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A peine 0,8 % des Français avaient pratiqué
la vasectomie en 2013.
Photo Paul Graves
Si la loi de 2001 a rendu la pratique légale, les hommes et femmes qui souhaitent y recourir se heurtent au refus des médecins et à la pression familiale. Souvent réversible, cette méthode de contraception reste étrangère aux mœurs françaises, contrairement aux pays anglo-saxons.
Maria (1), tout juste 30 ans, est l’heureuse mère de deux enfants de 6 ans et 14 mois. Lors de sa seconde grossesse, son désir de maternité comblé, elle a pris la décision, en concertation avec son mari, de se faire stériliser. Confiante lors du premier rendez-vous avec son gynécologue, la jeune femme a vite déchanté : «Je ne veux pas être bourrée d’hormones toute ma vie. Durant ma grossesse, lorsque j’ai parlé de mon souhait de stérilisation à mon gynécologue, il a insisté pour me poser un stérilet en cuivre, que je n’ai pas supporté. Je suis donc revenue à la charge et il m’a rétorqué : "Si vous divorcez et rencontrez quelqu’un d’autre, je ne veux pas que vous veniez vous plaindre à ma porte." Je lui ai alors répliqué que même si cela arrivait, je ne voudrais plus d’enfant.»
Malgré tous ses arguments et notamment le fait qu’elle a subi une éventration lors de sa dernière grossesse, le médecin lui a opposé un refus catégorique : «Il voyait cela comme une mutilation et employait des termes culpabilisants. En sortant du cabinet, j’ai pleuré, choquée de ne pas pouvoir faire ce que je voulais de mon corps.»
Parcours du combattant
Absence totale de désir d’enfant, mauvaises expériences avec d’autres contraceptifs, rejet des hormones… Comme Maria, certaines personnes choisissent la stérilisation comme méthode de contraception. Depuis la loi du 4 juillet 2001, la contraception définitive est en effet autorisée pour toute personne majeure, indépendamment de son âge, de son statut marital et du fait qu’elle ait ou non des enfants. Une première consultation d’information doit avoir lieu avec un gynécologue ou un urologue, lors de laquelle le médecin doit s’assurer que la volonté du patient est «libre, motivée et délibérée». La seule obligation est de respecter un délai de réflexion de quatre mois, à l’issue duquel une seconde consultation a lieu et un consentement écrit est signé. Le praticien a le droit de refuser de réaliser l’intervention dès la première rencontre, mais il doit dans ce cas réorienter le patient vers un autre professionnel.
Environ 4,5 % des Françaises âgées de
15 à 49 ans avaient eu recours à la stérilisation
en 2016, selon l’Inserm. (Photo Paul Graves)
Malgré ce cadre légal, en France, la stérilisation peine à entrer dans les mœurs comme méthode de contraception. Adaptée aussi bien aux hommes qu’aux femmes, elle reste confidentielle en comparaison avec d’autres pays. Au niveau mondial, la première méthode contraceptive est la stérilisation féminine, choisie ou imposée, devant le stérilet et la pilule. Selon l’Institut national d’études démographiques, cela représente 30% des couples utilisant un moyen de contraception. Or selon le baromètre santé 2016 de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inserm), seules 4,5% des Françaises âgées de 15 à 49 ans ont eu recours à la stérilisation. En comparaison, une étude des Nations unies de 2013 estimait la part à 8% au Royaume-Uni, 11% au Canada et 22,1% aux Etats-Unis.
Depuis le retrait des implants Essure du marché européen en septembre, la stérilisation ne se pratique plus que par ligature des trompes de Fallope ou très rarement par salpingectomie (ablation d’une ou des deux trompes). Du côté de la stérilisation masculine par vasectomie (ligature des canaux déférents), les chiffres sont encore plus dérisoires. En 2013, 0,8% des Français y avaient eu recours contre 21% au Royaume-Uni, 22% au Canada et 11% aux Etats-Unis.
Une fois les personnes convaincues de l’intérêt de cette intervention, trouver un médecin qui accepte la stérilisation peut s’apparenter à un parcours du combattant. Pourtant, la pratique n’est pas irréversible : un médecin peut «réparer» les trompes des femmes comme dans le cas de la vasectomie pour les hommes, ou pratiquer une fécondation in vitro. «Les demandes de prise en charge augmentent légèrement depuis les scandales des pilules de troisième et quatrième génération. Ce qui est troublant chez certaines patientes, c’est l’âge. Pour les jeunes mères de 30 ans ne souhaitant plus d’enfant, la stérilisation est difficilement acceptée. J’ai déjà pratiqué quelques stérilisations sur de jeunes patientes, mais j’en ai au moins deux sur trois qui, au bout de dix ans, me rappellent en me disant qu’elles veulent un autre enfant. Dans ce cas, il est compliqué de réparer les trompes», explique Frédéric Sabban, chirurgien gynécologue à Paris.
