime contre deux enfants. » Pour lui, la polémique naissante sur la possibilité que Lulu et Nana aient été cognitivement améliorées représente « beaucoup de bruit pour rien », dans la mesure où « nous ne savons rien de l’effet réel des mutations induites par He sur l’activité de CCR5 ».
Concernant l’article de Cell portant sur la réparation de lésions cérébrales chez l’homme, il note que « l’inverse d’un moins n’est pas forcément un plus, en biologie ». Par ailleurs, « la mémoire n’est pas une question de quantité mais de qualité ». Si la mémoire se trouvait effectivement dopée, stocker les souvenirs sans pouvoir les hiérarchiser pourrait être une malédiction, comme en témoignent certains hypermnésiques dont on peut considérer qu’ils voient tous les arbres sans distinguer la forêt.
Gaetan Burgio (Australian National University), spécialiste de Crispr-Cas9, rappelle pour sa part sur son fil Twitter que les mutations visées chez Lulu et Nana sur CCR5 ne sont pas les mêmes que dans les études citées, et qu’elles sont au mieux incomplètes, si elles ont même été réalisées. Il note aussi qu’aucune étude génomique à vaste échelle portant sur les performances cognitives n’a distingué le variant CCR5. L’idée majoritaire dans la communauté scientifique est que l’intelligence ne dépend pas d’un gène unique, mais plutôt d’un grand nombre dont les effets interagissent entre eux et avec l’environnement…
Ces questionnements interviennent alors que certains documents récupérés par la revue Stat laissent penser que les expériences de He Jiankui ont pu être partiellement conduites sur fonds publics. La Chine, dont l’image a été écornée par cette « première », l’avait aussitôt condamnée, mais de nombreuses voix s’étaient élevées depuis pour souligner que le pays, qui ambitionne la première place en recherche biomédicale, manquait d’une réglementation et de structures éthiques adéquates.
En réponse à ces critiques, Pékin vient d’édicter des sanctions concernant ces manipulations génétiques « à haut risque », rapporte l’AFP. Des amendes, pouvant atteindre l’équivalent de 13 000 euros ou représentant 10 à 20 fois « les revenus illicites » perçus à la suite de recherches non autorisées, sont désormais prévues. Les contrevenants encourent une suspension à vie « si les circonstances sont graves ». He Jiankui est, semble-t-il, toujours assigné à résidence à Shenzhen. Quant à Lulu et Nana, et au troisième « bébé Crispr », dont il avait évoqué la gestation en novembre, on n’en a aucune nouvelle.

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