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vendredi 29 décembre 2017

« Il faudra avoir une expertise sociologique de cette “crise” du Lévothyrox »

Dans une tribune au « Monde », cinq endocrinologues estiment que la crise provoquée par la nouvelle formule du médicament relève d’un « effet nocebo » – le ressenti d’effets indésirables, bénins, à une exposition inoffensive.

LE MONDE |  | Par 

Tribune. Une vraie frustration pourrait gagner ceux qui soignent ces patients et qui observent, effarés, cette invraisemblable « crise du Lévothyrox ». Notre conscience nous impose une conduite simple. Dire ce que nous pensons. Sereinement. Nos patients et notre discipline, l’endocrinologie, le méritent bien. Nous pensons que les symptômes rapportés comme « effets indésirables » ne peuvent pas être provoqués par les excipients de la nouvelle formulation du médicament du laboratoire Merck.


Le lactose contribuait à une moindre stabilité. L’adjonction de mannitol (un édulcorant des chewing-gums sans sucre) et d’acide citrique (utilisé dans les confitures industrielles) n’est pas à redouter ; le même excipient est utilisé dans les comprimés d’Aspro ou de ­Doliprane ou le citrate de bétaïne. Les tests chez les sujets sains ont établi une bioéquivalence analogue de la nouvelle formulation.

Nous pensons que les symptômes rapportés comme « effets indésirables » ne sont pas en lien avec un « déséquilibre » thyroïdien. Les signalements les plus fréquents (fatigue, maux de tête, insomnie, vertiges, douleurs articulaires et musculaires, chute de cheveux, troubles digestifs, modifications caractérielles) sont banals, peu spécifiques, peu évocateurs d’un déséquilibre thyroïdien. Le plus souvent, la TSH [thyréostimuline] est normale. La très grande majorité des sujets inquiets ont pu être rassurés.

Un rapport contraire aux données


Des symptômes ont été décrits chez des patients qui prenaient l’ancienne formulation. Nous pensons que le rapport de pharmacovigilance de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 10 octobre va, en fait, exactement dans ce sens. Dans sa conclusion, il met en avant la rupture d’équilibre provoquée par le passage au Lévothyrox « nouvelle formulation »… ce qui est contredit par les données.

En effet, lesdits « effets indésirables » sont strictement identiques, que les patients soient hyper ou hypothyroïdiens, voire normaux ! De plus pour le très modeste niveau de déséquilibre hormonal constaté, a priori, aucun effet clinique n’est raisonnablement attendu. Le rapport évoque, dans son résumé, « l’hypothèse d’effets indésirables expliqués par d’autres facteurs qu’une dysthyroïdie (…)méritant plus d’investigations ».

Enfin, le rapport ne dit rien sur les enfants recevant le Lévothyrox nouvelle formulation, chez qui les pédiatres semblent unanimement n’observer aucun effet indésirable. Nous pensons que les symptômes rapportés témoignent essentiellement d’un effet nocebo. Le sentiment d’être mis devant le fait accompli, l’amplification médiatique, un certain silence médical contrastant avec l’activisme des associations, tout était réuni pour créer suspicion et angoisse.


Le précédent en Nouvelle-Zélande


Le mot « nocebo » désigne un phénomène bien connu. Dans les essais thérapeutiques, certains patients ressentent une amélioration de leurs symptômes alors qu’ils reçoivent le placebo, dénué de principe scientifiquement actif autre que psychologique. L’effet nocebo en est le miroir : les sujets ressentent des effets indésirables, bénins, en réponse à une exposition inoffensive.

Le simple changement d’excipient et de la couleur des comprimés a entraîné une multiplication par 2 000 des déclarations d’effets indésirables !







Un tel effet nocebo a déjà été observé en 2007-2008, il s’est passé en Nouvelle-Zélande une « crise de l’Eltroxin » (lévothyroxine de l’entreprise pharmaceutique GSK), strictement identique à la « crise du Lévothyrox » en France. Le simple changement d’excipient (suppression du lactose) et de la couleur des comprimés a entraîné une multiplication par 2 000 des déclarations d’effets indésirables ! L’analyse externe effectuée par une agence anglaise (The Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency) a mis en avant le manque d’information et le rôle des médias. On a observé que la répartition géographique de la fréquence des plaintes reproduisait l’intensité du bruit médiatique local.

Nous pensons que l’hypothèse nocebo peut être scientifiquement testée. Ces effets nocebo sont mis en évidence dans des essais bien calibrés (cross over randomisé en double aveugle, N-of-one). Eventuellement avec l’aide des patients intolérants et volontaires. C’est une belle occasion de réunir les patients, les associations et les endocrinologues. Nous pensons que le traitement médiatique de cette situation ne peut qu’augmenter – à tort – l’angoisse des patients et alimenter le cercle vicieux de l’effet nocebo.


Un simple carton informatif ?

Une série d’actions judiciaires ont été lancées : plaintes (« mise en danger de la vie d’autrui », etc.), perquisitions… Il est intéressant de noter l’actualisation des griefs d’avocats : « On ne demande pas réparation pour les effets secondaires (…) une indemnisation pour le fait qu’ils n’aient pas été informés des risques encourus et de la nouvelle composition du médicament, et que cela a généré chez eux beaucoup d’angoisse. » Nous pensons qu’il faudra s’interroger sur ce qui a pu – involontairement – provoquer cette angoisse, et surtout – inutilement – l’exacerber.

Mieux informer ? On aurait pu s’inspirer de l’expérience belge : un carton informatif dans les boîtes de la nouvelle formulation de L-Thyroxine semble avoir évité ce type de crise. On s’interroge sur le rôle plus utile qu’auraient pu jouer les associations de patients. L’emballement médiatique n’a fait qu’aggraver les choses et conduit à une judiciarisation probablement sans issue.

Nous pensons qu’il est urgent de recréer la confiance entre les interlocuteurs : patients-associations (pas obligatoirement paranoïaques ou systématiquement quérulents) ; médecins-experts (pas tous à la solde des firmes) ; autorités de santé (pas forcément obsédées par la seule réduction des dépenses) ; industriels (pas uniquement guidés par l’appât du gain). Nous pensons qu’il sera important d’avoir une expertise sociologique de cette « crise ». Il faut de la raison, mais tellement de confiance. Nos patients s’en porteraient mieux, et peut-être aussi notre société.

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