L’agence Richter a reçu l’Equerre d’argent, avec un bâtiment tourné vers le paysage et le bien-être des patients.
La présentation du centre de soins psychiatriques de Metz, en novembre 2018, lors de la remise de l’Equerre d’argent aux architectes de l’agence Richter, laissait deviner un bel ouvrage et une intelligence de conception. En se plongeant dans les plans et les photos, on comprenait comment la ceinture de béton déstructurée qui court autour du bâtiment, ménageant ouvertures au sol et brèches vers le ciel et les cimes des arbres, associée à un subtil Meccano de patios et de cours intérieures, répondait au défi lancé par le centre hospitalier spécial de Jury (Moselle), maître d’ouvrage de l’opération : protéger les patients des regards extérieurs, tout en multipliant les vues depuis l’intérieur et en empêchant les contacts entre adultes et enfants.
Ce qu’on ne pouvait imaginer, c’est l’émotion que procure cette double peau de béton quand on la regarde depuis l’intérieur du centre, dans la blanche lumière du ciel d’hiver qui s’engouffre par les grandes baies vitrées. Au contact du sous-bois qui borde le bâtiment à l’arrière et des arbres folâtres plantés dans les cours intérieures (travail du paysagiste Bruno Kubler), sa douce couleur verte, presque moussue, dissout l’édifice dans la nature en l’engageant dans un dialogue quasi spirituel avec les éléments. Que cette couleur soit presque le fruit du hasard – le bleu cobalt initialement envisagé s’étant révélé trop cher pour le budget – ajoute encore un peu de poésie à l’affaire.
L’artiste Grégoire Hespel a creusé des trouées irrégulières creusées dans le béton, qui mettent à nu le gravier qui le compose, en utilisant pour la première fois un Kärcher
Sa personnalité s’affirme dans des trouées irrégulières creusées dans le béton, qui mettent à nu le gravier qui le compose. Comme une blessure encore à vif qui cicatriserait au contact de la nature. Elles sont l’œuvre de Grégoire Hespel, artiste dont les paysages crépusculaires ont séduit les architectes (ils l’ont associé au projet très en amont, au titre du 1 % artistique qui associe la création d’œuvres d’art contemporain à la commande architecturale publique) et dont la touche se révèle aussi sensible avec un Kärcher, qu’il utilisait là pour la première fois, qu’avec un pinceau. En abrasant ainsi la surface, il lui imprime une fragilité paradoxale, qui donne à penser qu’elle respire au diapason des affects de ceux qu’elle soustrait au monde extérieur.
Conduite pendant la phase de débanchage, quand le béton était encore frais, l’opération fut délicate à mener. Toucher la structure métallique du béton aurait mis en péril sa solidité, et on voit sur la façade que l’artiste a gagné de l’assurance petit à petit : les trouées apparaissent de plus en plus grandes, expressives, affirmées quand on tourne autour.
« L’architecture comme partie intégrante du soin »
« Nous concevons l’architecture comme partie intégrante du soin, au même titre que les repas, par exemple », soutient Véronique Defloraine, la directrice adjointe du centre, pour expliquer l’enjeu que représentait ce bâtiment pour la maîtrise d’ouvrage. Après une première année d’adaptation un peu chaotique (le bâtiment est entré en fonction en septembre 2017), les patients l’auraient globalement adopté, à l’exception notable de l’un d’entre eux, à qui les trouées dans le béton rappellent douloureusement des images de guerre. C’est là le risque d’un geste architectural fort.
Franco-Allemands d’origine, Pascale et Jan Richter sont frère et sœur. Ils ont créé l’agence à leur nom à Strasbourg en 1999, avant d’être rejoints, en 2007, par une troisième associée, Laure Better, et se sont spécialisés un peu malgré eux, au gré des concours et des commandes, dans les structures médico-sociales.
Pascale Richter, architecte : « Je pense qu’on fait un meilleur hôpital quand on sait construire une école »
Aujourd’hui, ils commencent à se diversifier, avec des bâtiments comme l’école maternelle Simone-Veil de Lingolsheim (Bas-Rhin), livrée en 2017, qui présente de nombreux points communs avec le centre psychiatrique de Metz… « Je pense qu’on fait un meilleur hôpital quand on sait construire une école », résume Pascale Richter.
Au cœur de leur pratique, un rapport « romantique », « assez allemand », à la nature, qu’ils revendiquent et qu’ils ont porté, pour le centre de soins psychiatriques de Metz, à son point d’incandescence. En axant les vues intérieures sur les cimes de ses arbres, en recréant dans les cours des petits bois voués à faire écran entre le bâtiment des adultes et celui des enfants, les architectes ont fabriqué un paysage fantasmé qui donne le sentiment d’une nature bien plus présente, bien plus intense, bien plus vivante qu’elle ne l’est à l’extérieur.
A l’intérieur, l’usager est roi
Tout territoire a des qualités, aime-t-on à penser chez Richter, y compris lorsqu’il est aussi mouvant que cette ZAC, y compris quand rien, au premier regard, ne retient l’attention. Que peut-on faire de ce qui est là ? D’une route droite ? D’une vieille station-service ? On peut créer des vues. On peut jouer avec les lignes du bâtiment, avec les porte-à-faux, la technicité des matériaux, pour proposer des perspectives lointainement évocatrices des tableaux d’Edward Ruscha.
A l’intérieur, l’usager est roi. Embrassant le cahier des charges établi par une équipe pluridisciplinaire de professionnels de la santé, les architectes ont donné tout leur sens aux questions d’espace vital dont les personnes en situation de fragilité arrivant dans ces lieux auraient besoin pour se sentir apaisées : une structure spatiale en étoile, un jeu complexe sur la transparence pour démultiplier les vues, des puits de lumière, de grands escaliers centraux ouverts, des angles brisés sur les murs, les colonnes, les faux plafonds, qui ouvrent les perspectives… La douceur des matériaux, le bois clair des murs et des placards, le beau lino couleur pêche, la touche rosée dans le blanc de la peinture, « qui donne bonne mine », l’intégration des dispositifs de soins dans la structure même du bâtiment, tout est orienté vers le bien-être des patients, mais aussi du personnel soignant. Un exemple extrêmement inspirant d’architecture du « care ».
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