Une femme, habitant dans une grande ville, ayant un bac S avec mention « très bien » et issue d’un milieu social favorisé : voilà le portrait-robot de l’étudiant en première année commune aux études de santé, que la réforme annoncée entend diversifier.
C’est une révolution lente, qui a commencé dans les années 1970. Minoritaires au sein des filières scientifiques universitaires et dans les écoles d’ingénieurs, les filles sont de plus en plus nombreuses à suivre des études de médecine. Elles représentent désormais près de 70 % des inscrits en première année commune aux études de santé (Paces), et encore six sur dix des étudiants en deuxième année de médecine. « Attirance pour les métiers du secteur sanitaire et social », « plus grande motivation et maturité » sont quelques-unes des raisons empiriques invoquées par les universités pour expliquer cette féminisation très forte de la profession.
Qui sont les étudiants et étudiantes de médecine d’aujourd’hui, qui seront chargés de soigner les Français dans les cabinets et dans les hôpitaux ? Si les filles sont bien plus nombreuses que par le passé, le profil social de l’élève en médecine a peu changé. En 2014, 40 % des étudiants de Paces avaient des parents cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale – contre 30 % en moyenne à l’université. Des chiffres « stables depuis une vingtaine d’années », qui en font « une des formations les plus clivées socialement, derrière les classes préparatoires aux grandes écoles », souligne une note ministérielle de juillet 2015.
Un clivage d’autant plus préoccupant que l’origine sociale joue fortement sur la réussite : en 2009, un fils de cadre avait « deux fois plus de chances » que celui d’un ouvrier d’intégrer la deuxième année d’études de santé, selon cette même étude. Et même « 2,5 fois », s’agissant de la médecine. Les possibilités, en revanche, étaient comparables pour le concours de sage-femme.
Sélection impitoyable
« Associées à des métiers valorisants, les études de santé attirent beaucoup, en particulier les bons lycéens », décrypte Jean Sibilia, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine. La sélection impitoyable à l’issue de la première année n’a pas découragé les vocations : et ce, même si 80 % des étudiants redoublent. In fine, un tiers seulement réussissent, au bout de deux ans, le concours couperet qui leur ouvrira les portes de la deuxième année de médecine, pharmacie, odontologie ou maïeutique (qui forme les sages-femmes). La Paces affichait 57 791 inscrits en 2017, 5,1 % de plus que lors de sa création, en 2010, selon la note d’information du SIES de novembre 2018.
Parmi les inscrits en Paces à la rentrée 2015, plus des trois quarts des néobacheliers S mention « très bien » ont réussi le concours – dont près de la moitié sans redoubler.
Quasi indispensable pour réussir en Paces, le bac S n’est pas suffisant, et mieux vaut se situer en tête de classe, comme le montrent les écarts de réussite en fonction des mentions au bac. Parmi les inscrits en Paces à la rentrée 2015, plus des trois quarts de ces néobacheliers S mention « très bien » ont réussi le concours – dont près de la moitié sans redoubler – contre un quart pour les mentions « assez bien » (dont 3,7 % en un an seulement).
Mais ce tableau mérite d’être nuancé. En effet, les chances de réussite au concours Paces varient d’une université à l’autre. En 2015-2016, elles oscillaient entre 12,1 % (université Aix-Marseille) et 33,3 % (Besançon), selon les données recueillies par le mensuel L’Etudiant. « Ce taux dépend du nombre de places (et donc d’admis) par rapport aux inscrits, mais aussi du bassin de recrutement de l’université, et désormais du travail de sélection des dossiers opéré par les facultés dans le cadre de Parcoursup », détaille Gilbert Vicente, chargé de mission auprès de la Conférence des doyens des facultés de médecine.
Aussi, tous les bacheliers ne sont pas égaux face à l’offre. Dans le Val de Loire, certains sont contraints de parcourir plus de 150 km pour rallier l’université de Tours, seule à proposer une Paces. Résultat : « Nous comptons proportionnellement en Paces beaucoup moins d’étudiants du Cher, d’Eure-et-Loir ou de l’Indre, par ailleurs peu dotés en médecins », relève Patrice Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours et président de l’Observatoire national des professions de santé. Par ailleurs, depuis la rentrée 2018, Ambition Paces propose une initiation aux études de santé dans plusieurs établissements de zone rurale ou sensible de la région.
Ouverture sociale
Depuis 2013, les universités expérimentent des alternatives à la Paces, qui visent, à travers la création de passerelles depuis et vers les études de santé, à élargir le vivier. Avec des résultats mitigés en matière d’attractivité et d’ouverture sociale.Ainsi, l’Alter Paces, qui permet à des titulaires d’une licence 1 d’intégrer la deuxième année des études de santé, « n’a pas permis de diversifier les profils socioprofessionnels », estime l’ancien président de l’université d’Angers Jean-Paul Saint-André, dans un récent rapport.
La diversification des profils passera par la suppression du numerus clausus et de la Paces, annoncée pour 2020.
Le vrai changement passera, selon les pouvoirs publics, par la suppression du numerus clausus et de la Paces, annoncée pour 2020. Le projet de loi, dévoilé début janvier, prévoit, pour la remplacer, plusieurs voies d’accès aux études de santé : un « portail de santé » – sorte de première année davantage tournée vers les sciences humaines et sociales – ou une première année de licence comportant une mineure santé. Il sera aussi possible de rejoindre le cursus après une deuxième ou une troisième année de licence, voire un master.
« Le fait de disposer de plusieurs modes d’entrée dans les études de santé, à des moments différents du parcours, devrait permettre aux étudiants une plus grande maturation de leur projet et de sortir de ce profil bac S avec mention “très bien” »,espère Jean Sibilia.
Djillali Annane, doyen de l’UFR des sciences de la santé de l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et vice-président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, est plus réservé quant à l’ouverture sociale annoncée : « Les études de santé sont longues et le resteront. Quand on est fils d’ouvrier et qu’on vit à 150 km d’un centre hospitalo-universitaire, il faut pouvoir se loger et se nourrir pendant six ou sept ans… » L’ouverture du contrat d’engagement de service public aux étudiants dès la première année, et non dès la deuxième, comme c’est le cas actuellement, pourrait, selon lui, apporter une solution. L’idée ? L’engagement à s’installer ensuite dans un lieu fixé par l’agence régionale de santé en échange d’une aide de 1 200 euros mensuels le temps des études.
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