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lundi 9 octobre 2017

« J’ai choisi d’accoucher seule chez moi »

Témoignage. Gaëlle Picault, 39 ans, accompagnatrice à la naissance et à la parentalité, a fait le choix d’accoucher de son troisième enfant à la maison.

LE MONDE  | Par 

Fabio Viscogliosi pour Le Monde


J’ai choisi d’accoucher seule chez moi parce que je voulais être pleinement ­actrice de la naissance de mon troisième enfant. Le fruit d’un cheminement entamé il y a une vingtaine d’années, lorsque j’ai commencé à m’interroger sur notre pratique de l’accouchement. Je suis moi-même née d’un accouchement traumatique, ce n’est donc pas pour rien si je me suis intéressée à cette question.


Comme dans un cocon


Quand je suis tombée enceinte de mon premier, il y a quatorze ans, j’avais à cœur que sa naissance soit un moment respecté. Une première mise au monde, ça a quelque chose d’initiatique. Je voulais pouvoir la ­savourer, dans une intimité qui me permette de me livrer complètement. L’hôpital ne m’y semblait pas propice. J’ai trouvé une alternative qui correspondait à mon désir d’un accouchement moins médicalisé dans une maison de naissance, une des seules qui existait en France à l’époque. Je n’oublierai jamais la gentillesse des sages-femmes, leur écoute. Je me sentais comme dans un cocon. Ce fut un accouchement serein, fluide, évident.

Ça n’a pas été le cas pour mon deuxième, deux ans plus tard. La maison de naissance avait fermé. J’ai alors réfléchi à la possibilité d’un accouchement assisté à ­domicile, mais avec le coût prohibitifdes primes d’assurance imposées aux sages-femmes libérales, c’était compliqué d’en trouver une qui soit couverte et prête à le faire. A défaut, je me suis donc tournée vers la clinique la plus proche. J’ai vite senti la différence : une grosse structure, le genre usine à bébés, trop impersonnelle et protocolaire pour moi.

Le jour de l’accouchement, il a fallu que je me batte pour faire respecter mes souhaits. Je leur en avais pourtant fait part en amont, dans un document que j’avais écrit : un « projet de naissance », un bon outil de dialogue, je trouve. Mais il n’avait, semble-t-il, pas été lu. J’ai répété, en essayant de ne pas braquer : je désirais pouvoir me déplacer ­librement, que mon intimité soit respectée avec peu de soignants dans la pièce et le minimum de touchers vaginaux ; je souhaitais, dans la mesure du possible, pouvoir prendre le temps de travailler, sans déclenchement ni accélération ; pas non plus de péridurale ni d’épisiotomie ; je voulais pouvoir choisir ma position pour accoucher, accroupie. Et pouvoir découvrir mon bébé, peau à peau, au calme, sans gestes de soin immédiats …


Absence d’alternatives


Mes souhaits ont été respectés, mais à quel prix ! Je me suis sentie jugée, infanti­lisée, culpabilisée. C’est limite si on ne m’a pas fait passer pour une inconséquente parce que je faisais des choix différents, qui contrariaient le protocole. Malgré tout, je ne jette pas la pierre aux soignants : je suis bien ­consciente qu’ils travaillent dans des conditions difficiles qui ne leur permettent pas ­toujours de prendre le temps qu’ils voudraient pour pouvoir accompagner chaque femme. Et que cela ne se passe pas comme ça dans toutes les maternités.

Pour ma troisième grossesse, nous ­vivions à Belle-Ile-en-Mer (Morbihan). Pas de maison de naissance à proximité, et je ne voulais pas revivre un accouchement médicalisé. En l’absence d’alternatives, accoucher à la maison m’est apparu évident. Je m’y sentais prête autant que préparée : mon intérêt grandissant pour le sujet m’avait amenée à faire des formations et des rencontres autour de la naissance, dont celle d’une sage-femme ­libérale qui était prête à m’accoucher.

J’ai fait un suivi de grossesse classique à l’hôpital. Mais je n’ai pas voulu parler de mon choix, pas même à mes proches. Trop ­intime, trop matière à controverse, je ne voulais pas avoir à me justifier, ni être polluée par des jugements désapprobateurs. Je n’en ai parlé qu’à notre médecin, qui m’a dit : « Tu me fais pas ça, c’est trop dangereux ! » Les risques, j’en tenais compte, bien sûr. Je n’aurais pas fait ce choix si ma grossesse s’était mal passée ou si je n’avais pas été en bonne santé. Mais toutes les conditions étaient réunies. Et en cas de complications, il y avait un hôpital à cinq minutes.

Réactions violentes


Je n’oublierai jamais cette nuit de ­janvier où Kym est née. Une nuit de tempête. La maison était plongée dans la pénombre, à peine éclairée par de petites lumières. J’avais préparé le matériel ­nécessaire. Je n’ai pas ressenti le besoin de faire venir la sage-femme, mais elle est restée présente par téléphone. J’ai déambulé toute la nuit, pieds nus, bien ancrée dans le sol. Je la sentais descendre tranquillement. Je ne poussais pas, elle glissait, comme si elle se démoulait. Mes doigts se souviennent encore de la sensation de ses orbites lorsque sa tête a commencé à sortir. Le jour se levait. J’étais debout dans le salon. Son papa a mis ses mains pour la ­recueillir. Lui aussi a eu l’impression d’être vraiment acteur de sa naissance. Nous sommes restés longtemps blotties l’une contre l’autre. Jusqu’alors, je ne soupçonnais pas mon corps d’être capable d’une telle force. Si j’ai eu mal ? Bien sûr, mais c’était une douleur qui m’a paru supportable, progressive…

J’ai été frappée par l’intérêt que cet ­accouchement a suscité. Bien sûr, il y a eu les réactions de rejet, violentes, les « t’es folle, maso ! Tu mets la vie de ton enfant en danger ». Un médecin m’a dit qu’« accoucher sans péridurale, c’était comme se faire arracher un bras, que c’était de l’inconscience ». Mais il y avait aussi toutes ces femmes qui sont ­venues m’interroger, se livrer. Beaucoup ­disaient regretter les conditions de leur ­accouchement, qu’elles avaient l’impression d’avoir subi, qu’elles s’étaient senties « empêchées »…

J’ai le sentiment que beaucoup de femmes ont intégré l’idée qu’accoucher ­revient à s’en remettre entièrement aux ­soignants. Et que les actes médicaux sont un passage obligé. Or ce n’est pas parce que certaines pratiques se sont ritualisées que nous ne pouvons pas les questionner. En cela, je trouve important que la parole de celles qui ont subi des violences obstétricales se libère.

Je ne suis pas en train de dire qu’un type d’accouchement est mieux qu’un autre, ni de pointer du doigt la médicalisation de la naissance. Au contraire, pouvoir s’appuyer sur le médical est une chance… à condition de ne pas le subir. Chaque femme devrait pouvoir accoucher comme elle le souhaite et se sentir actrice de ce moment, où qu’il ait lieu. Et chacune devrait pouvoir être accueillie avec son vécu, pas seulement avec son corps. J’espère aussi que les maisons de naissance vont être développées pour ne plus devoir en arriver à des solutions qui, de l’extérieur, peuvent ­paraître extrêmes alors qu’elles ne font que ­répondre à un manque d’alternatives. S’il y en avait eu une près de chez moi, je ne me serais même pas posé la question de savoir où faire naître mes deux derniers enfants.

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