A l’hôpital Saint-Antoine, à Paris,
le 5 octobre 2017.
Photo Edouard Caupeil
Des médecins et cadres de la santé dénoncent un système à bout de souffle et les dérives de la tarification à l’activité. Un récent audit, réalisé après le suicide d’un neurochirurgien au CHU de Grenoble, permet de mesurer l’ampleur du malaise.
C’est inédit dans l’histoire des hôpitaux. Plus de mille médecins et cadres de santé, venant de toutes sortes d’établissements, hôpital local comme centre universitaire, répartis sur toute la France, ont signé un appel s’alarmant de la situation dramatique des hôpitaux français et pointant un système de financement, avec la tarification à l’activité (T2A), à bout de souffle, devenant une menace pour la qualité des soins.
Il est rarissime que médecins et personnels soignants se retrouvent dans une même mobilisation, avec un même sentiment d’urgence et d’inquiétude, chacun étant plutôt replié, d’ordinaire, sur son service et sa fonction. «L’année 2018 est vraiment celle de tous les dangers et de toutes les incertitudes», lâche ainsi un ancien syndicaliste hospitalier qui constate que «ce mouvement n’est pas initié par les organisations syndicales, même si celles-ci l’accompagnent pleinement».Cette pétition est née de l’entretien donné dans Libération par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en décembre. Celle-ci évoquait sans fard la crise hospitalière : «Nous sommes arrivés au bout d’une histoire et d’un système, disait-elle. Avec la tarification à l’activité, la T2A, ce système a fait croire à l’hôpital public qu’il devait se concentrer sur des activités rentables, qu’il devait se sentir une âme d’entreprise. […] Nous avons risqué de faire perdre le sens de la mission de l’hôpital aux équipes en leur faisant croire qu’elles ne devaient faire que la rentabilité. Les équipes hospitalières ont été malheureuses de ce virage. Et cette logique est arrivée à son terme.»
La T2A, mère de tous les maux ? C’est sur elle que se focalise la colère du monde hospitalier. Conçu il y a plus de dix ans, ce système visait à financer les hôpitaux en fonction de leurs activités, ces dernières étant calculées à partir de groupes de malades homogènes avec des prises en charge standards. Il fallait, disait-on alors, mettre un peu de transparence dans les gestions des établissements. Certes… Mais cette réforme est mal tombée. Elle a débarqué en même temps que la rigueur budgétaire s’est installée. Et portait en elle des risques de dérapage : des activités seraient bien rémunérées, d’autres moins. La plupart du temps, l’aspect relationnel de la prise en charge était peu pris en compte. Aujourd’hui, ce système tourne à l’absurde. Les autorités demandent aux hôpitaux de dépenser moins, mais elles les poussent à augmenter leur activité, en tout cas les plus rentables, pour être bénéficiaires. A cela, se sont ajoutées la gestion catastrophique des 35 heures, et une non-gestion des ressources humaines, sans oublier la particularité française d’avoir un parc hospitalier trop éclaté. Au final, la marmite ne tient plus. Le président de la Fédération hospitalière de France, Frédéric Valletoux, le constatait amèrement dans nos pages : «L’hôpital est aujourd’hui en bout de course, avec un système de financement qui ne fonctionne plus. Son déficit est inquiétant. Il va atteindre 1,3 milliard, et on nous demande en plus 1,6 milliard d’économies, comment fait-on ? Le problème est que nous sommes confrontés à un double discours : un langage rassurant au niveau national, mais au niveau de la région, une pression maximum des agences de santé. On va dans le mur.»
Pour les 1 000 signataires, le mur est là, à portée de vue. La preuve en est que cet appel, lancé à l’initiative des professeurs André Grimaldi, Jean-Paul Vernant et de la docteure Anne Gervais, a reçu un écho quasi immédiat. Depuis six mois, les poussées de fièvre se multiplient. A Paris, l’Assistance publique a connu en 2017 un déficit inédit. Cela devrait irrémédiablement se traduire par des mesures sur l’emploi. Un autre cas, plus dramatique celui-là, s’est passé au CHU de Grenoble, établissement de pointe, avec le suicide, en novembre, d’un jeune neurochirurgien dans le bloc opératoire. Devant les tensions qui se sont manifestées, la ministre a demandé au médiateur national, Edouard Couty, de réaliser un audit de la situation du CHU. Rendu public il y a dix jours, celui-ci est terrifiant, car d’une terrible banalité. D’abord, ce constat : «Au cours de la mission, d’autres conflits - maltraitance ou cas de souffrance au travail -, ont été signalés dans d’autres services du CHU… Des praticiens hospitaliers en souffrance dans différents secteurs ont fait état de difficultés de communication, d’absence de considération ou de participation, voire de harcèlement moral.» Puis, Edouard Couty s’inquiète d’un «management très orienté vers les problématiques budgétaires». «Certes les difficultés budgétaires justifient un management très serré, très attentif à la maîtrise des dépenses et à la production des recettes par une activité soutenue» mais, note le médiateur, «il manque une attention particulière aux difficultés et aux souffrances des personnels, il manque un accompagnement et une gestion personnalisée des personnes en grande difficulté. On sait que plus les difficultés budgétaires ou organisationnelles sont grandes, plus cela exige une grande disponibilité et une grande capacité d’écoute des responsables». Ou encore : «Le discours gestionnaire, de rigueur, qui adopte souvent les mots - et les anglicismes - du management de l’entreprise n’est compris et admis que lorsque s’est instaurée au préalable une relation de confiance. Dans le cas contraire, la défiance qui s’installe durablement est renforcée par ce discours et participe du caractère délétère du climat général dans l’établissement.»
«Génération T2A»
L’air hospitalier est partout chargé d’orages. A tout moment, cela peut déraper. «Ce qui est nouveau, comme on le voit par exemple dans les mouvements des hôpitaux à Marseille, remarque un ancien chef de service de chirurgie, ce ne sont pas les vieux mandarins qui montent au créneau, mais toute une génération de médecins et de cadres de santé : la génération T2A. Celle-ci dit qu’elle n’en peut plus.» Agnès Buzyn a annoncé qu’il y aurait en 2018 un plan hôpital. C’est peu dire qu’il est attendu.
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