Un verre à moitié plein ou à moitié vide ? Dans la saga du baclofène, ce médicament utilisé par des centaines de milliers d’alcooliques pour se soigner, le revers est là, évident. Un comité d’experts missionné par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient en effet de juger son efficience limitée. «L’efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d’alcool a été jugée cliniquement insuffisante», estime ainsi ce comité, dont l’avis a été rendu public mardi soir par l’ANSM. «Ceci, ajouté à un risque potentiellement accru de développer des événements indésirables graves (y compris des décès) en particulier à des doses élevées, conduit à considérer que le rapport bénéfice/risque est négatif»,concluent ces experts.

Atermoiements

Voilà une opinion bien tranchée sur un sujet complexe, tant la prise en charge des grands alcooliques est délicate et sans certitude. Le baclofène est prescrit depuis les années 70 comme relaxant musculaire. Mais il a été peu à peu détourné de cette indication. En France, après bien des atermoiements, il est autorisé depuis 2014 pour traiter la dépendance à l’alcool, grâce à une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). En 2017, le laboratoire Ethypharm a fait une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) afin de le commercialiser spécifiquement dans le traitement de l’alcoolisme.
L’avis du comité d’experts intervient dans ce processus. Il est la première étape de cette demande d’AMM. La prochaine sera la réunion, les 3 et 4 juillet, d’une commission temporaire qui auditionnera les sociétés savantes et les associations de patients concernées. L’ANSM souligne que l’avis des experts ne préjuge pas de la décision finale. L’Agence «attend d’avoir l’ensemble des avis (sociétés savantes, associations de patients et experts de la commission) avant de se prononcer et de prendre sa décision d’AMM», a-t-elle indiqué à l’AFP.

Bataille judiciaire

En tout cas, l’avis des experts ne va pas satisfaire les associations de patients, qui s’étonnent vertement de son contenu : «Cet avis aboutit inexplicablement à des conclusions diamétralement opposées à celles de précédents comités d’experts qui avaient, eux, constaté l’efficacité et la sécurité du baclofène», a estimé ainsi le collectif Baclohelp qui, au passage, dénonce la composition dudit comité d’experts mandaté par l’ANSM, formé de cinq membres dont aucun n’est addictologue ni psychiatre. «Ça me dérange beaucoup que des gens qui n’ont jamais vu un patient puissent donner un avis», a réagi, pour sa part, le professeur Philippe Jaury, un des défenseurs de ce médicament. «Ça fait quarante ans que je m’occupe d’alcool, j’ai fait 200 000 consultations. Je n’avais jamais vu autant de bons résultats qu’avec ce médicament, et je les ai tous essayés.»
Parallèlement à cette demande d’AMM, le baclofène est au centre d’une bataille judiciaire, l’ANSM ayant décidé d’abaisser la dose maximale autorisée dans le traitement de l’alcoolisme à 80 mg par jour, contre 300 auparavant, l’agence s’appuyant sur une étude de l’Assurance maladie qui notait que le baclofène à fortes doses faisait plus que doubler le risque de décès par rapport aux autres médicaments contre l’alcoolisme. «Arrêtons ces positions définitives», nous disait alors le professeur Michel Reynaud. «On ne va pas supprimer le baclofène, il y a 100 000 patients qui l’utilisent. L’enjeu est de le prescrire au mieux, sans trop augmenter les risques.»