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mardi 27 février 2018

Neuilly-sur-Marne : Ville Evrard fête ses 150 ans et s’offre une deuxième vie

Sébastien Thomas S.T.|27 février 2018





Neuilly-sur-Marne, le 21 février. L’asile, classé, sera transformé. Des logements seront aménagés dans ce bâtiment vieux de 150 ans.LP/Sébastien Thomas

L’hôpital psychiatrique entame sa mue en vendant une partie de son patrimoine foncier. 2 000 logements devraient y voir le jour d’ici à 2023


L’établissement public de santé Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne fête cette année ses 150 ans d’existence. Durant toute l’année, plusieurs cycles de conférences, des expositions et des visites sont programmées.
Mais surtout, 2018 marque un changement dans l’organisation de l’établissement puisque la direction vient de vendre près d’un quart de son patrimoine foncier à un promoteur.
Avec près de 110 ha, Ville Evrard est l’un des plus gros propriétaires fonciers de la Seine-Saint-Denis. Un trésor non négligeable situé à moins de 15 km de Paris. Mais une partie importante des bâtiments n’est plus occupée. Avec le progrès de la psychiatrie, dans les années 1970, l’activité du site s’est réduite en permettant aux patients de vivre chez eux.

28 ha sur 110 sont cédés à un promoteur

« Mais entre le classement de certains bâtiments comme l’asile, la chapelle, la ferme, l’ancien château et deux pavillons de patients et le fait qu’un des terrains est en zone inondable, les négociations ont été compliquées, détaille Jocelyne Chatron, directrice de la communication de l’établissement. Cela a pris plus de 30 ans. »
Au total, l’établissement cède 28 ha au promoteur immobilier Altarea-Cogedim. Objectif pour le futur aménageur : la construction de 2 000 logements à partir de 2021, le temps, notamment, de faire modifier le plan local d’urbanisme.
Dans le détail, 1 650 logements vont sortir de terre, 200 vont être aménagés dans des bâtiments existants comme l’asile (qui est classé). Sont également prévus 150 logements sociaux pour étudiants, quatre maisons d’assistantes maternelles et 600m² de commerces en rez-de-chaussée. Les premiers logements seront livrés en 2023, les derniers en 2026.

« Grâce à l’argent de la vente, nous réhabilitons nos bâtiments »

« Nous transférons une partie de l’activité de l’hôpital et, grâce à l’argent de la vente, nous réhabilitons nos bâtiments, détaille Raphaël Penciolelli, à la direction du patrimoine et des travaux. Cela représente une enveloppe de 70 millions sur les 10 prochaines années. »
Cette seconde vie qui s’annonce pour l’établissement enchante sa directrice Sophie Albert, en poste depuis deux ans : « Nous préserverons l’âme de cet hôpital tout en le faisant évoluer, s’enthousiasme-t-elle. L’arrivée de futurs propriétaires va permettre d’intégrer un peu plus l’établissement dans la ville et de l’ouvrir sur le monde extérieur. »
Ainsi, la ferme, classée, va être reconvertie en pôle culturel avec expositions et conférences. La route principale qui traverse le site deviendra une voie publique. Au bout de celle-ci, une passerelle, réhabilitée, permettra d’accéder directement au parc de la Haute-Ile. Enfin, il est également prévu une école et une structure petite enfance. La municipalité a également proposé un terrain pour un lycée doté d’un gymnase.
L’incroyable musée qui retrace la vie de l’hôpital
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Neuilly-sur-Marne, le 22 février 2018. Odette Waks a été chef de service durant dix-sept ans à Ville-Evrard. Elle est maintenant à la tête de l’association historique du site. LP/Sébastien Thomas

« Ici sont réunis les souvenirs de 150 ans de travail et de souffrances. » La voix douce d’Odette Waks tranche avec la violence du propos. « Mais il y a eu aussi de bons moments », s’empresse-t-elle d’ajouter. Dans ce petit musée de la psychiatrie, la présidente de la société d’études et de recherches historiques en psychiatrie (Serhep) est comme chez elle. Il faut dire qu’elle a passé vingt ans dans l’établissement comme interne et comme chef de service.

« Quand j’ai commencé, dans les années 1960, on avait des techniques basiques pour soigner les patients : avec des électrochocs, par injection de la malaria pour leur donner de la fièvre, par la baisse du taux d’insuline afin de les plonger dans le coma ou encore en provoquant des crises d’épilepsie, se souvient-elle. C’était les seuls moyens de traiter leur psychose. Et puis les neuroleptiques ont tout changé. »

Autre révolution : la limitation de l’enfermement. Dans les années 1970, quand c’était possible, les patients étaient traités chez eux plutôt qu’enfermés à l’hôpital. « Résultat : de 2 000 malades dans l’établissement, on est passé à 200 aujourd’hui, détaille Odette Waks. C’était une vraie ville dans la ville. »

Le musée, lui, réunit des souvenirs encore plus anciens. Telle l’histoire de cette robe multicolore et de son chapeau exposés aux visiteurs (notre photo). « C’est une patiente qui l’a entièrement réalisée à la main au début du XXe siècle, raconte Odette. Elle la sortait le dimanche pour aller à la chapelle. Elle était surnommée la reine de Ville-Evrard. » Au fond de la salle, des ballotins de linge attirent l’œil. « Quand les patients mouraient, on ne pouvait pas jeter leurs vêtements et comme ils n’étaient pas enterrés dans l’hôpital, ces étagères représentent un peu leur tombeau. »

Le musée, ouvert au public tous les vendredis après-midi de 14 heures à 17 heures, fourmille de ce type d’anecdotes.
S.T.
Camille Claudel et Antonin Artaud y ont été internés
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DR.
Le plus illustre patient de Ville-Evrard est en réalité une patiente. La sculptrice Camille Claudel a passé une année dans l’établissement entre 1913 et 1914. C’est sa mère qui décide de la faire interner pour « tendance paranoïaque ». « Elle la coupe du monde extérieur et retient son courrier, ce qui va accentuer sa maladie », raconte Odette Waks, ancienne praticienne dans l’établissement désormais à la tête de l’association historique du site.

Dans un premier temps, elle est internée dans une unité plutôt luxueuse. Mais face aux dépenses, sa mère demandera qu’elle soit déclassée. « Dès son arrivée et pour le reste de sa vie, elle ne réalisera plus aucune œuvre », poursuit Odette Waks. Au début de la Grande Guerre, Camille Claudel est évacuée dans l’asile de Montfavet, à côté d’Avignon, où elle mourra en 1943, à l’âge de 79 ans, dont trente passés à l’internement.

Autre patient célèbre : le poète Antonin Artaud atteint de paranoïa sévère. Il n’est resté qu’un an dans l’établissement, entre 1942 et 1943. Il a eu le temps de rédiger plusieurs lettres qui ont été réunies, avec d’autres écrites depuis d’autres hôpitaux, dans un ouvrage. La plupart de ces courriers avaient été retenus par l’administration. Artaud y lance ses invectives, ses suppliques et ses cris de souffrance.

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