Trouver le partenaire idéal pour concevoir et élever un enfant, sans passer par la case couple : c’est ce que proposent plusieurs sites français de « coparentalité ». Mais la suite de l’histoire n’est pas toujours heureuse.
M le magazine du Monde | | Par Lorraine de Foucher
Une table à l’écart dans un café bruyant. De préférence au-dessous de la télévision ou à côté du percolateur. Quand Élodie rencontre un père potentiel pour son futur enfant, elle fuit la promiscuité et les oreilles baladeuses. Elle ne veut pas affronter les regards appuyés, qui finissent toujours par arriver quand ses voisins captent son étrange conversation avec l’homme en face d’elle.
Depuis qu’elle a franchi la barre des 40 ans, cette blonde puéricultrice de la Côte d’Azur s’est mise en quête de quelqu’un avec qui faire un bébé. Faute d’un amoureux, elle cherche un partenaire pour concevoir un enfant et l’élever, mais sans vivre avec lui. Le contact se fait d’abord sur un forum Internet. Un rendez-vous est ensuite pris dans un lieu public.
« ON NE SE CONNAÎT PAS, ON NE S’AIME PAS, ON NE VA PAS NON PLUS TOUT MÉLANGER ET FAIRE L’AMOUR POUR AVOIR NOTRE ENFANT. » ELODIE, EN RECHERCHE D’UN GÉNITEUR
Face à la réalité, la déception est parfois difficile à dissimuler. Le premier, rapporte-t-elle, était trop vieux. Éliminé. « Il sera incapable de courir après un ballon de foot dans le jardin, si c’est un garçon. » Puis il y a eu un dragueur : hors sujet.
Elle est même tombée sur un homme qui voulait lui vendre son sperme. En France, c’est pourtant interdit. « C’est très compliqué de s’asseoir à une table de café, de plonger son regard dans celui d’un inconnu, de scruter ses traits, en s’imaginant s’occuper d’un petit être qui aurait peut-être cette tête. Moi, je suis quelconque, mais l’avant-dernier, il n’était pas beau », raconte Élodie. Elle précise cependant : « Il avait l’air gentil. » Mais ça n’a pas suffi. Lui aussi a été recalé.
Comme le dernier qu’elle a rencontré. Celui-là voulait qu’ils couchent ensemble, pour concevoir l’enfant. Pas question. Élodie veut procéder à une insémination artificielle ou à une fécondation in vitro (FIV).
« On ne va pas se mentir, on ne se connaît pas, on ne s’aime pas, on ne va pas non plus tout mélanger et faire l’amour pour avoir notre enfant », explique-t-elle doucement, en jouant avec la bague qu’elle porte à l’annulaire gauche. Cette fausse alliance lui permet d’éviter les questions sur son célibat, qui l’exaspèrent.
« Une communauté du désespoir parental »
Ce père pour son enfant, Élodie le cherche en ligne : elle a rejoint il y a un an la communauté de co-parents.fr. Ce site Internet se veut le plus grand forum mettant en relation des personnes qui partagent un désir d’enfant, avec près de 100 000 inscrits revendiqués.
Sur la page d’accueil, un bébé rieur accueille les visiteurs. Le chemin y est balisé, avec des mots simples, en questions et en réponses. Qu’est-ce que la coparentalité ? « Avoir un enfant ensemble sans vivre sous le même toit ni être en couple. » Pourquoi choisir cette solution, plutôt que recourir à un don de sperme anonyme ou à une adoption ? « Cet arrangement permet à l’enfant de pouvoir grandir avec ses deux parents biologiques. »
En plus, précise le texte, « il n’y a pas de contraintes légales ou administratives ». Cerise sur le gâteau, ce n’est pas la peine non plus de « se déplacer à l’étranger » pour trouver une mère porteuse ou une clinique qui pratique l’insémination artificielle plus librement qu’en France (du moins jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron lance la réforme promise censée assouplir les conditions d’accès à la procréation médicalement assistée).
L’abonnement, sur le site, coûte vingt-neuf euros par mois. À moins de s’engager directement pour six mois : le tarif est alors de treize euros. Selon la légende racontée dans la rubrique « Aide », ce forum aurait été fondé en 2008 par un dénommé Frantz en mal d’enfants. Depuis, il en aurait eu deux, mais c’est impossible à vérifier : la plateforme n’a pas souhaité nous le confirmer.
