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vendredi 13 octobre 2017

Figures libres. Un philosophe face à Daech

La chronique de Roger-Pol Droit, à propos de « Djihadisme : le retour du sacrifice », de Jacob Rogozinski.

LE MONDE DES LIVRES  | Par 

Devant le Bataclan, à Paris, le 17 novembre 2015.
Devant le Bataclan, à Paris, le 17 novembre 2015. CHRISTOPHE ENA/AP

A mesure que se multiplient agressions et attentats, la compréhension du djihadisme se transforme. Certes, on voit persister aveuglements, imprécations, polémiques à répétition. Mais, du côté des approches intellectuelles, le regard change. La cécité qui empêchait de voir la dimension religieuse du terrorisme a laissé place, peu à peu, à sa prise en compte. Celle-ci conduit à scruter la nature des liens de l’organisation Etat islamique (EI, dit aussi Daech) avec l’islam et avec son histoire, à tenter d’appréhender avec précision les filiations et les déformations.


D’autre part, aux analyses politiques, sociologiques, psychanalytiques s’ajoutent à présent des tentatives d’élucidation proprement philosophiques. Leur objectif : aborder la terreur par le biais des concepts, non par celui des étiquettes.
Cette démarche conduit d’abord à critiquer le vocabulaire actuel, parfois à le changer. Le nouvel essai du philosophe Jacob Rogozinski, Djihadisme : le retour du sacrifice, commence ainsi par faire un ménage dans les dénominations. Il explique en détail pourquoi mieux vaut parler de « conversion » que de « radicalisation », de « fanatiques » que de « radicaux », de « fondamentalisme » que d’« islamisme ».

Ces choix ne sont pas des préférences subjectives ni des points de détail. Ils vont tous dans la même direction : replacer la singularité des processus actuels dans une perspective plus large, leur rendre une profondeur de champ qui les rattache à l’histoire longue.

Au cœur des « radicalisations » actuelles, Jacob Rogozinski place donc la question que l’on croyait enterrée de la « conversion à une croyance fanatique » censée conduire au salut. Il s’agit toujours de mourir pour renaître, de détruire pour faire advenir un monde en ordre. Toutefois, la particularité de l’EI est d’avoir donné une place centrale à l’exhibition des morts violentes, exécutions, décapitations.


Autosacrifice


Au cœur de cet essai se tient donc une réflexion sur le sacrifice sanglant, dont chacun sait combien il était central dans les religions antiques et comment les monothéismes, dans leurs démêlés avec cette violence première, ont œuvré à le transformer. Le terrorisme djihadiste, remaniant une longue histoire, s’est employé à remodeler ce sacrifice, qui était devenu spirituel, pour en faire un autosacrifice, une destruction corporelle, un assassinat des ennemis diabolisés. 

Et pourtant, rappelle l’auteur, l’islam interdit formellement le suicide – « même pour tuer des juifs », comme l’a souligné, en 1996, le grand mufti d’Arabie saoudite.

Professeur à l’université de Strasbourg, auteur d’une dizaine d’ouvrages, notamment Ils m’ont haï sans raison. De la chasse aux sorcières à la Terreur (Cerf, 2015), Jacob Rogozinski cherche dans les textes et l’histoire de l’islam les explications possibles de cette situation actuelle, et les possibilités de la dénouer.
On regrettera que cette réflexion foisonnante semble ignorer des auteurs dont elle retrouve à plusieurs reprises thèmes et questions, comme Daniel Sibony ou Shmuel Trigano. On regrettera surtout que le philosophe partage ce préjugé, devenu si commun, du caractère « radicalement mauvais » de la haine. Il voit en effet, dans l’abandon de toute haine envers les djihadistes, une issue et un remède.

On peut au contraire penser qu’il s’agit là d’un leurre et d’un piège. Pour en sortir, mieux vaudrait ne pas refuser la haine, savoir en revisiter le concept, relire à ce sujet Descartes, Spinoza et quelques autres, et en inventer un bon usage. Mais ceci est un autre débat.

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