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Aux urgences du CHU de Nantes, en mars 2017.
Photo Loïc Venance. AFP
Ces services bondés risquent de décrocher brutalement si un plan, d’ampleur similaire à celui mis en place sous la pression de Patrick Pelloux après la canicule de 2003, n’est pas décidé très rapidement, alerte ce chef de service et député LR.
Je suis professeur de médecine et chef de service aux urgences depuis douze ans. D’un tempérament calme, j’essaye de ne plus trop m’émouvoir des difficultés. Pourtant, je n’ai jamais été aussi inquiet. Parlementaire lucide de l’opposition, je n’exige pas du président de la République une cagnotte qu’il n’a pas, ni n’accuse sa ministre d’une situation qui est ancienne. Mais je pèse soigneusement mes mots : si nous n’agissons pas, je crains, à terme, un décrochage brutal de notre capacité à prendre en charge les malades aux urgences des hôpitaux.
Auparavant, l’encombrement des services d’accueil des urgences (SAU) n’était évoqué qu’au moment de la grippe ou de la canicule. Désormais, ils sont saturés en permanence. Les effets sont connus : les taux de complications et d’erreurs de diagnostics augmentent, et les équipes sont fatiguées. Des personnes âgées dorment dans un couloir. Des patients cancéreux ou déments qui viennent mourir à l’hôpital peuvent passer leurs dernières heures aux urgences avec un personnel débordé qui ne les connaît pas.
Comment en est-on arrivé là ? A l’origine, les urgences avaient été créées pour les blessés de la route. Aujourd’hui, elles sont les couteaux suisses du système de santé et en sont devenues le témoin de ses dysfonctionnements. Elles sont les seuls lieux ouverts en permanence quand les autres acteurs sont absents ou défaillants. Or, il y a moins de médecins actifs qu’il y a dix ans en même temps que la population s’accroît, vieillit et comporte plus de malades chroniques. Pour que cette nouvelle population vive paisiblement à domicile, il faut pouvoir lui assurer une prise en charge en toutes circonstances. Seules les urgences en sont capables.
Il est aussi vain de regretter la présence des «petites» pathologies aux urgences. Quels autres choix ont les patients quand leur généraliste est débordé ? Et quand plusieurs avis sont nécessaires, ils croient qu’ils trouveront toujours plus rapidement la panoplie complète de spécialistes et d’examens aux urgences qu’en ville. Ne nous berçons pas d’illusions : le nombre de visites aux urgences, qui a doublé en vingt ans, ne faiblira pas spontanément.
Une vraie solution consisterait à construire des parcours de soins, comme d’autres pays l’ont fait. Mais même si on le faisait enfin, il faudrait du temps. Or, il faut une solution immédiate : un plan «urgences», d’ampleur similaire à celui mis en place par Xavier Bertrand sous la pression de Patrick Pelloux après la canicule de 2003.
Il faut d’abord diviser le pays en territoires au sein desquels la réponse à l’urgence sera normée. Une plateforme téléphonique ou numérique issue des actuels Samu - centres 15, et nourrie de «big data», y regroupera tous les acteurs de santé. Elle guidera le patient. Elle régulera peu à peu l’accès aux SAU en envoyant le patient vers le service le moins chargé ou en lui fixant immédiatement un rendez-vous avec un professionnel dont le planning sera en ligne au titre de sa participation à la permanence des soins.
Environ 20 % des patients qui vont aux urgences sont hospitalisés et nécessitent un lit. Mais aussi incroyable que cela paraisse, beaucoup d’hôpitaux ne connaissent jamais exactement le nombre de leurs lits réellement disponibles. Il en résulte un gâchis coûteux entre ces lits vacants d’un côté et les besoins non satisfaits des urgences de l’autre. Depuis janvier, plus de 100 000 malades ont dormi sur un brancard faute de lit ! Le 13 novembre 2015, à 20 heures, mon hôpital avait évalué qu’il avait quatre lits libres pour le SAU. A minuit, on en avait finalement «découvert» 40 sous la pression des blessés du Bataclan… Depuis, Martin Hirsch, à l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP - HP), et d’autres ailleurs ont créé des bed managersqu’il faut généraliser. La certification fixera le nombre minimum de lits à garantir à chaque SAU, avec l’objectif de zéro nuit dans un couloir.
Un élément clé consistera à doter les SAU de moyens humains et de matériels normés, et fixés par un décret sur la sécurité. Les services ne respectant pas ces règles de sécurité seront fermés. Les SAU moderniseront les pratiques comme les prescriptions par les infirmiers ou le rappel téléphonique du patient retourné chez lui. L’utilisation du «big data» y sera massive et permettra des consultations plus sûres et personnalisées. Les familles resteront en permanence informées, physiquement ou via des outils numériques.
Pour une même pathologie, un vieillard nécessite plus d’attention et de temps qu’un jeune. Or, les deux se retrouvent souvent mélangés dans la même file d’attente : tous les SAU ouvriront une unité dédiée aux patients âgés, avec un personnel spécialisé. On sait aussi que 40 % des transferts des maisons de retraite vers les SAU sont médicalement inutiles, coûteux et dangereux : ils seront réduits par des outils de télémédecine et de modélisation. Nul malade en fin de vie ne sera laissé aux urgences. Il sera admis en priorité dans une chambre calme de l’hôpital où le personnel le connaît.
Pouvons-nous payer un tel plan de sauvetage ? Oui. Il faut, certes, un rattrapage des moyens. Mais ces propositions offrent des gains d’efficience en articulant ce qui existe déjà. Des recettes seront générées, comme celles basées sur l’exploitation des data de l’assurance maladie. Une des clés de ce plan sera d’obliger les hôpitaux à publier leurs résultats, par exemple les délais pour réaliser un examen ou opérer les fractures du col du fémur (dont les complications augmentent après quarante-huit heures d’attente). Ces points seront validés lors des certifications.
La situation aux urgences est très préoccupante. Le ministère de la Santé a proposé une «stratégie nationale de santé» qui s’étale sur trop d’années et qui ne semble pas avoir pris la mesure de ce fait majeur : le recours massif des Français aux urgences est durable. Mais la ministre connaît bien l’hôpital. Elle doit analyser, en scientifique, les faits. Car la crise des urgences n’est rien par rapport à celle qui se prépare si nous n’agissons pas. Il faut un plan de combat pour les urgences.
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