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lundi 25 décembre 2017

« Crimes passionnels », « drames conjugaux », des féminicides mal nommés

On ne tue pas par amour, et le « drame » n’est pas un qualificatif pénal… Sur Facebook et Internet, des féministes recensent et dénoncent la couverture médiatique des meurtres conjugaux.

M le magazine du Monde |  | Par 
SIMON LANDREIN
On est sans arrêt attaquées et harcelées par des masculinistes sur Internet, alors on préfère ne pas dévoiler notre identité », prévient l’une des administratrices de Féminicides par compagnon ou ex, une page Facebook animée par un collectif féministe qui dénonce le traitement des meurtres conjugaux. Alors ce sera « elles ». Elles, donc, procèdent avec des alertes Google : près de soixante-dix expressions telles que « femme morte »« femme disparue » ou encore « il tue sa compagne », rentrées dans le moteur de recherche. Tous les matins, une trentaine de mails tombent dans leurs messageries, qu’elles épluchent consciencieusement. Ce matin de décembre, elles publient le 123e « féminicide » de l’année 2017 : « vendredi 15 décembre à Cavaillon (Vaucluse), Lou (18 ans) a été égorgée par son petit ami, Mickaël (17 ans). Il s’est ensuite pendu », écrivent-elles.

L’une d’entre elles, que nous avons eue au téléphone, consacre six heures par jour à l’animation de cette page suivie par plus de quatre mille personnes« Je suis très touchée par ce sujet, j’ai moi-même été victime de violences conjugales », confie cette militante féministe. Elle répertorie les meurtres et compare ses chiffres avec ceux émis par le ministère de l’intérieur. « Ils ne communiquent que sur les couples officiels, ceux qui sont mariés ou en concubinage déclaré, mais pas sur ceux qui sont juste “ensemble”, ça fait une différence significative. »

« Romantisation de l’homicide »

Les femmes de cette page Facebook ne se contentent pas de recenser, elles interpellent aussi. A chaque meurtre, elles notent les blessures sémantiques. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Albert Camus. Alors elles ferraillent sur le Web dans les commentaires des articles de presse. Fustigent les expressions consacrées, les béquilles journalistiques. Les « crimes passionnels » ? On ne tue pas par amour, objectent-elles. Les « drames conjugaux » ? Le « drame » n’est pas un qualificatif pénal, il relève du champ lexical de l’art.
Elles ne comptent plus les exemples. Ainsi de Sindy, morte le 10 septembre sur le quai de la gare de Noyon, dans l’Oise. Enceinte de cinq mois, elle a été abattue avec deux de ses enfants qui l’accompagnaient par son mari policier. « Dans les articles sur la mort de Sindy, j’ai constaté qu’on donnait beaucoup d’importance à cet homme, qu’on l’oubliait, elle, raconte Catherine, une amie de la victime, inscrite sur la page Facebook. Et c’est dur pour la famille, au chagrin de la perte s’ajoute la peine de la couverture médiatique. »
Elles ne sont pas les seules à mener ce travail d’interpellation des médias qui écrivent à propos des violences faites aux femmes. Sophie Gourion anime un Tumblr Les mots tuent. Ancienne conseillère au cabinet de Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes sous François Hollande, elle a créé son site en mars 2016, après des mois de militantisme sur Twitter. Sophie Gourion corrige notamment les titres de presse empreints d’une certaine « romantisation de l’homicide » ou présentant les événements comme des anecdotes amusantes. « C’est une guerre du langage, on a tous intégré le sexisme, décrypte-t-elle. Moi-même, quand j’étais journaliste et que j’interviewais une femme un peu jeune, je me débattais pour pas écrire sur son brushing, ses vêtements ou sur le fait qu’elle était pimpante. »
Sur son site, les exemples sont éloquents. Tel ce titre d’un quotidien régional : « Assises de la Charente-Maritime : il fait un enfant avec une ado de 14 ans ». Il aurait fallu, observe-t-elle, écrire : « Charente-Maritime : un pédocriminel jugé pour viols et agressions sexuelles sur mineure ». Sa liste est longue : « Nord, il écrase le chinchilla après avoir frappé sa compagne », « Ivre, il tente d’étrangler sa femme pour des grumeaux dans la pâte à crêpe » ou encore : « A Paris, elle “énervait” son compagnon : il la tue et il la met à la poubelle »… Après ses interpellations, les titres sont rarement corrigés.

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