Son confrère Luka Velemir, gynécologue obstétricien à Nice, note une majorité de demandes venant de femmes âgées de 35 à 40 ans. «Avant cet âge-là, j’ai la plus grande prudence à le faire. Les certitudes que l’on a à 20 ans ne sont pas les mêmes qu’à 30 ou 40 ans. Chaque personne doit pouvoir être respectée dans son choix, mais le médecin n’est pas obligé de dire oui à tout, il peut en référer à des confrères.» Alors, pour éviter les nombreuses déconvenues, une forme de solidarité s’organise entre les patients, notamment sur les réseaux sociaux. Comme ce groupe Facebook qui a élaboré un annuaire de praticiens volontaires.
Culture nataliste
En tant que femme nullipare (c’est-à-dire sans enfant), Anne-Sophie, 25 ans, a dû s’armer de patience avant de pouvoir être stérilisée, fin octobre. «J’ai commencé à m’intéresser à la procédure vers 22 ans pour une raison simple : un non-désir de maternité et une peur très forte d’une grossesse non désirée. Cela a été dur. Ma gynécologue a refusé sans discussion. Un autre, qui m’avait été conseillé, a également refusé sous le motif que son anesthésiste ne l’accepterait jamais. Et un dernier, en raison de mon âge.»
Le parcours difficile d’Anne-Sophie n’est, pour Nathalie Bajos, sociologue et directrice de recherches à l’Inserm, pas anodin : «Ne pas enfanter heurte de plein fouet la norme selon laquelle une femme ne peut être accomplie qu’en ayant des enfants. La stérilisation est extrêmement peu utilisée, du fait de son statut légal tardif, mais surtout parce que la France se caractérise par une culture nataliste très forte. Nous sommes le premier pays au monde à avoir entamé une transition démographique au milieu du XVIIIe siècle, un siècle avant les autres pays européens. Après la guerre contre la Prusse, puis la Première Guerre mondiale, il y a vraiment eu un discours nataliste pour repeupler le pays, marqué notamment par la loi de 1920 qui interdit la diffusion et la propagande de la contraception.»
La sociologue souligne également qu’en tant qu’acteurs sociaux, les professionnels de santé «sont porteurs des normes dominantes dans ce domaine». Elle ajoute : «On constate que, dans les consultations pour contraception, la stérilisation est très rarement présentée comme une des options possibles, contrairement au Royaume-Uni.»
Cette culture nataliste s’insinue également dans la sphère privée, se mue en une pression sociale et familiale parfois lourde à porter. Hector, 30 ans, n’a pas d’enfant, il est vasectomisé depuis trois ans. «Ma mère a très mal pris ma décision. Sur le moment, elle m’a lancé : "C’est comme si tu m’assassinais, tu supprimes la lignée." Elle a tout essayé pour empêcher l’opération et n’est pas venue me chercher à l’hôpital.»
«Affaire de femme»
Si Maria, contrairement à ses amies, a bénéficié de son côté de l’appui de son mari, ce dernier n’était toutefois pas enclin à passer sur la table d’opération, craignant une perte de virilité. Christophe, 45 ans, père de trois enfants, a aussi connu ces inquiétudes mais n’a pas hésité à sauter le pas en juin, après s’être bien renseigné : «Nous avons eu plusieurs accidents sous pilule et stérilet avec ma femme. J’en avais marre, je me suis dit qu’il était temps que je me responsabilise sur la contraception, que j’arrête de laisser ça seulement à ma femme. Elle a déjà subi des accouchements, des avortements, assume seule la contraception, avec les souffrances qui vont avec. C’était la seule chose que je pouvais faire pour elle et l’intervention ne change rien, si ce n’est que nous sommes plus libérés dans notre sexualité.»
Comme l’atteste le cas de Christophe, les hommes sont souvent écartés des questions de contraception en France, ce qui explique en grande partie le faible recours à la vasectomie. La sociologue Nathalie Bajos : «La contraception est devenue, avec la médicalisation, une affaire de femme. Avant la loi Neuwirth [en 1967], la contraception était bien plus partagée car les hommes étaient plus impliqués, notamment avec la pratique du retrait.» Un essor de la stérilisation masculine pourrait marquer le retour d’une contraception de couple.
(1) Le prénom a été modifié.
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