Des mois de recherches douloureuses ont laissé Élodie assez circonspecte : « Ce site, c’est le marché de l’ultraoccasion. Ce n’est plus de la seconde main, mais de la quinzième main, personne n’est là par choix », se lamente-t-elle.
Des hommes peu délicats l’ont considérée comme une mère porteuse. D’autres lui ont envoyé un article sur les risques de trisomie passé 40 ans… Mais elle ne veut pas abandonner pour autant. « C’est vraiment dur. II faut se blinder sur ces forums, mais je n’envisage pas de ne pas avoir d’enfants. » Alors elle s’use les yeux sur les profils, les contacte un par un, et boit des cafés.
Antoine, inscrit depuis deux ans, est tout autant critique : « En fait, ce sont toujours les mêmes personnes qui traînent, une forme de communauté du désespoir parental. Et ça coûte quand même très cher, pour une plate-forme vieillissante, sur laquelle on ne peut même pas agrandir les photos. »
Ames seules et couples homosexuels
Difficile, en l’absence de statistiques précises, de savoir qui sont ces croisés de la coparentalité, naviguant sur la petite dizaine de forums actifs en France. Le principe est apparu aux États-Unis, au milieu des années 2000, quand les adhérents ont tenté de trouver en ligne ces « partenaires de parentalité » – comme cela s’appelle à Los Angeles, San Francisco ou New York, là où ces nouvelles familles se développent – que la vraie vie leur refusait.
Sur le profil des abonnés, Frédéric Bianco, qui a créé le site coparentalys.com en 2014 et l’administre lui-même, donne un début de réponse. Selon lui, trois profils émergent : « Il y a d’abord tous ceux qui n’ont pas rencontré l’amour, avec beaucoup de femmes approchant les 40 ans. Puis il y a des couples homosexuels qui refusent de recourir à une mère porteuse. Et le profil plus rare de ceux qui veulent rester célibataires tout en devenant parents. »
Son site revendique 7 000 membres et marche « plutôt bien », précise ce développeur à la barbe rousse, même si ça n’est pas « extraordinairement lucratif ».
« C’EST COMME UN SPEED DATING. LA FAÇON DE RÉDIGER L’ANNONCE COMPTE, ON ÉLIMINE LES FAUTES D’ORTHOGRAPHE ET ON DISCUTE. » LAURENT
La seule étude sérieuse disponible traitant des forums de coparentalité a été réalisée outre-Manche, en 2015. Vasanti Jadva, son auteure, chercheuse en psychologie à l’université de Cambridge, a coécrit « Alliés amicalement pour éduquer un enfant : étude sur les hommes et femmes recherchant un partenariat parental sur Internet ».
Elle a mené une enquête auprès de cent deux clients du site Pride Angel, un forum britannique qui propose des rencontres et un accompagnement par des professionnels pour deux cents euros par an.
Dans son échantillon, elle a relevé 70 % de célibataires. La moitié des femmes ainsi qu’un tiers des hommes inscrits sont hétérosexuels. Et une courte majorité est composée de personnes homosexuelles. La motivation principale déclarée par les abonnés, quelle que soit leur orientation sexuelle, se veut altruiste : « l’implication des deux parents biologiques dans l’éducation de l’enfant ».
Derrière les façades des sites Internet, il est cependant quasiment impossible de savoir combien d’histoires heureuses ou malheureuses se sont ainsi nouées pour donner naissance à un enfant. Mais une chose est sûre : cela ne se passe pas toujours bien.
Des parents en conflit
Comme Élodie, l’histoire que raconte Laurent* a débuté sur le forum du site Co-Parents.fr. Puis s’est poursuivie dans un café. En couple depuis huit ans avec Jean*, ils ont chacun cherché une femme, hétéro ou homo, avec laquelle avoir un enfant.
