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lundi 23 avril 2018

Faire de l’expérience de la maladie son métier

Epreuve douloureuse, la maladie peut devenir l’occasion de se reconvertir dans l’éducation thérapeutique. Des diplômes universitaires existent pour les patients et les soignants qui veulent se tourner vers ces nouveaux métiers.

LE MONDE  | Par 

Avoir été malade, et apprendre à faire de cette expérience éprouvante une profession.
Avoir été malade, et apprendre à faire de cette expérience éprouvante une profession. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Des cours peu ordinaires se déroulent au troisième étage d’un bâtiment de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, dans le cadre de la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie (Sorbonne Université). Au programme de cette matinée de mars : « techniques de préservation de la fertilité après un cancer », « prise en charge de la douleur », « sexualité et cancer ».


Les 26 étudiants – jamais avares de questions, de remarques ou de plaisanteries devant les intervenants spécialisés – ne sont ni des internes ni des soignants, à l’exception d’un médecin : ce sont des patients, toujours en traitement ou en rémission d’un cancer. Leur âge varie entre la trentaine et la soixantaine. Venus d’horizons professionnels divers, ils se forment à l’écoute active, au partage de l’expérience de leur maladie et de leurs traitements, en vue d’agir en tant qu’intermédiaires entre le corps médical et les malades, notamment. Ils suivent le cursus d’un diplôme universitaire (DU) pour exercer, à temps plein ou partiel, de nouveaux métiers : « patient expert », « patient partenaire » ou « patient enseignant ».

Accompagner les salariés malades


Sandrine Doczekalski, 38 ans, était styliste chez Sonia Rykiel lorsqu’on lui a diagnostiqué un lymphome de Hodgkin, une forme de cancer du système lymphatique. « J’ai abandonné mon métier pour me soigner et parce que toutes mes priorités ont été remises en question », dit-elle. Elle s’est formée en sophrologie et entend aller plus loin dans l’aide aux autres. Carole David, 47 ans, guérie d’un cancer du sein, a repris son ancien travail chez Axa, mais voudrait créer, au sein de son entreprise, une unité pour accompagner les salariés souffrant d’un cancer ou d’une autre pathologie lourde. Naïma Françoise, 53 ans, doit suivre un traitement de chimiothérapie à vie. Juriste dans un cabinet de consultants, elle s’est arrêtée de travailler neuf mois. « Je veux faire quelque chose des épreuves que je continue de vivre, dit-elle. Je sais qu’il y a des gens qui souffrent de maladies chroniques et qui ne peuvent pas ou n’osent pas en parler. »

Ce groupe, féminin en grande majorité, prépare un DU intitulé « accompagnant de parcours du patient en cancérologie ». Il a été créé en 2016, en même temps que celui dénommé « démocratie en santé ». Ce dernier est destiné à former les responsables des nombreuses associations de patients qui ont vu le jour, afin qu’ils représentent les usagers dans la gouvernance des hôpitaux ou dans les instances nationales et régionales de santé, comme le prévoit la loi de 2016. Destiné au départ aux seuls soignants, le DU en éducation thérapeutique, le plus ancien et le plus général, a peu à peu intégré des patients. Pour ceux qui veulent poursuivre leurs études après un DU, un master est proposé, ainsi qu’un doctorat.

« Nous avons été la première université au monde à délivrer ces diplômes à des patients », souligne Catherine Tourette-Turgis, l’enseignante-chercheuse qui, avec la foi du charbonnier, a fondé en 2009 la première université de patients de France, au sein de la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie, à Paris. Elle a fait des émules : l’université de Grenoble-Alpes propose un DU en éducation thérapeutique, et celle d’Aix-Marseille, un certificat universitaire.

La fin de la passivité du malade


Le concept de patient expert, né en Californie de la douloureuse expérience des malades du sida avant les trithérapies, auprès desquels Mme Tourette-Turgis a travaillé, a essaimé au Canada, au Royaume-Uni, en Belgique et en Suisse notamment, sans qu’il soit question de diplôme. De nombreuses associations de patients proposent aussi des formations – non diplômantes – en éducation thérapeutique, à Paris et en régions. Mais, en France, la caution universitaire confère souvent davantage de légitimité. « Depuis que les progrès médicaux ont transformé la plupart des maladies mortelles en maladies chroniques et que l’avènement d’Internet a vu se multiplier sites de patients, blogs et forums, les malades deviennent des experts qui en savent presque autant que leur médecin », argumente sur son blog la professeure fondatrice de l’Université des patients.

