La juste prédiction du risque de suicide est un idéal difficile à atteindre par les psychiatres. Elle repose essentiellement sur des indices cliniques, et finalement en grande partie sur les idées suicidaires que les patients peuvent rapporter. Or, la majeure partie des patients décédés par suicide ne signalent pas d’idées de suicide dans la période qui précède leur geste fatal. Pour avancer dans la compréhension des processus menant au suicide, les chercheurs d’une équipe de Pittsburgh ont tenté d’identifier un biomarqueur du risque suicidaire, en utilisant l’IRM fonctionnelle.
Just et coll. ont utilisé les représentations cérébrales en imagerie associées à des concepts en rapport avec la vie et la mort pour différencier les patients ayant des idées suicidaires et des patients contrôles. Le principe est que chaque pensée est associée à certaines activations cérébrales, c’est-à-dire que chaque concept a sa signature particulière en IRM fonctionnelle. Ainsi le mot « cuillère » va activer les régions impliquées dans la façon dont on manipule l’objet (les régions motrices), et dans le fait de manger (régions impliquées dans la sensation gustative).
L’hypothèse formulée par les auteurs, est que les patients ayant des antécédents de tentative de suicide ont une représentation différente de certains concepts par rapport à des sujets contrôle. En pratique, on utilise dans cette étude l’apprentissage automatique (ou « machine learning ») afin de classer les patients comme ayant des idées suicidaires ou non, en fonction des différences constatées dans les activations cérébrales en réponse à tel ou tel concept.
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Les auteurs ont demandé à 17 sujets ayant des idées suicidaires, et 17 sujets contrôles de penser pendant un bref instant à 30 concepts différents qui leur étaient proposés. Ces concepts pouvaient être des idées généralement considérées comme positives (confort, bien, gentillesse…), négatives (ennui, mal, culpabilité) ou directement en rapport avec le suicide (mort, désespoir, overdose…). Cela constituait donc une somme importante d’informations relatives aux activations cérébrales des sujets.
Le programme d’apprentissage automatique, entraîné à partir des IRM fonctionnelles de 33 sujets non inclus dans l’étude a correctement prédit l’appartenance des sujets dans leurs groupes avec une précision de 91 %. Ainsi, il a pu donner l’appartenance de 15 sujets sur les 17 du groupe « idées suicidaires » et 16 sujets sur les 17 du groupe contrôle (sensibilité de 88 %, spécificité de 94 %).
Le concept permettant le mieux de déterminer le groupe d’appartenance des patients est le mot « mort ». Les régions cérébrales permettant le mieux de discriminer les patients suicidaires des contrôles étaient les régions frontales médianes supérieures gauches, le cortex cingulaire antérieur, la région temporale médiane droite, la région pariétale inférieure gauche, et la région frontale inférieure gauche.
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Le même type de programme permettait de correctement déterminer, parmi les patients ayant des idées suicidaires, ceux qui ont fait une tentative desuicide, en comparaison avec ceux qui n’en ont pas fait, avec une précision de 94 % (sensibilité de 100 % et spécificité de 88 %). Là encore, le concept le plus discriminant était le mot « mort ».
Bien sûr, on peine à croire que ce genre de dispositif puisse être utilisé en pratique quotidienne. Mais cette étude a surtout pour intérêt de donner un aperçu (aussi brut et difficile à interpréter soit-il) des mécanismes de pensée des patients sur des sujets fondamentaux. L’étude met en évidence à quel point le suicide répond à un processus complexe qui met en jeu une modification fine des représentations mentales. La technique utilisée dans cette étude est fascinante, et pourrait contribuer à de nombreuses avancées en psychiatrie et neurologie.
Dr Alexandre Haroche
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