Dans une tribune au « Monde », 110 signataires, dont Elisabeth Badinter, Pierre Rosanvallon et Irène Théry, demandent une réforme urgente des lois de bioéthique.
LE MONDE | | Par Collectif
Tribune. Nous, associations de lutte contre l’infertilité, citoyens engagés en faveur de l’égalité des droits, demandons que le débat qui va s’ouvrir à l’occasion de la révision des lois de bioéthique soit un véritable débat, et de ce fait, inclue la gestation pour autrui (GPA). En effet, cette dernière fait partie des techniques d’assistance médicale à la procréation selon l’Organisation mondiale de la santé qui en a donné une définition précise.
1. Les enfants nés par le recours à la GPA sont là. Ils ont des parents, hétérosexuels ou homosexuels. Ils sont des milliers, de plus en plus visibles, on ne peut plus les ignorer comme des fantômes et faire comme s’ils n’existaient pas. On ne peut pas continuer à bafouer leurs droits en ignorant les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui ne cesse de condamner la France. La Cour de cassation a proposé une voie discriminante à l’égard des femmes qui ne peuvent porter un enfant puisqu’elle les efface purement et simplement de l’acte de naissance transcrit (filiation paternelle exclusivement reconnue). Pourquoi les adaptations juridiques tenant compte des condamnations de notre pays par la CEDH pour manquement aux droits de l’homme devraient-elles être apportées uniquement par les juges ?
C’est ici le rôle et la responsabilité du législateur, en relation avec la société, de faire évoluer le droit. Nous demandons la transcription intégrale à l’état civil français de la filiation de l’enfant établie légalement à l’étranger à l’égard de ses parents. Les Français y sont favorables dans leur écrasante majorité (71 % – sondage IFOP – juin 2017).
2. Il faut lutter efficacement et avec détermination contre les dérives de la GPA et les mafias qui en profitent, au-delà de la réforme urgente qu’appellent les droits fondamentaux des enfants à leur filiation. Nombreux sont ceux, en France, qui s’alarment à juste titre de la marchandisation et de la réification dont peuvent être victimes des femmes pauvres dans certains pays, mais aussi des parents d’intention qui se font maltraiter et les enfants qui peuvent se retrouver dans des tourments dramatiques. Eh bien, combattons ces situations odieuses !
A l’image de la convention de La Haye encadrant l’adoption internationale et luttant contre les trafics d’enfants, nous prônons une convention internationale sur la GPA, condamnant de façon efficace toutes les atteintes aux droits fondamentaux des personnes, seul moyen de lutter contre les situations où la dignité des femmes et la sécurité des enfants ne sont pas respectées.
3. Enfin, il est temps d’ouvrir sur la GPA en général un débat serein, argumenté et informé. Il existe dans de grandes démocraties des protocoles de GPA pensés et aménagés de façon parfaitement éthique, et dont les pratiques sont étayées par des études validées. Plusieurs pays voisins, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce, ont déjà débattu et même légalisé la GPA sur leur sol. Aujourd’hui, la réalité des nombreux témoignages vient contredire les fantasmes brandis par certains.
« RIEN DANS LE DROIT NE PRESCRIT QUE LA FILIATION DOIVE IMITER LA NATURE. »
Les controverses sur la GPA transcendent les appartenances politiques ; mais nous savons aussi que ses adversaires les plus acharnés sont souvent ceux qui se sont opposés naguère à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse, à la procréation médicalement assistée (PMA). Nombre d’entre eux n’acceptent toujours pas l’homoparentalité, alors que la loi de 2013 a tranché. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé : rien dans le droit ne prescrit que la filiation doive imiter la nature. Nous disposons des moyens de débattre de façon apaisée grâce aux témoignages des personnes concernées, des enfants ainsi nés, des études faites par les chercheurs et des associations spécialistes.
Aujourd’hui, nous demandons une réforme urgente sur la transcription de la filiation, une implication de la France dans une convention internationale contre les atteintes aux droits des personnes, et un vrai débat de fond sur la GPA, au nom des enfants qui en sont nés à l’étranger, au nom de leurs familles et amis, au nom des associations que nous représentons, au nom des experts et personnalités signataires de ce texte, au nom du principe de réalité, au nom de la dignité des personnes considérées. L’opinion publique est prête. Les Français vont même plus loin que la demande exprimée dans cette tribune : ils sont 64 % à envisager une forme de légalisation de la GPA, selon le dernier sondage IFOP pour La Croix et le Forum européen de bioéthique de janvier 2018, confirmant une tendance favorable depuis dix ans.
Les premiers signataires de ce texte sont : Michèle André (sénatrice honoraire, ancienne secrétaire d’Etat), Elisabeth Badinter (philosophe),Laurence Brunet (juriste), Geneviève Delaisi de Parseval (psychanalyste), Annie Ernaux (écrivaine), Anne Fagot-Largeault (professeure émerite au Collège de France), Maurice Godelier (anthropologue), Martine Gross (sociologue), Michael Grynberg (gynécologue obstétricien),Christophe Honoré (cinéaste), Dominique et Sylvie Mennesson (coprésidents de l’association Clara), Jacques Milliez (membre de l’Académie nationale de médecine), Alain Milon (sénateur LR du Vaucluse), Israël Nisand (gynécologue obstétricien), François Olivennes (gynécologue obstétricien), Michelle Perrot (historienne), Laëtitia Poisson-Deleglise (présidente de l’association MAIA), Muriel Robin (humoriste et comédienne), Pierre Rosanvallon (professeur au Collège de France), Elisabeth Roudinesco (historienne de la psychanalyse), Alfred Spira(membre de l’Académie nationale de médecine), Irène Théry (sociologue) et Alexandre Urwicz (président de l’Association des familles homoparentales).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire