Le seuil de tolérance à la douleur varie selon les personnes, qu'elles soient valides ou handicapées. De même, l'expression de la douleur diffère selon les uns et les autres et se présente souvent, chez les personnes en situation de handicap, sous des formes atypiques. Un changement de comportement peut être un indicateur à ne pas négliger.
L'expression de la douleur chez les personnes en situation de handicap est souvent difficile et peut s'exprimer, de manière non verbale, par des troubles du comportement. L'hypothèse d'un problème somatique pour une personne handicapée est souvent oubliée notamment pour les personnes suivies en psychiatrie ou ayant des troubles de la communication. En effet, 20 études de cas sur 94 exploitées rapportent une réponse psychiatrique ou psychologique en première intention à un problème qui s'est en réalité avéré d'origine somatique.
La douleur peut ainsi s'exprimer sous forme de "comportements-problèmes". Pour ces personnes, l'absence de prise en compte de ces manifestations représente une réelle discrimination. De plus, le handicap peut provoquer des lésions physiques et/ou psychologiques ainsi que des douleurs qu'il convient de prendre en compte. Les causes peuvent être multiples (otites, lésions dentaires, etc.) et doivent être recherchées.
Faire le lien entre changement de comportement et douleur
Il s'agit donc, tout particulièrement de :
- porter une attention particulière aux changements de comportements, d'attitudes de la personne dans son quotidien et dans ses différents environnements, pouvant indiquer une gêne, un mal-être ou une douleur ;
- face à un comportement inhabituel, rechercher, en première intention, une cause somatique et/ou une douleur et signaler tout traitement récemment introduit ;
- dès qu'un changement de comportement est repéré, transmettre par écrit cette information à l'ensemble de l'équipe, dans le respect de la réglementation applicable en matière de secret professionnel, doubler la transmission écrite d'une transmission orale.
Observer et être à l'écoute
Pour repérer la douleur, il faut également :
- être attentif, notamment au cours de la toilette à certains "points clés" faciles à repérer (ongles incarnés, zone rouge, ventre gonflé, piqûres d'insecte, etc.) ;
- poser systématiquement la question d'une éventuelle douleur, gêne ou sensation particulière, à la personne de manière adaptée à ses capacités de compréhension et son handicap ;
- prendre en compte les observations et les ressentis de l'entourage (professionnels, aidants non professionnels, proches, autres personnes accompagnées, etc.), notamment au retour des visites, week-ends ou vacances ;
- proposer des outils communs de repérage et de liaison à tous les intervenants professionnels et familiaux.
Coordonner et rechercher l'assentiment de l'usager
Une fois la douleur repérée, il s'agira de coordonner et rechercher l'assentiment de la personne :
- informer l'usager et son représentant légal, le cas échéant, de l'intérêt de partager ce constat avec ses proches et l'accompagner dans cette démarche s'il le désire ;
- si possible, croiser les observations des proches et des professionnels concernant ces changements ;
- intégrer dans le dossier de la personne les informations évoquant un éventuel problème somatique ou une douleur.
Interpréter, accompagner
Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour analyser la douleur :
- le handicap de la personne (par exemple, le rapport particulier au corps et à la douleur des personnes handicapées psychiques, les difficultés d'intégration sensorielle chez les personnes autistes) ;
- les antécédents médicaux ;
- le parcours, les situations vécues et la trajectoire de la personne ;
- son rapport à la douleur avec le corps médical ;
- les composantes socioculturelles (place du symptôme et de la douleur différente selon les cultures) tant en termes de minoration (dire que l'on a mal ne se fait pas et peut être péjoratif) que de majoration (plaintes systématiques et excessives).
Il faut penser à poser des questions simples — avez-vous mal maintenant ? Où ? Comment ? Depuis quand ? — et à utiliser un mode de communication adapté à la personne et son handicap. L'expression de la douleur est fonction des ressources de la personne, de ses capacités cognitives, de ses capacités d'interpellation. Le langage peut être à la fois verbal et non verbal.
Il est également important de :
- prendre le temps d'écouter l'entourage et de lui expliquer la suite donnée, rassurer sans banaliser la douleur ;
- considérer l'évaluation de l'expression de la douleur réalisée avec les proches comme une source d'information importante, la prendre en compte et inviter les proches à évaluer la douleur de la personne dans son environnement, à l'aide d'outils ;
- tenir compte les douleurs qui ont pu se chroniciser et qui peuvent avoir pour effet la diminution des réactions au fil du temps (phénomènes d'habituation) ;
- adapter la communication (certains signes peuvent être mal interprétés, comme par exemple lorsqu'une personne localise une douleur de manière erronée, l'expression de la douleur peut également être décalée dans le temps, ou ne s'exprimer de façon très forte que très tardivement).
Mettre en place les interventions adaptées
Une fois cette douleur analysée, des interventions adaptées pourront être mises en place, dans un cadre multidisciplinaire, elles incluront :
- un examen somatique général par un professionnel de santé, puis éventuellement des examens complémentaires plus poussés ;
- l'application d'un protocole pour le traitement de la douleur ;
- la prise en compte de la "chronicisation de la douleur", en agissant sur la cause mais aussi sur les conséquences de la douleur ;
- des traitements pharmacologiques ;
- d'autres interventions thérapeutiques éventuelles adaptées au contexte et à la situation de la personne : moyens physiques (kinésithérapie ou ergothérapie), autres méthodes (relaxation, etc.).
Enfin, il s'agit de réaliser une évaluation complète de la douleur et la réévaluer régulièrement sur la base de la même échelle utilisée pour la première évaluation. Cette démarche permet d'assurer un suivi des interventions mises en place et de vérifier leurs effets bénéfiques, ou non, sur la douleur.
Les traitements spécifiques des personnes handicapées
Une expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) fait "le constat d'une surprescription médicamenteuse" chez les personnes avec déficience intellectuelle, par "une tendance chez les praticiens à instaurer un traitement pharmacologique devant la moindre manifestation symptomatique d'autant plus qu'elle est "bruyante" [...], et cela, sans évaluation globale de la situation. Ces prescriptions conduisent ainsi rapidement à des situations de polymédication."
Ces nombreuses situations de prescriptions en mille-feuilles génèrent une série de risques somatiques liés à cette polymédication. De plus, les psychotropes et les anti-épileptiques peuvent provoquer des réactions imprévisibles. Les personnes en situation de handicap peuvent avoir des difficultés à faire part des effets secondaires ressentis comme la fatigue, l'assoupissement, les nausées, la soif... D'autres effets secondaires sont à déplorer. Entre autres, les traitements médicamenteux, en particulier psychotropes, associés à l'inactivité physique, semblent être des facteurs associés dans la prise de poids.
Dans ce cadre, il est essentiel :
- de rappeler et faire connaître le cadre réglementaire relatif à la déclinaison en matière de santé des droits de l'usager, et en particulier le droit au "respect de ses volontés impliquant qu'aucune prestation de soins ou traitement ne puisse être délivré sans le consentement libre et éclairé de l'usager" ;
- d'affiner les réponses médicamenteuses à la douleur en évitant les prescriptions inadaptées ;
- d'éviter une réponse systématique par recours aux psychotropes/neuroleptiques ;
- d'exercer une surveillance systématique du traitement et mettre en place un document de traçabilité de la prise du traitement ainsi qu'un document de traçabilité des éléments suivants : hypertension, poids, transit, suivi de l'alimentation, suivi du sommeil ;
- de veiller à la transmission des informations entre les équipes de jour et de nuit (heure de réveil, heures de passage aux toilettes) et à la traçabilité de ces informations pour pouvoir transmettre ces informations au médecin le cas échéant ;
- d'indiquer au sein des protocoles les informations sur le bon usage du médicament (précautions d'emploi, moment de la prise du médicament) ;
- de s'assurer que les personnes impliquées dans l'accompagnement de la personne dans les actes de sa vie courante disposent des informations des mesures d'hygiène de vie à tenir.
Pour aller plus loin :
- Guide qualité de vie, handicap et problèmes somatiques douloureux, Anesm, avril 2017 ;
- décret n°2016-994 du 20 juillet 2016 précisant les conditions d'échange et de partage d'informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et d'accès aux informations de santé à caractère personnel ;
- La douleur chez les patients souffrant de handicap mental sévère, thèsede doctorat, octobre 2013.
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