—
Françoise Dolto avec ses enfants. De gauche à droite : Yvan-Chrysostome (Carlos), Catherine et Grégoire. Photo AFP
Pour Elisabeth Roudinesco, la grande psychanalyste Françoise Dolto mérite bien mieux qu'un documentaire mal fagoté et truffé d'erreurs diffusé sur France 3 ce mercredi pour célébrer les trente ans de sa disparition.
Amie et proche de Jacques Lacan, Françoise Dolto (1908-1988) a occupé une place considérable dans l’histoire de la psychanalyse de la deuxième moitié du XXesiècle, autant par son génie clinique et son écoute exceptionnelle des souffrances infantiles, que par son immense succès populaire en France.
Au cours des vingt dernières années de sa vie, elle participa en effet à de nombreuses émissions de radio –notamment avec Jacques Pradel – durant lesquelles elle intervenait dans la vie quotidienne des familles en faveur de «la cause des enfants». Elle marqua toute une génération d’éducateurs, de psychanalystes, de pédagogues, de journalistes et de mères de famille, en affirmant sans cesse qu’il fallait savoir parler aux enfants de tous les âges – y compris les bébés – et leur dire la vérité sur eux-mêmes et sur leurs origines. Dolto utilisait des mots simples mais elle s’exprimait dans une langue très vieille France d’une stupéfiante élégance. Elle faisait preuve d’un optimisme et d’une ferveur qui s’accompagnait d’un certain sens du tragique, lié à une sorte de pessimisme angoissé. D’où sa vision à la fois chrétienne, libertaire et rousseauiste de la destinée humaine.
Pour la célébration du trentième anniversaire de sa mort, qui sera, à la fin du mois d’août, l’occasion de multiples publications, elle aurait donc mérité un documentaire d’envergure. Au lieu de quoi, France 3 inaugure la «saison Dolto» par la diffusion, le 30 mai (1), d’un documentaire mal fagoté (la Révolution Dolto, 20h50), couleur bonbon acidulé, truffé d’erreurs, et dont les malheureux intervenants – 18 en tout – filmés à la va-vite semblent ignorer à quelle sauce ils vont être mangés. Le commentaire dit par Gérard Miller ajoute à ce désastre une tonalité d’un autre âge : entre affirmation péremptoire et avalanche de clichés. En bref, tout au long de cette hagiographie d’une Bécassine, on assiste à un amoncellement d’images d’enfants et de bébés, sur fond de cours de récréation, d’activités périscolaires et de biberons Dodie.
Mais le plus grave c’est que ce documentaire laisse entendre qu’avant Dolto les enfants européens étaient partout traités comme des esclaves par des parents et des éducateurs monstrueux. Pas un mot sur la naissance des droits de l’enfant à la fin du XIXe siècle, pas une mention concernant les pionniers de la psychanalyse des enfants depuis le début du XXe siècle, à Vienne, à Londres ou à Paris. Ni Anna Freud ni Melanie Klein – toutes deux fondatrices de l’approche psychanalytique des enfants – ne sont nommées, pas plus d’ailleurs que Donald Woods Winnicott, John Bowlby, figures éminentes de l’école anglaise. Pas une seule référence à la France : Sophie Morgenstern, Édouard Pichon, Eugénie Sokolnicka, Jenny Aubry, Maud Mannoni, etc. Rien sur les psychologues de l’enfance, d’Henri Wallon à Jean Piaget.
Ainsi Dolto serait-elle seule à avoir tout inventé : les jeux, les dessins, les consultations hospitalières, la psychologie de l’enfant, etc. Ce n’est pas servir cette grande dame, qui se réclamait d’ailleurs de ses maîtres, que d’en faire un portrait aussi ridicule au point de la comparer à une «petite fille de conte de fées».
Quant aux erreurs, elles sont légion. N’ayant pas lu une ligne de l’œuvre de Dolto et pas un mot de sa correspondance, les auteurs de ce documentaire la présentent comme une républicaine pur sucre, oubliant qu’elle était issue d’une famille de polytechniciens et de militaires adepte des idées de Charles Maurras et qu’elle fut élevée selon les principes de cette grande bourgeoisie dont l’opinion était façonnée par la lecture quotidienne de l’Action française. Ils oublient que si elle a pu s’arracher à son milieu en poursuivant des études de médecine et en croisant l’histoire du freudisme français, elle ne fut jamais ni féministe, ni engagée dans un combat politique, ni adepte de la laïcité républicaine. Dolto était un monument de paradoxes, hostile à l’avortement, familialiste, favorable aux écoles alternatives, attachée aux valeurs de la foi chrétienne et pourtant fascinante par la puissance de son amour vrai de l’enfance. Tous ceux qui ont suivi son enseignement savent à quel point elle savait entendre l’inconscient des enfants.
Pourquoi alors l’identifier à Simone Veil, alors qu’elle n’a pas parlé de l’extermination des Juifs, ou à Simone de Beauvoir, alors qu’elle n’a jamais eu la moindre relation avec l’existentialisme ? On se demande d’ailleurs ce que viennent faire dans ce documentaire les témoignages de deux excellentes historiennes, l’une spécialiste des bagnes d’enfants et l’autre de l’émancipation des femmes et qui, à l’évidence, ne savent rien de l’itinéraire de la grande psychanalyste ? Restent quelques belles archives parmi lesquelles Bernard Pivot interrogeant Dolto avec vigueur ou Catherine Dolto, adolescente, parlant de la difficulté d’être fille de psychanalyste.
Pour finir, notons ce commentaire qui résume le film : «Issue de la bonne société, elle aimait papoter avec les domestiques.» Françoise Dolto mérite mieux que cette insolente sottise. Il serait temps que d’autres émissions ou publications permettent de sortir Dolto de ce fatras de contre-vérités.
(1) La révolution Dolto, réalisé par Anaïs Feuillette et Gérard Miller, 20h50 ce mercredi soir sur France 3.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire