Souffrance psychique au travail : la lente reconnaissance
Photo Fred Dufour. AFP
10 000 affections psychiques liées au travail ont été reconnues en 2016, d’après une étude de la Caisse nationale d’assurance maladie. Si ce phénomène est en constante augmentation ces dernières années, les efforts pour y remédier progressent lentement.
«Surcharge de travail, injonctions paradoxales, horaires décalés, réductions de personnel…» liste Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la Cnamts (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés) : les causes de la souffrance psychique au travail sont multiples. Et l’ampleur de ce phénomène a encore augmenté l’année dernière, «même si c’est moins exponentiel», précise Marine Jeantet : «On était à 10% d’augmentation de 2011 à 2014, 5% en 2015, 1% en 2016.»
Des travailleurs en souffrance psychique, le docteur Pierre Bréchet, médecin généraliste à Saint-Pierre-du-Mont (Landes), dit en recevoir «souvent» dans son cabinet : «Soit les patients arrivent en décrivant leurs problèmes franchement, soit cela prend le masque de plaintes plus générales : manque de tonus, fatigue… C’est notre travail de creuser, mais la parole se libère facilement.»
«Cela va du simple surmenage à des patients déprimés»
Difficile de dégager des constantes sociologiques. Des profils très divers défilent : «Je reçois des jeunes qui débutent, des personnes en fin de carrière… Des gens en CDD ou précaires, d’autres qui sont en CDI… Le dernier patient que j’ai eu avait 60 ans, et disposait d’un haut poste à l’hôpital.»L’étude de la Cnam, elle, évalue l’âge moyen des personnes souffrant d’affections psychiques liées au travail à 40 ans. Le secteur médico-social, avec les transports et le commerce de détail, est les plus touché. Et les femmes représentent 60% des personnes touchées.
«Cela va du simple surmenage, pour lequel un arrêt d’une ou deux semaines suffit, à des patients authentiquement déprimés, pour lesquels plusieurs mois d’arrêt, un traitement médical et un suivi de spécialiste sont nécessaires», décrit le docteur Bréchet. D’après l’étude, les dépressions forment la grande majorité des atteintes psychiques reconnues comme accidents du travail. Mais la souffrance est globale dans ses conséquences. Le médecin rappelle que «les maux physiques sont souvent liés aux maux psychiques. Les gens à qui on demande d’en faire toujours plus, ils n’en peuvent plus physiquement, alors ils craquent psychologiquement».
De là à faire reconnaître comme maladies professionnelles ces atteintes psychiques, c’est une démarche administrative qui aboutit rarement. «Dans la grande majorité, les gens sont en arrêt maladie, et ça ne va pas plus loin. J’ai peu, voire pas de cas reconnus en maladies professionnelles», assure le médecin. Idem pour les faire reconnaître au titre d’accidents du travail :«Quand une personne s’est blessée, l’employeur signe et c’est réglé. Mais quand la personne souffre justement d’un conflit avec son supérieur, ça devient complexe…»
«Prise de conscience»
C’est là que se joue le travail de suivi, que souhaite améliorer Marine Jeantet : «On veut mieux accompagner les victimes à faire reconnaître leurs droits, et à reprendre le travail. Etre en arrêt des mois et des mois, ce n’est pas un projet de vie. Mais soit on les aide à se reconvertir, soit ils sont sur un secteur à risques, et il faut alors une mobilisation locale sur leur lieu de travail…»
Le dialogue entre médecin traitant, médecin du travail et employeur est alors essentiel, pour que la personne puisse bénéficier de réaménagements ou d’un changement de poste. Mais là encore, les indications médicales ne sont pas toutes-puissantes. «Une de mes dernières patientes, la cinquantaine, subissait des pratiques de harcèlement dans le restaurant où elle travaillait, raconte le docteur Bréchet. Mais la structure était trop petite pour réaménager son poste. C’est différent d’une grosse boîte au sein de laquelle l’employé peut plus facilement se reconvertir… Cette femme s’est retrouvée licenciée pour inaptitude.»
Ces inaptitudes, ou«incapacités permanentes»dues à des affections psychiques, sont les cas les plus graves : leur proportion s’élève à 4,6% des accidents du travail en 2016. L’étude de la Cnam souligne qu’elles sont en progression : en 2012, elles ne représentaient que 2,6% du total. «Ces risques ne sont pas nouveaux, résume Marine Jeantet. La question, c’est celle d’une vraie prise de conscience. Il s’agit de mettre des mots et des chiffres sur ce phénomène, pour mieux concentrer nos efforts.» Ce rapport, qui pose des données statistiques, peut constituer un support pour que les entreprises et les représentants du personnel prennent à bras-le-corps cette question douloureuse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire