Au-delà du burn out, objet de nombreuses études actuellement, la souffrance des professionnels de santé peut prendre différentes formes, comme l'illustrent des travaux exposés par des internes en psychiatrie à l'occasion d'un congrès au CHU d'Angers. Une enquête apporte notamment un éclairage sur un trouble plus méconnu, la fatigue compassionnelle.
La présentation des résultats de deux enquêtes menées par des internes de psychiatrie le 31 mai, en ouverture du congrès de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent(1) au CHU d'Angers (Maine-et-Loire) ont permis d'illustrer pleinement la thématique de la journée, consacrée à la "vulnérabilité des soignants". Le caractère protéiforme des manifestations de la souffrance qui peut être ressentie et vécue par les professionnels de santé a ainsi été exploré.
Introduite par un exposé du Pr Philippe Duverger, pédopsychiatre, sur les effets de la rencontre soignant-soigné, une première enquête menée auprès de l'ensemble des internes du CHU d'Angers, toutes spécialités et disciplines confondues, a été présentée. Inscrite dans le cadre d'une thèse intitulée Fatigue compassionnelle et expérience traumatique, ont préciséLaurine Egreteau et Lucie Salmon, deux des auteurs, cette enquête a apporté un éclairage sur un trouble plus méconnu que le syndrome d'épuisement professionnel ou burn out, à savoir celui de fatigue compassionnelle.
Plusieurs types de souffrance professionnelle
Différentes formes de souffrance en lien avec un stress professionnel sont décrites dans la littérature, ont expliqué les auteurs de l'enquête. Si le burn out peut toucher toutes sortes de professions, la fatigue compassionnelle concerne les professionnels impliqués dans une relation d'aide, donc confrontés à la douleur physique ou psychique des autres. Les soignants sont donc particulièrement concernés, a fortiori ceux en contact régulier ou permanent avec des personnes directement traumatisées (par exemple aux urgences, en psychiatrie, etc.). Cette fatigue est décrite au départ par le chercheur américain Charles Figley comme "un état d’épuisement [...] résultant d’une exposition prolongée au stress de compassion et à ce qu’il implique chez le soignant" et le concept a évolué dans une dynamique plus psychotraumatique, a souligné l'une des internes. Si elle a une origine et un contexte professionnels, à la différence du burn out toutefois, cette usure empathique va affecter l'individu dans son ensemble (ses valeurs personnelles, sa vision du monde ou encore ses croyances) et conduire à un "état d'isolement et de détachement du soignant face à la souffrance du patient". Cette fatigue de compassion associe un épuisement professionnel et des traumatismes secondaires. Des facteurs de risque à la fois professionnels, personnels et organisationnels peuvent expliquer la plus ou moins grande vulnérabilité de certains professionnels à cette dernière.
Partant de l'hypothèse que les internes présentaient un risque d'être affectés par ce type de trouble, le travail a visé à évaluer ce risque et proposer des mesures de prévention. Après l'enquête réalisée entre avril et octobre 2017, l'analyse de 318 réponses exploitables — sur 545 répondants(2) —a été réalisée. Au sein du questionnaire, les internes devaient notamment renseigner des items de l'outil de mesure de la fatigue compassionnelle Professional Quality of life scale-ProQOL V, ainsi que leurs antécédents traumatiques et symptômes psychotraumatiques.
20% d'internes avec troubles de stress post-traumatique
La quasi-totalité des répondants ont déclaré une exposition à des évènements potentiellement traumatiques (97,8%) versus 30% en population générale. Près de 69% déclarent une exposition à un évènement traumatique personnel, 85,5% à un évènement professionnel. En moyenne, ce sont quatre évènements traumatogènes qui sont signalés par interne (vs deux à quatre en population générale, à l'échelle d'une vie entière). 20,7% des répondants présentent, selon les réponses fournies à l'auto-questionnaire Impact of event scale-Revised (IES-R), des troubles de stress post-traumatique.
Près de la moitié des répondants (inclus dans l'étude) se sont révélés satisfaits de leur compassion et avec peu ou pas de symptômes de fatigue compassionnelle (50,6%) et 8,8% peu satisfaits, mais sans symptômes ; 12,9% des sondés présentent un risque de burn out ; 14,8% un risque isolé de traumatisme secondaire et 12,3% des symptômes de fatigue compassionnelle. Pour ces derniers, les symptômes les plus fréquemment retrouvés sur le plan personnel sont le stress et l'anxiété, la dévalorisation de soi, l'humeur fluctuante, les troubles du sommeil, la tristesse ou encore l'irritabilité et la colère. Ils présentent également des comportements à risque, tels que la majoration des consommations de substances psycho-actives ou des consommations effectuées après des difficultés professionnelles. Les auteurs de l'étude ont par ailleurs signalé qu'aucune différence significative n'était apparue dans les résultats selon les spécialités.
Former aux risques et informer sur les vulnérabilités
Enfin, parmi les facteurs de risques professionnels pour ce type de trouble, ont été citées, entre autres, la faible fréquence et l'irrégularité de séances de débriefing avec les séniors, la rareté de consultations en médecine du travail ou encore des temps de vacances et récupération insuffisants. Face à ce risque inhérent au métier exercé, des stratégies peuvent être mises en œuvre pour en limiter l'impact telles que des consultations spécialisées, des débriefings centrés sur le vécu émotionnel de l'interne, le compagnonnage ou encore des formations pratiques incluant de la simulation. Avec l'idée qu'il est essentiel que les soignants soient conscients de leur vulnérabilité et de l'existence de différents facteurs de vulnérabilité. Et ce, de manière précoce dans leur carrière.
L'importance de la formation est également ressortie parmi les tendances à retenir des résultats affinés — mais qui ne sont toujours pas définitifs — d'une enquête de l'Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep), dans laquelle les internes en psychiatrie déclarent être très souvent confrontés à la violence au cours de leur exercice. Ces résultats préliminaires, sur un nombre croissant de répondants — par rapport à une première communication en janvier dernier (lire notre article) — ont également été présentés à Angers. Ainsi, 95% des 760 répondants à ce jour souhaiteraient une prise en charge des moments de violence dans leurs études. Près de 66% disent ne pas avoir reçu de propositions de formations à ce sujet. Enfin, seuls 25,6% des répondants ont pris connaissance à ce jour des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) parues en 2016 sur la prise en charge de la violence lors d'une hospitalisation en psychiatrie.
(1) Un congrès organisé par la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA) les 1er et 2 juin.
(2) Parmi les spécialités les plus "répondantes" ont été citées la gynécologie-obstétrique, la médecine générale, la pédiatrie, la médecine du travail, l'anesthésie-réanimation et la psychiatrie. Le taux de participation de 37,6% a été qualifié de "correct" par les auteurs présents au congrès.
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