Aurore Lalucq au Mans en 2017.Photo Jean-François Monier. AFP
«Les hommes sont-ils des femmes politiques comme les autres?» Libération a posé la question à des politiques, sociologues ou historiennes, dans la perspective du forum organisé le 8 février à l'Assemblée nationale. La réponse d'Aurore Lalucq sur un air d'Aretha Franklin...
Le pouvoir a-t-il un sexe ?
Oui. La face visible du pouvoir a un sexe. Et ce sexe est encore et toujours masculin. Partout : dans le milieu académique, politique, médiatique, de l’entreprise, celui des ONG… aucun secteur n’échappe à cette règle, même s’il existe évidemment des exceptions et des évolutions.
Les structures sociales, les représentations communes, le rôle accordé aux filles puis aux femmes dans la société, sont chaque fois des limites à l’accès au pouvoir de ces dernières. Une sorte de plafond de verre insidieux, bien ancré dans nos imaginaires collectifs. Bien ancré dans nos imaginaires «de femmes».
Tout d’abord, nous les femmes, à de rares exceptions, nous ne demandons pas le pouvoir, nous ne le prenons pas, nous attendons qu’on nous le propose en récompense du travail fourni. Celles qui osent défier cette règle communément admise, imposée, sont raillées, vues comme des ambitieuses sans foi ni loi : puisque «la» femme est censée réaliser le désir des autres plus que le sien.
Je ne connais pas une femme à qui l’on n’ait jamais dit : «Mais, et tes enfants ? Comment vas-tu faire avec tes enfants ?». Pas une femme qui ne soit pas jugée trop carriériste ou pas assez «femme», si elle n’est pas mère.
Ensuite, par éducation, les hommes ont une certaine capacité, à se concentrer sur les taches les plus visibles, sans parfois même s’en rendre compte. À l’inverse, combien d’entre nous, Mesdames, affirmons préférer l’ombre à la lumière ? Les marges au centre ? Comme dans la cour de récré où toute la place est réservée aux jeunes joueurs de foot. Les filles étant exclues de facto de ce jeu, et devant se contenter de jouer «à la marge» de la cour…
Enfin nous craignons l’accession au pouvoir. Craignons légitimement d’accroître notre charge mentale. Craignons ce sentiment permanent d’imposture et d’imperfection, parce que nous partons à 17h30 pour pouvoir aller chercher les enfants. Nous craignons aussi que le pouvoir n’agisse comme une injonction paradoxale supplémentaire, car désormais non seulement nous devons être belles (sans passer trop de temps de la salle de bain), minces (tout participant aux repas familiaux), intelligentes (mais pas trop non plus, pour ne pas prendre l’ascendant sur les hommes), drôles (sans perdre en sex-appeal)… mais nous devrions accéder au pouvoir sans réduire notre habilité à être de «bonnes mères», de bonnes épouses, de bonnes maîtresses de maison.
Le syndrome d’épuisement touche trois femmes pour deux hommes. Nous craquons car les rythmes de nos organisations ne sont pas adaptés aux nôtres. Nous craquons surtout parce que les hommes n’investissent pas assez les activités familiales. C’est en outre à cette condition que notre accès aux différentes formes de pouvoir pourra se faire.
Mesdames, il est désormais temps de travailler pour nous.
Et pour l’avenir de nos filles et de nos fils, il est temps de sortir de l’ombre à notre façon… «Sisters are doing it for themselves»… comme le chantait Aretha Franklin.
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