« On ne voulait pas de GPA, on ne voulait pas imposer à un enfant l’absence d’une figure maternelle. Pour nous, un enfant a besoin de se construire avec une mère. » La recherche a été longue. « C’est comme un speed dating. La façon de rédiger l’annonce compte, on élimine les fautes d’orthographe et on discute. »
Au bout de deux ans de quête assidue, Laurent a rencontré Julie*, la future mère de son fils. Cette institutrice est rassurante, très calme. Déjà maman d’un petit garçon, elle souhaite un autre enfant. « C’était un conte de fées. On a eu des rendez-vous réguliers pour faire connaissance, des déjeuners, des dîners, puis on l’a invitée chez nous, elle a vu qu’on était propriétaires d’un bel appartement », se rappelle Laurent.
LA MÈRE DU FILS DE LAURENT LE GARDE AVEC ELLE ET REFUSE DE LE LUI CONFIER LES WEEK-ENDS : « TU N’ES PAS HABITUÉ, TU N’AS JAMAIS EU D’ENFANT », SE JUSTIFIE-T-ELLE.
Les deux hommes sont pressés : « On commence quand ? », demandent-ils. Tests VIH, fécondité, spermogramme, tout est bon. Puis vient la seringue, pour l’insémination artisanale que l’institutrice pratique seule. Dix jours après, la bonne nouvelle tombe : Julie est enceinte du premier coup.
Le petit garçon, David*, a aujourd’hui 5 ans. Mais rien ne s’est passé comme espéré. À peine Julie enceinte que la bonne entente du trio commence déjà à s’étioler. Laurent a le droit de l’accompagner aux échographies, mais reste dans la salle d’attente. À la naissance, il est toléré à la maternité et peine à pouvoir interagir avec le bébé. Julie l’allaite, le garde avec elle et refuse de le lui confier les week-ends : « Tu n’es pas habitué, tu n’as jamais eu d’enfant », se justifie-t-elle.
Laurent tente de faire valoir ses droits auprès de la mère. « Je ne suis pas un donneur de sperme, je ne suis pas un accessoire ni une photo dans un cadre, je suis un père à part entière », s’emporte-t-il. Julie et Laurent ne s’entendent plus, la situation dégénère.
Le juge des enfants, saisi après le signalement d’un psychiatre qui suit leur fils, ordonne le placement de David en famille d’accueil. Le petit garçon vit depuis un an et demi en banlieue parisienne, ballotté entre ses parents, qu’il voit un week-end par mois et une heure et quart le mercredi dans un centre de la protection de l’enfance.
Laurent assure ne plus dormir la nuit et avoir dépensé près de 40 000 euros de frais d’avocat. Nous n’avons pu recueillir la version de Julie, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.
Vide juridique
Cette histoire n’est pas un cas isolé. Grâce au forum, Jean, le compagnon de Laurent, est lui aussi devenu père d’une petite Alice*, âgée maintenant de 3 ans et demi. Il raconte une mésaventure similaire, aujourd’hui sur le bureau d’une juge aux affaires familiales.
Là aussi, tout s’est dégradé après la naissance : « J’avais le droit de la voir une heure de temps en temps, alors je faisais des tours de parc avec la poussette. Et quand j’ai protesté : “Tu me la rends tout de suite où tu ne la revois plus jamais.”, elle m’a menacé… Je ne comprends pas cette haine du père, cette volonté de nuire autant à l’autre parent. »
Pourquoi de tels échecs ? Fabien Joly, avocat et porte-parole de l’Association des familles homoparentales (ADFH), voit s’accumuler sur son bureau les dossiers de coparentalité conflictuelle.
« ON NOUS A DIT : “C’EST NORMAL QUE ÇA SE PASSE COMME ÇA QUAND ON FAIT DES ENFANTS SANS AMOUR.” AU CONTRAIRE, QUAND ON NE S’AIME PAS, ON VOIT ÇA COMME UN PROJET ET ON EST ULTRAPROS. » JEAN
Pour les couples gays, trouver des arrangements avec une femme pour faire un enfant a toujours été une solution. Mais Internet a modifié la donne. On ne fait plus affaire avec des connaissances, mais avec des inconnus, ce qui augmente les risques. « Des stratégies du type ‘‘si je n’ai pas la garde de mon enfant, personne ne l’aura’’ se mettent en place. Ensuite, les audiences ont lieu à un an d’intervalle, et ce sont les enfants qui payent les pots cassés… »
Devant les tribunaux, les coparents subissent les conséquences de leur innovation familiale face des magistrats qui n’y comprennent souvent pas grand-chose. « Le droit français n’est pas du tout prévu pour penser la coparentalité, il n’y a pas de réponse juridique pertinente, ce n’est pas comme en Colombie-Britannique, au Canada, où il est possible d’inscrire quatre parents sur l’acte de naissance », pointe Fabien Joly.
