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Arthur et Audrey Kermalvezen, le 15 janvier à Paris.
Photo Cyril Zannettacci pour Libération
Figure de la lutte contre l'anonymat des dons de sperme, cet agent commercial de 34 ans a fini par lever le voile sur le nom de son père biologique.
Un coup de fil au lendemain du réveillon de Noël. Arthur Kermalvezen, 34 ans, promène ses deux petits garçons en voiture dans l’espoir de les faire dormir. Il s’arrête, décroche, entend cette phrase énigmatique : «Allô Arthur, qui peut t’appeler un 25 décembre à 10 heures ?» Non, vraiment, Arthur Kermalvezen ne voit pas qui peut lui téléphoner si tôt ce matin-là. «Bravo de m’avoir retrouvé», lui dit l’homme. Vertige. Plus que jamais, Arthur, que l’on appelait petit «le trouveur»,mérite son surnom. Depuis toujours ou presque, il est à la recherche de son géniteur dans un pays, la France, où les dons de sperme sont strictement anonymes.
En ce jour de Noël, fin de sa quête. L’homme qui appelle, un donneur de sang assidu, a un jour été sollicité pour un don de gamètes. C’était dans les années 70. «J’ai retrouvé une partie de mes origines masculines, explique Arthur Kermalvezen. Je sais maintenant que je suis né grâce à l’une de ses paillettes qui est restée congelée une dizaine d’années. Depuis ce premier coup de fil, je lui pose des questions, il fait tout pour me répondre. Mais je ne peux pas donner son nom, car toute sa famille n’est pas au courant de l’histoire.»
«Mettre un visage»
Ce lundi, dans un café près de l’Assemblée nationale, Arthur Kermalvezen tient à raconter son histoire, à quelques jours du lancement des états généraux de la bioéthique 2018 qui devraient permettre de débattre, entre autres, de l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes, mais aussi de ce délicat sujet de l’accès à leurs origines de ceux qui sont nés grâce à un don. Une question verrouillée dans l’Hexagone : «On m’a toujours dit que les donneurs ne voulaient pas rencontrer celles et ceux auxquels ils ont permis de naître. Mais on fait surtout tout pour nous décourager de rechercher nos origines.» A ses côtés dans ce café, sa femme, Audrey, 37 ans, avocate spécialisée en bioéthique, elle aussi née d’un don de sperme. Arthur a toujours su comment il avait été conçu, Audrey, elle, ne l’a découvert qu’à 29 ans : «La banque de sperme avait conseillé à mes parents de surtout ne jamais rien dire.»
Le duo est touchant. Battant aussi. Dès 2008, Arthur Kermalvezen publie Né de spermatozoïde inconnu,comme un cri sur les effets délétères de l’anonymat. Avec Audrey, ils sont très actifs au sein de l’association Procréation médicalement anonyme (environ 300 membres), tentent de sensibiliser les politiques. Audrey : «Mais nous restons inaudibles, invisibles, alors que nous sommes 70 000 à être ainsi nés.» Arthur : «Ce sujet embarrasse. Je crois qu’il est difficile pour certains d’imaginer ce que c’est d’avoir une mère, un père, un géniteur.» Audrey : «Nous avons besoin de pouvoir mettre un visage sur le donneur. Cela viendrait humaniser le mode de conception dont nous sommes issus. Mais il ne s’agit pas d’importuner le donneur. Nous voulons juste qu’il soit possible de le contacter à 18 ans, s’il en est d’accord. Comme c’est le cas en Suède ou au Royaume-Uni.»
Tests salivaires
En 2016, Audrey Kermalvezen a déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant le droit vital à chacun de connaître ses origines. Elle attend. De guerre lasse, le 23 septembre, le couple décide de procéder à un test génétique, en compagnie de dix adultes nés de donneurs anonymes. Ce genre de test est illégal en France, mais facile à commander sur Internet à la société 23andMe pour 99 dollars. Il permet ensuite de se retrouver des liens avec ceux qui ont aussi fait le test : «C’est comme une bouteille à la mer», dit Arthur Kermalvezen. Parmi les autres participants à cette grande partie de tests salivaires, se trouve le frère d’Audrey, issu lui aussi d’un don de sperme inconnu (le même qu’elle ?). Mais aussi une femme qu’Audrey a défendue en tant qu’avocate, et son frère. Gestuelle, grain de peau, Audrey se sent des points communs avec elle.
Résultats le 10 octobre : Audrey Kermalvezen découvre que son frère est bien totalement son frère et effectivement qu’elle a aussi une demi-sœur et un demi-frère, et une ascendance irlandaise. «Vous vous rendez compte que faute d’accès à ses origines, tout ce petit monde peut se rencontrer et tomber amoureux ?» lance Audrey. Et Arthur ? 23andMe lui révèle des ascendances juives polonaises et un cousin germain ou issu de germain, un certain Larry, franco-anglais. LinkedIn, le grand réseau professionnel permet de le retrouver. D’obtenir quelques informations sur la famille. D’aller sur un site de généalogie. Chance, la famille de Larry est restreinte. Une seule personne a pu donner son sperme dans les années 70. C’est le petit frère du grand-père de Larry. Il a son nom, son lieu de naissance.
«Double tranchant»
Partant du principe que l’on revient souvent près de son berceau familial en vieillissant, Arthur Kermalvezen oriente ses recherches à une heure et demie de Paris :«Incroyable : cela faisait trente ans que je le cherchais, et il était tout près.» Il se refuse à frapper à sa porte, même de glisser une lettre dans la boîte au cas où son entourage ne serait pas au courant de son don. Il confie donc une lettre à un voisin chargé de la remettre en main propre à son géniteur à un moment où il est seul. «J’y expliquais clairement que je ne cherchais pas un père puisque j’en avais déjà un. Et je précisais que ma famille, et notamment mon père, était d’accord avec ma démarche.»
Son géniteur a donc attendu le 25 décembre pour prendre contact. Tout un symbole. «Depuis, il m’a envoyé une photo. Je sais qu’il a deux enfants. On doit se voir bientôt. Récemment, il m’a dit : "Heureusement que tu m’as retrouvé." Il a une anomalie génétique rare qui prédispose à certaines maladies. Il va falloir que je fasse un test, et mes enfants aussi. Cela sert à ça aussi de pouvoir retrouver son donneur. Dans mon cas, la vérité est à double tranchant. Mais je ne regrette rien.»
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