C’est un fait visiblement trop souvent oublié : notre droit permet déjà de punir toute relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur de 15 ans ou moins et ce, même si le consentement du mineur est revendiqué ou si le non-consentement n’est pas prouvé. C’est l’infraction d’«atteinte sexuelle». En l’absence de toute violence, contrainte, menace ou surprise, le code pénal réprime ces relations - qu’il s’agisse de simples attouchements ou d’actes de pénétration sexuelle. La seule majorité de l’un et l’état de minorité de l’autre suffisent à en permettre la répression jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.
Si la tentative d’atteinte sexuelle n’est pas en elle-même réprimée, le législateur, en 2007, a incriminé les propositions sexuelles faites à un mineur de 15 ans via Internet. Enfin, en cas d’agression ou de viol, l’existence d’un rapport d’autorité entre majeur et mineur est une circonstance aggravante, et la peine est alors extrêmement sévère, passant de quinze ans à vingt ans de prison. Il est difficile, quand on a connaissance de ces textes et conscience des applications qui en sont faites, de dire que la protection des enfants et des adolescents face à la sexualité des adultes serait ignorée de notre droit.
Le gouvernement se propose, sous la très forte pression d’associations, de modifier les infractions relatives aux relations sexuelles avec des mineurs. Mais le débat est très mal engagé. Les déclarations des uns et des autres, y compris des politiques, sont confuses. A les lire, le citoyen ignorant des réalités judiciaires serait porté à croire que les relations sexuelles d’un majeur avec un mineur de 15 ans ne sont incriminées que si ce mineur fait la preuve de ce qu’il n’était pas consentant. Répétons-le, et pour tout le monde : c’est faux.
Le projet de loi à venir dans les prochaines semaines semble vouloir édicter une présomption simple de non-consentement pour toute relation sexuelle avec un mineur de 15 ans. En effet, une présomption irréfragable - c’est-à-dire incontestable devant la justice - serait problématique au plan constitutionnel. Mais même si le législateur s’en tient à une présomption simple, il supprimerait, sauf preuve contraire, la notion d’atteinte sexuelle au profit des seules notions d’agression sexuelle ou de viol. Ne nous voilons pas la face, la défense sera bien souvent dans l’impossibilité de rapporter une preuve contraire. Les faits seront donc qualifiés de viol, un crime jugé aux assises, ou bien d’agression sexuelle. Pour un garçon de 18 ans qui aura eu une relation consentie avec un ou une jeune ado de près de 15 ans, on imagine les conséquences.
En appréhendant le réel avec pour seul outil l’âge au-dessous duquel on postulerait le non-consentement à l’acte incriminé, ce projet prend d’importants risques - bien plus importants encore si on retient le seuil de 15 ans plutôt que 13.
Il va à rebours de tout ce que les praticiens savent. Il ignore le fait que la maturité et le temps de l’éveil à la sexualité diffèrent d’une psyché à l’autre. Il ignore aussi totalement la dimension relationnelle de la sexualité et l’importance des écarts d’âge. Peut-on penser sous les seules notions d’agression et de viol, la relation sexuelle d’un mineur âgé de 13 ou 14 ans avec un majeur de 35 ans, de 20 ans, un mineur de 17 ans ou de son âge ? Car ne va-t-on pas aussi, tant qu’on y est, appliquer le nouveau texte aux relations entre mineurs ?
Ce projet ignore encore que les plaintes ne seront pas toujours déposées par des majeurs pour des faits subis du temps de leur minorité mais aussi par des parents qui ne supportent pas que leur adolescent découvre la sexualité avec quelqu’un du même sexe ou d’une autre couleur voire d’une autre condition sociale, d’une autre religion.
A tout prendre, et s’il faut bouger les lignes, on peut concevoir que le législateur veuille porter la peine maximale de l’infraction d’atteinte sexuelle à dix ans d’emprisonnement (le maximum pour les délits) en considération que les atteintes sexuelles peuvent causer des préjudices graves à de jeunes mineurs. Mais qu’on laisse le soin aux juges de trancher la question du consentement plutôt qu’instaurer un postulat sur l’âge auquel on est censé pouvoir consentir et découvrir la sexualité.
Il n’y a rien à gagner à écraser ainsi la complexité du réel, sa diversité, sous une présomption. Rien à gagner à vouloir retirer aux juges la possibilité d’énoncer l’acte commis sous des qualifications gradées, au plus près des faits qu’ils ont retenus. Cette faculté de graduer les situations est aussi de l’intérêt des victimes qui doivent pouvoir travailler sur la réalité qui leur est arrivée. Une réalité sanctionnée par le droit, plutôt qu’une fiction juridique d’un non-consentement universel avant 15 ans.
L’infraction d’atteinte sexuelle permet de sanctionner le fait pour un majeur d’avoir initié un mineur de 15 ans à la sexualité. En travestissant demain ces faits sous les qualifications de «viols» ou d’«agression sexuelle», nous risquons d’entretenir des confusions nuisibles non seulement aux auteurs, mais aux victimes. Et à notre société.