La tendance au surdiagnostic en psychiatrie est dénoncée depuis longtemps. Dans la lignée du vieux dicton sur le danger du recours intempestif au praticien (« Un médecin vous soigne, deux médecins vous estropient, et trois médecins vous tuent »), certains s’élèvent contre le risque d’une abusive « médicalisation », un concept popularisé vers 1975 par l’essayiste Ivan Illich évoquant à ce propos (dans son ouvrage Némésis médicale) un « contresens tragique, une contreproductivité paradoxale, version moderne du mythe grec de la Némésis : quand leur développement dépasse certains seuils critiques, les grands services institutionnalisés deviennent les principaux obstacles à la réalisation des objectifs qu’ils visent. »
Cette médicalisation peut résulter d’une somatisation hystériforme (chère aux psychanalystes) ou d’une « fabrique de maux imaginaires » par le corps médical lui-même (disease mongering), sous la double influence d’un recours croissant aux médicaments (perçus comme une réponse magique à des questions existentielles jadis traitées par la religion ou la philosophie : la souffrance, la mort, la place de l’homme dans l’univers...), et d’une pression sociale à la « normalisation » des individus pour les conformer à des « normes » s’imposant à tous.
En l’absence de toute mesure objective pour différencier le normal et l’anormal
Dans un contexte social de vae victis imputable à une compétition effrénée (aboutissant à une situation où l’approche humaniste des difficultés laisse trop souvent place aux seules considérations économiques), la psychiatrie moderne risque de « s’égarer en créant un diagnostic pour presque tous les malheurs de la vie. » C’est la thèse (How modern psychiatry lost its way while creating a diagnosis for almost all of life’s misfortunes) présentée en sous-titre de l’ouvrage publié par le professeur de psychiatrie Joel Paris (exerçant à la McGill University, à Montréal) et analysé dans The British Journal of Psychiatry. Incitant le lecteur à une réflexion sur la légitimité et sur les limites des diagnostics en psychiatrie, le Pr Paris met notamment en garde « contre le manque actuel de toute mesure objective pour différencier le normal et l’anormal » et dénonce «les pressions exercées sur les cliniciens pour considérer le normal comme pathologique.»
[1] Joel Paris : Overdiagnosis in psychiatry. Oxford University Press, 2015.
Dr Alain Cohen
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