Dans une tribune au « Monde », le directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique considère qu’il revient aux patients, et non à une autorité administrative, de définir son parcours santé.
LE MONDE | | Par Laurent Chambaud (directeur de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP))
Tribune. Le terme de parcours est en train de devenir un mot magique dans le domaine de la santé. C’est aujourd’hui l’expression consacrée pour caractériser les évolutions nécessaires permettant de répondre aux attentes des patients, des usagers ou des citoyens. Citée abondamment dans la loi de modernisation de notre système de santé (votée en 2016), cette notion est évoquée à de nombreuses reprises dans la stratégie nationale de santé définie le 29 décembre dernier. Mais qu’en est-il exactement ?
Le vocable de parcours apparaît dans la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance-maladie. Il s’agissait, à l’époque, d’instituer un parcours de soins coordonnés et de revaloriser ainsi le rôle du médecin traitant, chargé de coordonner les différentes interventions professionnelles autour du patient. L’utilisation du terme parcours faisait donc référence à une filière de prise en charge, notamment pour l’accès au médecin spécialiste en médecine ambulatoire.
Il serait urgent, à l’heure où le terme parcours est constamment utilisé, de s’interroger sur sa définition
Depuis cette époque (et même avant), les critiques se sont accumulées sur notre système de santé, dénonçant principalement, à l’instar de ce qui se passe dans de nombreux pays, une organisation fortement cloisonnée et se trouvant dans l’incapacité de répondre aux nouveaux besoins d’aujourd’hui (accroissement des maladies chroniques, vieillissement de la population…) et à ceux de demain.
C’est dans ce contexte que la notion de parcours a fait florès en France, mais en y accolant d’autres termes rendant le concept de plus en plus flou : parcours de soins pour certains, de santé pour d’autres, de vie parfois, voire parcours du combattant lorsqu’il s’agit d’exprimer la difficulté pour le patient de s’y retrouver. Pourtant, il serait urgent, à l’heure où le constat semble consensuel et le terme parcours constamment utilisé, de s’interroger sur sa définition. Qu’est-ce qu’un parcours ? Que recouvre-t-il ? Qui décide des parcours ? Quel usage en fait-on ?
Politique du millefeuille
Tout le monde s’accorde sur un point : notre système de santé doit évoluer. Il souffre avant tout d’un cloisonnement multiple : entre soins et prévention, entre l’hôpital et la ville, entre soins actifs et lieux d’hébergement, entre intervention en santé et intervention sociale. Depuis de nombreuses années, la réponse à cette difficulté a été recherchée dans des mécanismes de coordination des interventions. A cet égard, l’imagination administrative semble ne pas avoir de limites : développement des réseaux de santé ou de soins, déploiement des CLIC (Centres locaux d’information et de coordination) puis du programme PAERPA (Parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie), développement des MAIA (Maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer), création, en 2016, de plates-formes territoriales d’appui chargées de « coordonner les parcours de santé complexes ». La liste est loin d’être exhaustive… On le voit, la politique du millefeuille a de beaux jours devant elle. Ce qui fait dire à l’Inspection générale des affaires sociales, en parlant des dispositifs de coordination : « Cette situation conduit à organiser la coordination de la coordination, dans une fuite en avant nuisible tant à l’efficacité qu’à la lisibilité pour les principaux intéressés. »
Mais le parcours, c’est tout de même et avant tout le chemin que chaque personne décide d’emprunter. A l’heure où il est fortement souhaité que le patient, l’usager ou le citoyen retrouve le pouvoir sur sa santé (ce que l’on appelle maintenant empowerment, terme difficile à traduire), où constamment les discours placent le patient au centre des préoccupations, ces itinéraires ne peuvent être prédéfinis par une autorité administrative ou par les professionnels de santé. Ils doivent être décidés par chacun d’entre nous, dans un choix éclairé.
Double risque
La technocratisation des parcours dans le domaine de la santé porte un double risque. D’une part, le danger existe d’une forme de confiscation de la liberté de chacune et de chacun de choisir ce qui est le mieux pour elle ou pour lui. Qui définira ce qu’est un « bon » parcours, et sur quels critères ? Ne peut-on voir apparaître une volonté de sélectionner des « parcours types » en fonction de pathologies ou de groupes de personnes ? Et qu’adviendra-t-il si une personne souhaite un « itinéraire différent » ?
Le second risque est d’éviter de toucher à l’organisation même du système. Les acteurs, les manageurs vont travailler sur les parcours, se réinterroger une énième fois sur la coordination des interventions et mettre de côté la nécessité de réorganiser les services, pourtant construits et financés en silos.
Les enjeux sont aujourd’hui clairs : il faut assurer une continuité des soins et des services sur tous les territoires. C’est que l’on appelle, dans de nombreux pays, des soins « intégrés ». Ce terme est employé depuis plusieurs années par l’Organisation mondiale de la santé pour promouvoir des services de santé intégrés et centrés sur la personne.
Nous pouvons aujourd’hui passer aux actes en assurant la promotion d’un tel modèle. Les soins et services intégrés incitent à modifier les organisations pour éviter les ruptures et garantir une coordination des interventions. Ils organisent l’offre pour répondre aux attentes des populations, mais ne décident pas à la place de chaque personne du parcours qu’elle souhaite emprunter pour promouvoir ou rétablir sa santé.
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