Comment surmonter le décès d’un conjoint ? Depuis plusieurs années, des caisses de retraite organisent des séminaires au grand air pour les veufs. Des femmes, dans leur grande majorité. Reportage à Moëlan-sur-Mer, dans le Finistère.
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Un robot lave-vitre flambant neuf glisse harmonieusement le long des carreaux d’une maison bretonne. Marie-France Hamon, une retraitée de 72 ans, venue rendre visite à son petit frère et voisin à Binic-Etables-sur-Mer, dans les Côtes-d’Armor, est conquise. Mais elle n’a pas le temps de s’attarder. Ces jours-ci, son programme est bien rempli. Dans une heure, elle a rendez-vous avec son kinésithérapeute, puis elle partira crapahuter dans l’océan avec son groupe de longe-côte, une de ses activités physiques préférées, parfaite pour le cœur et le dos. « Depuis mon stage de veuves, je me sens beaucoup mieux, avoue-t-elle. Hier soir, j’ai dansé jusqu’à 4 heures du matin, au Top 80, à Quessoy. Et je m’étais aussi inscrite sur deux sites de rencontres : Disons demain, le “Meetic des seniors”, et Elite rencontre. Ce stage m’a vraiment fait du bien. » Elle dégaine sa tablette et fait défiler le diaporama souvenir de sa cure miraculeuse : balade en mer, gâteaux faits maison, journée libre à Pont-Aven et spectacle. « Cinq jours VIP !Je serais bien restée deux semaines ! »
Pourtant, Marie-France Hamon ne revient pas de vacances. Elle a assisté au séminaire d’accompagnement au deuil d’un conjoint, proposé par Agrica, la caisse de retraite complémentaire de feu son mari, ancien employé du Crédit agricole. « Nous ne sommes pas un office de tourisme, explique au téléphone Claudine Sardier, responsable du département de l’action sociale du groupe. C’est le contenu de notre programme qui compte. » Depuis 2001, elle gère ces séminaires, au rythme de huit par an (du printemps à l’automne). Le stage et l’hébergement sont couverts par Agrica (à hauteur de 1 200 euros environ par personne). Le transport est à la charge des participants, qui ont tous perdu leur conjoint, un an plus tôt. Maximum un an et demi. Le temps pour eux de se rendre disponibles.
« Le cadre a toute son importance et doit être un lieu de ressourcement. On ne fera jamais un séminaire à Paris, dans une salle aveugle », Claudine Sardier, esponsable du département de l’action sociale chez Agrica
Ce 11 octobre, un nouveau groupe est réuni au domaine de Beg Porz, à Moëlan-sur-Mer, dans le Finistère. Mme Hamon n’en a pas rajouté : le site est superbe. Entre mer et rivière, quelques chambres individuelles, une piscine et un Jacuzzi surplombent la ria du Bélon. « Le cadre a toute son importance et doit être un lieu de ressourcement. On ne fera jamais un séminaire à Paris, dans une salle aveugle », explique Claudine Sardier, qui compte dans son catalogue d’autres destinations de charme : la station de ski de Métabief (Doubs), au cœur du Jura, Cabourg (Calvados), Le Croisic (Loire-Atlantique) ou encore Biarritz (la plus courue). L’heure du dîner a sonné. Au menu : plateau de fruits de mer et vin blanc.