Alexandre Urwicz, le président et cofondateur de l’ADFH, qui compte 1 500 adhérents, alerte sur les cas extrêmes d’hommes qui conçoivent des enfants avec des femmes dont ils n’ont même pas vérifié le nom de famille et qui disparaissent ensuite. « Je leur dis : “Mais vous ne lui avez même pas demandé une carte d’identité ? Comment voulez-vous retrouver la moitié de votre patrimoine génétique qui se promène dans la nature ?” »
Recomposition du modèle familial
Il met aussi en garde contre les attelages à trois un peu trop légers. Il a donc conçu une charte que les futurs coparents peuvent signer avant de se lancer, une page recto verso surmontée de cette mention : « Avertissement : l’acte de reconnaissance ci-après n’a pas de valeur juridique selon le code civil. Cependant, il constitue un élément de preuve incontestable de l’engagement commun que vous fondez pour l’enfant à naître et sera apprécié en tant que tel par le juge éventuellement saisi. »
Le document organise la garde, la pension, le lieu de résidence de l’enfant. Malgré ses déboires, Jean, le père d’Alice, veut croire que ça peut marcher, et que c’est même un modèle intelligent. « Tout le monde nous a dit : “C’est normal que ça se passe comme ça quand on fait des enfants sans amour.” Au contraire, la coparentalité n’est pas impactée par l’affect. Quand on ne s’aime pas, on voit ça comme un projet et on est ultrapros, on pense à tout, à l’école, aux maladies, on avait même réfléchi pour savoir si on était d’accord pour lui percer les oreilles », défend-il.
Des cas de coparentalité heureuse et épanouie, il en existe aussi, même s’ils sont plus difficiles à trouver en France. En Californie, Lauren Brim a écrit The New American Family, où elle raconte la recomposition du modèle familial américain et toutes ces innovations dont fait partie la coparentalité « platonique », comme elle l’appelle.
« LA SOCIÉTÉ NOUS PERMET MAINTENANT DES LIBERTÉS QUI RENDENT LE VIEUX SCHÉMA DE PROCRÉATION OBSOLÈTE POUR BEAUCOUP. » LAUREN BRIM, AUTEURE DE « THE NEW AMERICAN FAMILY »
« J’ai choisi cette solution parce que j’étais loin de l’autoroute traditionnelle du mariage et de la famille. La société me dit d’attendre un homme qui veuille bien m’épouser pour avoir un enfant, mais j’ai pensé : “Pourquoi attendre qu’un mec me demande en mariage serait le seul moyen d’avoir accès au bonheur d’être mère et de construire une famille ?” C’est vraiment trop patriarcal pour moi ! J’ai envisagé l’insémination, mais je voulais que mon enfant ait un père, alors j’ai cherché des hommes qui voulaient le devenir », témoigne-t-elle.
Sa fille, qui a aujourd’hui 3 ans et demi, passe une nuit sur deux chez son père et sa mère. Lauren est ravie, cela lui laisse du temps pour écrire, penser, vivre, sans être trop épuisée par l’éducation de son enfant. Et elle salue les forums de coparentalité, qui « permettent l’émergence de nouvelles formes de famille. On se marie très tard, voire pas du tout, et la société nous permet maintenant des libertés qui rendent le vieux schéma de procréation obsolète pour beaucoup. »
Laurent n’a pas lu le livre de Lauren Brim. Et ce n’est pas sûr que ça l’aurait consolé. Aux dernières nouvelles, le placement en famille d’accueil de David a été maintenu par la justice jusqu’en juin 2019. Élodie, quant à elle, a fini par renoncer à un père pour son enfant. Elle a décidé de tenter sa chance au Danemark, pour une insémination artificielle, dans un pays où l’on peut connaître l’identité du donneur.
* Le nom a été modifié.
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