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vendredi 13 octobre 2017

La démocratisation des études de médecine au point mort

En 2016-2017, la moitié des étudiants inscrits en études de médecine venaient d’un milieu favorisé. Une sélection sociale qui s’observe en particulier lors du concours de fin de première année.

LE MONDE  | Par 

Faculté de médecine de Poitiers, en 2016.
Faculté de médecine de Poitiers, en 2016. GUILLAUME SOUVANT / AFP
Il reste encore du chemin à parcourir pour voir les études de médecine se démocratiser. Selon des chiffres rendus publics en septembre par le ministère de l’enseignement supérieur, plus d’un étudiant sur deux (52,4 %) inscrit dans un cursus de médecine-odontologie en 2016-2017 a des parents « cadres et de professions intellectuelles supérieures », contre seulement 5,5 % d’enfants d’ouvriers.
Les études de santé ont beau se dérouler à l’université, qui ne sélectionne pas ses étudiants à l’entrée, elles font partie des formations les plus clivées socialement : les enfants de cadres s’y révèlent plus nombreux que dans les autres filières universitaires, où ils sont 31,7 %, et même plus nombreux que dans les classes préparatoires aux grandes écoles (51,7 %) ou dans les écoles de commerce (52,1 %).
Les principaux concernés ne sont pas étonnés. « Seulement 52 % ? » ; « moi, j’aurais dit plus » ; « rien de nouveau alors ? », commentent spontanément des étudiants de médecine rencontrés devant l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC), à Paris.

L’entonnoir de la première année
S’ils admettent qu’ils n’abordent pas souvent, entre eux, le sujet de l’ouverture sociale de leur formation, ils ne sont pas surpris. La situation n’est pas nouvelle : « Des constats équivalents sont établis depuis vingt ans. L’accès aux études de médecine donne lieu à une sélection sociale qui opère de façon stable dans le temps », note un des multiples rapports sur le sujet, publié en 2015. Une sélection qui s’observe particulièrement lors du concours de fin de première année commune aux études de santé (Paces), que seulement 15 % des candidats réussissent en un an, et moins d’un redoublant sur deux.
« Chez nous, le taux d’étudiants boursiers est de 32 % en Paces [un chiffre en légère progression au niveau national] et tombe à 14 % en deuxième année de médecine. Alors qu’il reste stable dans les autres deuxièmes années de licence de l’université », commente Frédéric Dardel, président de l’université Paris-Descartes. Cette baisse s’explique, selon lui, par des effectifs « trop importants » en première année, obligeant à « un enseignement de masse de qualité insuffisante », qui laisse de côté les candidats les plus fragiles. « Un enfant de cadre a deux fois plus de chance (2,5 pour la seule filière médecine) qu’un enfant d’ouvrier d’intégrer la deuxième année », confirmait ainsi l’étude de 2015.
Cette sélection s’appuie, entre autres, sur la capacité des familles à financer des classes préparatoires privées, qui coûtent plusieurs milliers d’euros à l’année. Combien d’étudiants sont concernés ? « Aucun chiffre officiel sérieux n’existe », répond Yanis Merad, président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), mais il estime à « peut-être 30 % ou 40 % » le taux d’étudiants faisant appel à ces officines privées « aux tarifs exorbitants qui accentuent la discrimination sociale ».
La question des moyens financiers ne se résume pas à la première année. L’intensité de la charge de travail, et les stages à l’hôpital entre la troisième et la sixième année, rendent difficile d’avoir un job étudiant en parallèle. « Avec les cours plus le stage, je peux difficilement travailler plus de huit heures par semaine », confirme Charlotte, 21 ans, étudiante externe à l’UPMC. Son père est au chômage et sa mère est secrétaire. Elle habite toujours chez eux, en banlieue parisienne, et sait bien qu’elle « ne peut pas faire reposer sur eux seuls tout le coût de [sa] scolarité », dit-elle en montrant un manuel « à 25 euros ».
« Blocage » du processus
« Le coût des études mais surtout la longueur de celles-ci font que les étudiants issus des classes populaires ont plus de difficultés à envisager de s’engager dans une formation d’une durée de neuf à douze ans », explique le sociologue Marc-Olivier Déplaude, auteur d’Une histoire des numerus clausus de médecine (Les Belles Lettres, 2015).
Selon lui, la mise en place, en 1971, du numerus clausus, fixant chaque année le nombre de places ouvertes au concours, a entraîné un « blocage du processus de démocratisation des études médicales, qui avait timidement débuté dans les années 1960 ». Depuis, le relèvement régulier du numerus clausus n’a rien changé, car « il s’est accompagné d’une augmentation encore plus importante » du nombre d’étudiants en première année.
Pour relancer la démocratisation de la filière, l’ANEMF, comme la majorité des directions de facultés, soutient le développement des tutorats : assurés bénévolement par des étudiants des années supérieures, ils offrent de se préparer au concours pour moins de 40 euros l’année. Quand au numerus clausus, dont la refonte a été promise durant la campagne présidentielle par Emmanuel Macron, les doyens des facultés de médecine demandent sa suppression pure et simple.
« La démocratisation des études de santé est une question majeure pour nous », assure Jean-Luc Dubois-Randé, doyen de la faculté de médecine de Créteil et président de la Conférence des doyens en médecine. D’autant que « le malade, lui, vient de partout, socialement et géographiquement. Or il est plus facile d’être en empathie avec une personne avec qui on partage des choses. Il est aussi plus facile de choisir comme lieu d’exercice un territoire que l’on connaît », explique-t-il. La lutte contre les déserts médicaux passe donc aussi par cette démocratisation.
Alternatives à la Paces
Le sujet a aussi été évoqué ces dernières semaines, lors de la concertation sur l’accès à l’université. « Il faut proposer à d’autres jeunes d’autres voies d’entrée aux études de santé » que la Paces, estime Jean-Paul Saint-André, ancien doyen de la faculté de médecine et président de l’université d’Angers, qui a présidé le groupe de travail sur les études de santé.
Parmi ces autres voies figurent les Alter-Paces. Expérimentées depuis cinq ans dans une dizaine de facultés françaises, elles permettent de réserver 5 %, 7 %, et jusqu’à 30 %, des places de deuxième année à des étudiants ayant validé une L2 ou une L3 de sciences (biologie, physique, etc.). « Pourquoi ne pas ouvrir ces Alter-Paces à d’autres formations, pas seulement scientifiques, notamment des IUT ou des BTS afin d’intégrer aussi, sur dossier, des candidats issus des filières technologiques ou professionnelles ? », interroge M. Saint-André.
Cela permettrait de compenser l’un des biais sociaux principaux à l’entrée de la filière santé : la concentration des catégories sociales les plus aisées parmi les bacheliers scientifiques qui constituent plus de 90 % des étudiants en santé. Une inégalité que les facultés de médecine ne peuvent que constater, car héritée du collège et du lycée.

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