L’évolution du monde médical dans les pays occidentaux, qui ont tous pris un tournant ambulatoire, accentue le besoin d’intermédiaires, à l’heure où les malades ont cessé d’être passifs devant les mandarins. Parallèlement, les restrictions financières imposées aux hôpitaux mettent de plus en plus leur personnel sous pression (voir Le Monde du 17 mars). « C’est le syndrome de la main sur la poignée de porte – signe que la consultation est terminée même si le patient n’a pas tout compris et se pose d’autres questions », résume d’un trait Isabelle Lecocq, animatrice-pédagogue dans plusieurs DU de l’Université des patients.

Grâce aux progrès de la médecine, « le nombre de patients chroniques est passé en France de 5 millions dans les années 2000 à quelque 20 millions actuellement. Or, l’hôpital a été conçu pour soigner les maladies aiguës, pas pour prendre en charge les maladies chroniques », observe Catherine Tourette-Turgis.

Emploi salarié


Jusqu’à présent, 123 patients ont été diplômés (niveau DU ou master) à l’Université des patients de Paris, dont 10 % ont trouvé un emploi salarié (coordonnateur de programmes à l’hôpital, médiateur en santé, formateur, etc.). Atteinte de la maladie de Crohn et d’une spondylarthrite ankylosante, Corine Devos, 53 ans, dit avoir « souffert pendant sept ans de n’avoir pas été associée aux décisions médicales [la] concernant ». Dans un premier temps, la future patiente experte a « rebondi dans le bénévolat, l’animation d’ateliers et les interventions dans les hôpitaux en tant que patient partenaire ». Finalement, sa maladie et son DU lui ont « offert l’opportunité de développer des compétences que je n’aurais jamais cru acquérir ».

A l’issue d’une chimiothérapie lourde, Guillaume Lionet, 47 ans, n’a jamais repris son job de chasseur de têtes dans la finance. « Pour donner un sens à ce que j’avais vécu, j’ai d’abord fondé l’association Fight Club Cancer, afin d’offrir ce qui m’a manqué : un accompagnement mental et social, dans un cadre où chacun puisse parler de sa situation sans tabou », raconte-t-il. Avec d’anciens patients, il a créé début 2017 la société de conseil K-Consulting. Elle propose aux employeurs un accompagnement individuel ou collectif du salarié, pendant ses traitements et au moment du retour au travail.

La faculté de médecine de l’université Paris-XIII de Bobigny (Seine-Saint-Denis) réalise, quant à elle, une autre première française en employant, depuis janvier 2016, des patients experts rémunérés comme vacataires. Ils assurent, en binôme avec des enseignants médecins, la formation des internes en médecine générale et participent à leur évaluation. « Ce qui était au départ une expérimentation est devenu programme. Et nous allons l’étendre au niveau du deuxième cycle », indique Olivia Gross, docteure en santé publique et chercheuse au laboratoire d’Educations et pratiques de santé de Paris-XIII. Marie Citrini, patiente enseignante, suit le même groupe d’internes depuis trois ans. « Ils n’ont plus peur de nous et mesurent, à partir des cas pratiques qui leur ont posé problème en stage, ce qu’on peut leur apporter », commente-t-elle.

« L’intégration du patient dans le système de santé est devenue indispensable », conclut Catherine Tourette-Turgis. Pour la renforcer, la professeure a pour projet de créer d’autres diplômes universitaires, dont un sur la relation parents-enfants malades.

Se former :


Les DU de la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie (Paris) Durée : 120 heures en 7 sessions de 2 jours + e-tutorat. Conditions d’admission : niveau bac + 2, lettre de motivation, entretiens. Coût : 689 euros. Possibilité de bourses.
Le DU de l’université Grenoble-Alpes. Durée : 104 heures en 7 sessions de 2 jours + tutorat. Conditions d’admission : lettre de motivation. Coût : 928 euros
Le certificat de l’université Aix-Marseille. Durée : 1 an + 5 sessions de deux jours et un stage pratique. Conditions d’admission : « toute personne ayant une maladie chronique ». Coût : 105 euros

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