Le cinéaste s’est attaché à six personnages, filmés dans leur quotidien.
LE MONDE | | . Par Mathieu Macheret
L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
A la fin des années 1960, Alain Cavalier tournait des fictions « classiques » (Mise à sac, La Chamade), avec des stars et des moyens, avant qu’une violente crise artistique et existentielle ne l’entraîne sur la voie d’un dépouillement radical. Depuis Ce répondeur ne prend pas de message (1979), le cinéaste s’est rabattu sur l’outil vidéo, avec ses caméras de plus en plus petites, et s’est mis à filmer seul, son œuvre prenant le tour d’un journal intime. Dès lors, sa pratique du cinéma s’apparente autant à un artisanat qu’à une écriture : prendre la caméra comme on se saisit d’un stylo, pour consigner ses observations sur la beauté immédiate des choses. Filmer, oui, mais comme l’on respire.
Les six portraits présentés ici, appariés et proposés en trois programmes distincts, sont les fruits de ce « diarisme » documentaire. Souvent tournés sur plus d’une décennie, ils mélangent le charme de l’instantané au temps long de la relation poursuivie. Cavalier s’y attache à des figures très diverses, anonymes ou publiques, laborieuses ou vacantes, intempestives ou secrètes, dont il observe à travers le temps la permanence ou le changement.
SOUVENT TOURNÉS SUR PLUS D’UNE DÉCENNIE, CES PORTRAITS MÉLANGENT LE CHARME DE L’INSTANTANÉ AU TEMPS LONG DE LA RELATION POURSUIVIE
Les deux premiers films s’inscrivent dans une série au long cours sur les artisans au travail, entamée par Cavalier dans les années 1980, et se répondent par leur symétrie : Léon, vieux cordonnier rouspéteur, s’apprête à fermer boutique et à solder cinquante ans d’existence, tandis que Guillaume, jeune boulanger perfectionniste, se jette à corps perdu dans l’ouverture d’un nouveau magasin. Une fin et un commencement.
Viennent ensuite deux profils rêveurs : Jacquotte, dame élégante qui visite chaque année les fétiches figés de son enfance dans une maison familiale à l’abandon, et Daniel, vieux garçon qui tourne en rond dans son appartement croulant sous les collections de disques. Les deux derniers volets concernent des hommes de spectacle : le journaliste Philippe Labro, filmé lors d’une longue journée de tournage pour une émission, et le comédien Bernard Crombey, ami du cinéaste, qui avait joué dans son film Le Plein de super (1976), suivi au fil d’une tournée théâtrale s’étalant sur dix ans.
Un regard amoureux
La beauté de ces moyens-métrages (en moyenne cinquante minutes) tient d’abord à la proximité qu’Alain Cavalier établit avec chacun de ses personnages, déposant sur eux un regard amoureux qui n’empêche pas la lucidité, ni même une certaine cruauté. De cette approche se dégage une éthique du portrait : chaque personne dépeinte n’existe pas seulement en soi, mais se prolonge dans la petite galaxie d’objets et de proches qui l’entourent. La caméra tressaillante de Cavalier s’approche des petites choses qui leur sont chères – outils du cordonnier, pétrin du boulanger – comme pour les toucher du regard.
Par moments, c’est Alain Cavalier en personne qui, au détour d’un miroir, surgit dans le champ, sa caméra vissée au visage, comme Van Eyck se peignant en miniature dans ses Epoux Arnolfini. Et l’on comprend alors que l’art du portrait ne saurait se suffire à lui-même, s’il ne contenait dans ses angles morts quelque chose d’un autoportrait.
Documentaires français d’Alain Cavalier. 1. Léon/Guillaume(1 h 44) ; 2. Jacquotte/Daniel (1 h 41) ; 3. Philippe/Bernard(1 h 43). Sur le Web : www.tamasa-cinema.com/film/six-portraits-xl
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