Certains traumatismes vécus par des parents provoquent des maladies sur plusieurs générations. En modifiant le fonctionnement des gènes, ils laisseraient des marques biochimiques qui se transmettent aussi.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Marie-Laure Théodule
« Les défis de la science ». La « cohorte de la faim » a encore fait parler d’elle au début de l’année 2018. Ce groupe de femmes, enceintes durant la terrible famine qui a affecté l’ouest des Pays-Bas pendant l’hiver 1944-1945, a été beaucoup étudié. Car on a découvert que les enfants mais aussi les petits-enfants de ces femmes mal nourries ont développé, plus que la moyenne, de l’hypertension artérielle, du diabète de type 2 et de l’obésité. Comment ces troubles ont-ils pu se transmettre d’une génération à l’autre, alors que la faim avait disparu ? Cela pourrait venir d’une transmission épigénétique : la malnutrition des mères aurait modifié l’expression de certains gènes chez leurs fœtus et ces modifications se seraient transmises à la génération suivante.
La nouvelle étude publiée par une équipe de l’université de Leiden (Pays-Bas) au début de 2018 accrédite en partie cette thèse : elle a identifié dans les cellules sanguines de 422 de ces enfants conçus pendant la famine une méthylation (l’un des mécanismes épigénétiques qui régulent le génome) de plusieurs gènes impliqués dans le métabolisme, qu’on ne retrouve pas dans le groupe contrôle (466 enfants des mêmes familles non conçus pendant la famine).
« Mais attention, prévient la généticienne Deborah Bourc’his, de l’Institut Curie, une corrélation entre la malnutrition et le profil de méthylation de l’ADN dans le sang n’implique pas un lien de cause à effet. C’est peut-être la maladie elle-même qui altère la méthylation des cellules sanguines.En matière d’alimentation, il ne faut pas exclure une transmission culturelle. » En fait, un débat sur les frontières de la transmission épigénétique agite les biologistes depuis quelque temps.
Tout le monde a admis que l’homme n’est qu’en partie déterminé par ses gènes. Car un ensemble de mécanismes dits épigénétiques, indispensables au développement normal, en modulent l’activité tout au long de la vie en fonction de facteurs environnementaux : mode de vie (alimentation, exercice physique), traumatismes, pollution, etc.
Transmission aux générations futures
Ces modifications de l’activité des gènes, qui n’altèrent pas la séquence d’ADN, sont réversibles mais semblent pouvoir se transmettre sur quelques générations sans qu’on comprenne bien comment. « Il existe plusieurs mécanismes épigénétiques, dont la méthylation de l’ADN et l’action des ARN non codants. Nous ne savons pas exactement comment ils sont transmis des cellules germinales à l’embryon puis aux cellules adultes. Mais nous avons démontré qu’ils pouvaient se transmettre », explique Isabelle Mansuy, de l’Institut de recherche sur le cerveau de Zürich (Suisse).
En 2014, son équipe a en effet montré qu’un traumatisme chronique subi par des souriceaux mâles durant leurs quinze premiers jours (privation répétée imprévisible de leur mère, elle-même exposée à des stress imprévisibles) modifie leur comportement jusqu’à la quatrième génération au moins et altère certains micro-ARN dans les cellules de leur cerveau et de leurs spermatozoïdes. Tous ces descendants connaissent des troubles proches de la dépression avec aussi des prises de risque élevées. Y a-t-il un lien de cause à effet avec l’excès de micro-ARN dans les cellules germinales ?
Pour le prouver, son équipe a extrait l’ARN des spermatozoïdes de souris traumatisées pendant leur enfance et l’a injecté dans des œufs fécondés de femelles normales. Résultat : les petits de ces femelles ont développé des troubles du comportement à l’âge adulte, et leur progéniture aussi. Ce serait donc bien cette modification de l’ARN qui serait transmise et induirait les troubles.
Pour Deborah Bourc’his, « il faut rester prudent car au moment de la fécondation, l’embryon efface les marques épigénétiques venant de ses parents, sauf pour une centaine de gènes à empreinte parentale. » Mais, souligne Isabelle Mansuy : « Ce n’est pas le cas de l’ARN, qui n’est pas éliminé dans l’embryon. » Ces travaux pionniers demandent à être confirmés chez l’homme.
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