Dix-neuf stagiaires, entre 59 et 81 ans, ont pris place autour de deux grandes tablées où ils ont retrouvé leurs serviettes rangées dans des enveloppes à leur nom. Dix-sept femmes pour deux hommes. « Non seulement les femmes vivent plus longtemps mais elles sont aussi plus enclines à solliciter un accompagnement,commente Jean-Marc Labbée, le délégué régional d’Agrica. Les hommes sont plus pudiques. »
Partie de dingbat
Le dîner passe sans transition du rire aux larmes. Jacqueline (l’anonymat des stagiaires a été conservé à la demande du groupe Agrica), venue de Haute-Savoie, les yeux bleu-rouge de tristesse, se confie fébrilement à sa voisine : « Mon mari s’appelait Fernand. On aurait préféré François, son deuxième prénom, mais c’est comme ça. C’était un homme impressionnant. Quand il est mort, des amies m’ont dit : “Tu verras, tu mettras deux ans à t’en remettre.” D’autres ont tablé sur cinq ans. Mais, bon sang, on n’est quand même pas en train de parler d’un yaourt avec une date limite ! Nous avons été mariés cinquante-deux ans et demi. » Soudain, à l’autre bout de la table, des éclats de rire fusent. Max, le doyen de la bande, ancien chef de groupement Sud-Ouest des sapeurs-pompiers et ex-vedette de la Revue de Bergerac, s’est donné pour mission de faire rire les dames. « Max est formidable, sourit Marie, de Haute-Vienne. Il peut être trash mais je dois avouer qu’il met une bonne ambiance. Au début, certaines n’osaient pas rire à ses blagues. » Sur sa lancée, Max imite Coluche : « Violer, c’est quand on ne veut pas. Moi, j’voulais bien, hein ! »
Une heure plus tard, la fine équipe quitte la table. Les hommes vont se coucher, les femmes se lancent dans une partie de dingbat, un rébus avec des lettres, des chiffres et des signes typographiques. Un moyen de rester ensemble un peu plus longtemps. A ce jeu-là, Guylaine, du Calvados, est une chef. Marie-Hélène, des Côtes-d’Armor, perd vite pied : « Ah, le petit cul ! » hurle-t-elle, en voyant passer un jeune employé du centre qui s’en amuse. « A mon âge, je peux bien me le permettre ! Je suis beaucoup trop vieille pour toucher. Malheureusement… »
Programme bien rôdé
Quatre jours plus tôt, son moral était pourtant au plus bas. « Je ne savais pas si j’allais m’habituer, dit-elle. Le cancer de mon mari a duré sept ans. Ça a commencé par la prostate puis c’est monté à l’œsophage. Il y a eu des rémissions, mais il est parti. » Le cocktail de bienvenue la replonge dans le passé. Ce soir-là, aucun verre de sangria ne parviendra à apaiser les troupes. Les stagiaires ont gardé les mains crispées sur le petit carton d’invitation arc-en-ciel qu’ils ont reçu six mois plus tôt. « Sur la route, j’avais envie de faire demi-tour », raconte Françoise, de Gironde. « Quand on m’a demandé mon nom à l’accueil, je n’ai même pas pu le dire », avoue Paulette, des Vosges. « On nous demande souvent si nous ne sommes pas une secte, poursuit Claudine Sardier. La première invitation finit régulièrement à la poubelle. La deuxième, sur le buffet. » Entre 7 % et 12 % des destinataires acceptent généralement l’invitation. « Ce qui est plutôt élevé », se réjouit la responsable.
Le lendemain matin, à la veille de se quitter, les stagiaires retrouvent leurs deux formatrices – ici on préfère dire « accompagnantes » – pour préparer le retour à la maison. Une source d’angoisse bien réelle. A la ville, Anne Lopez est psychomotricienne et conteuse. Marie-Christine Chartierest gestalt-thérapeute (une approche basée sur l’interaction de la personne et de son environnement). Toutes les deux font partie de l’association Chemins de deuil, du corps à l’être et se sont réparti les tâches : la première s’occupe du corps, la seconde de l’esprit. Sur un mur de la « salle de travail », on devine les efforts fournis par les stagiaires. Les prénoms des conjoints disparus ont été écrits à la main sur une grande affiche blanche. Un peu plus loin, des Post-it indiquent les origines de chacun. C’est là que le groupe a suivi, pas à pas, le programme bien rodé du séminaire.
Les spirales du deuil
Le mardi, chaque participant a raconté les circonstances du décès de son conjoint. « La cohésion du groupe autour de ces récits est fondamentale, assure Anne Lopez. Car les personnes endeuillées souffrent bien souvent de préjugés : il y a la veuve joyeuse ou, inversement, celle qui met un peu trop de temps à se remettre. » Ce jour-là, Max n’a jamais autant pleuré de sa vie, dévasté par les histoires des uns et des autres. Le mercredi, un atelier « émotions » a tenté de démêler « les spirales du deuil ». « On disperse des poupées russes pour montrer que tout est en vrac,explique Marie-Christine Chartier. Le but est de trouver en soi-même sa plus petite matriochka, celle qui ne peut pas s’ouvrir. » Le jeudi, les stagiaires ont chanté ensemble.
Ce vendredi, la journée commence par une séance de relaxation. Max est au téléphone. « J’ai réveil musculaire, on va se caresser les oreilles », dit-il au combiné, avant de rentrer dans le cercle. L’exercice le laisse perplexe, bien loin des préparations physiques qu’il a connues dans sa caserne de pompiers. Après la pause-déjeuner, Marie-Hélène forme un petit groupe de copines qu’elle entraîne dans le Jacuzzi. Là, au milieu des bulles, les femmes réfléchissent au spectacle qu’elles donneront le soir même avant de se quitter. Sketch, chanson ou poème ? « En tout cas, il faut se faire coquette, les filles ! », suggère Marie-Hélène. Mais Françoise n’a rien à se mettre. Jamais, depuis le décès de son mari, elle n’avait imaginé se faire belle.
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