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dimanche 3 février 2019

Le karaté comme outil thérapeutique pour les femmes victimes de violences

Triple championne du monde de karaté, Laurence Fischer a fondé l’association Fight For Dignity pour aider les femmes victimes de violence à se reconstruire. Elle lance le 8 mars une campagne de financement participatif pour étendre son action.
Par Anthony Hernandez Publié le 2 février 2019

Laurence Fischer, à la Maison des femmes de Saint-Denis.
Laurence Fischer, à la Maison des femmes de Saint-Denis. Fight for dignity
L’endroit est un sanctuaire, une oasis où les femmes sont écoutées, aidées ou encore soignées. A côté de ses activités quotidiennes, la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) accueille depuis mars 2018 une action inédite qui concilie à la fois le sport et la santé. Une fois par semaine, en début d’après-midi, Laurence Fischer transforme en salle de karaté la salle polyvalente dans laquelle le personnel de l’établissement termine juste de déjeuner. Grâce à cet art martial japonais, elle accompagne un public bien spécifique : des femmes victimes de violences sexuelles ou de violences conjugales (physiques, psychologiques).
A 45 ans, cette diplômée en marketing sportif de l’Essec ne porte pas de blouse blanche médicale mais un kimono qui sied à son statut de triple championne du monde de la spécialité (entre 1998 et 2006). Avant l’arrivée des participantes, en véritable tornade, elle replie à tour de bras les chaises et les tables, puis multiplie les allers-retours pour installer son tatami démontable en kit. Aux murs, des portraits d’illustres femmes engagées donnent le ton : la révolutionnaire Rosa Luxemburg, la militante des droits civiques Rosa Parks ou encore la grande voix de la chanson arabe Oum Kalsoum…

Ce jour-là, elles sont une petite dizaine, des habituées et une novice, à suivre un cours de karaté un peu spécial, pensé selon la méthode résiliente mise en place par Laurence Fischer. Cette dernière, initiée à l’humanitaire et sensibilisée à la condition difficile de la femme lors d’un voyage d’un mois en Afghanistan, a commencé son travail à l’étranger : au Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), à partir de 2014, après sa rencontre avec le docteur Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes », Prix Nobel de la paix en 2018.
« Là-bas, le viol de masse est utilisé comme une arme de guerre. Les femmes dont s’occupe le docteur sont des survivantes. Le projet d’utiliser le karaté pour les aider est né ainsi », raconte-t-elle.

Fight for dignity

« On s’en fout de la technique »

Pour rendre cet engagement pérenne, Laurence Fischer a créé, en mars 2017, l’association Fight For DignityEn deux ans, ce sont ainsi 45 femmes congolaises qui se sont reconstruites grâce au karaté. Grande fierté : certaines ont émis le souhait d’enseigner à leur tour et sont passées d’élèves à enseignantes. En France, le projet a été lancé en collaboration avec Ghada Hatem, la médecin chef de la Maison des femmes. Il va bientôt fêter sa première année d’existence.
A Saint-Denis, la séance débute en douceur, la montée en puissance est progressive. A l’échauffement, on commence par se croiser et par s’éviter. Puis, on se frôle, on se touche à l’épaule pour se donner un relais imaginaire. « Il n’y a aucune obligation de faire les exercices. C’est vous les patronnes », rappelle la professeure.
L’étape suivante consiste en du travail dans le vide. En position de départ, les deux poings serrés et tendus pour débuter les premières séries de coups. « On s’en fout de la technique. Elle n’est qu’un prétexte. Ce sont des femmes sensibles, à fleur de peau. Il faut que ça soit un beau moment agréable », explique Laurence Fischer.
La structure accueille aussi bien des femmes venues spontanément que d’autres recommandées par des hôpitaux ou des associations. Le public regroupe des profils différents, d’âges et d’origines diverses, à l’image de cette jeune femme noire, réfugiée soudanaise, ou de cette femme blanche, à la chevelure grisonnante.

Se réapproprier son corps

Tout au long du cours, Laurence Fischer tente d’aider ses élèves à se réapproprier leur corps. Un exercice en particulier prend tout son sens lorsque l’ancienne championne fait travailler la zone du périnée. « Cette partie du corps est très importante pour une femme, que cela soit pour la maternité ou pour la vie sexuelle. En leur demandant de contracter très fort en inspirant, puis de relâcher, j’essaie de faire prendre conscience de cette zone d’énergie, qui est vitale », ajoute l’ancienne championne.
Au fur et à mesure de la leçon, les rires fusent et la confiance se diffuse. La nouvelle venue, inquiète avant de débuter car elle n’est « pas du tout sportive », se libère après une série de coups de pied saluée par la professeure : « Je m’étonne moi-même. »
Spécificité des arts martiaux, le kiai, cri de combat qui anticipe ou accompagne un mouvement, s’adapte parfaitement au moment. Selon l’exemple de Laurence, la salle s’emplit de kiais puissants et libérateurs : « Les nouvelles n’y arrivent pas tout de suite, ça vient avec le temps. On n’a pas l’occasion de le faire dans la vie de tous les jours. Même en tant que combattante, ce cri est une manière de passer ses peurs et de s’affirmer. »
Transition bienvenue avant de retrouver le monde extérieur, Laurence Fischer termine la séance par un moment de relaxation, inspiré du yoga et de la méditation. Guidées par sa voix sereine qui chuchote à peine, les femmes savourent ce moment très personnel, presque hors du temps.

« Je n’ai pas attendu #metoo pour agir »

Pleine d’attention envers ses camarades, une mère de famille, présente depuis le lancement du projet il y a presque un an, raconte ce qu’elle a trouvé ici. « Mon groupe de parole m’a orienté vers le karaté. J’ai besoin d’activité car je ne peux pas trop rester chez moi, ça me fait du bien », lâche-t-elle dans un grand sourire.
Perfectionniste, Laurence Fischer est en perpétuelle réflexion pour améliorer et faire évoluer sa méthode. En parallèle du projet dyonisien, un protocole de recherche a été mis en place avec l’université de Strasbourg. Si le karaté s’adapte parfaitement à ce travail si spécifique, la karatéka est persuadée que d’autres sports feraient également l’affaire : « Je suis partie de ce que je connais. Mais les sports de combats par exemple amènent en général un rapport à l’autre et à son propre corps assez rapide. »
Après la RDC et la France, elle espère développer son activité, partant d’un constat terrible : « C’est un mal universel. il y a du boulot car le nombre de violences faites aux femmes est monstrueux. » Le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des femmes, une campagne de financement participatif sera lancée pour étendre l’action de Fight For Dignity. « Je n’ai pas attendu #metoo pour agir. J’ai senti un besoin et je suis arrivée humblement avec ce que je savais faire. Il y a urgence, insiste-t-elle pleine d’espoir. Les femmes sortent du silence, peut-être que ça va constituer un coup d’accélérateur. »

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