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mardi 2 avril 2024

TRIBUNE Il ne peut exister de GPA «éthique»

par Gabrielle Siry-Houari, maire adjointe du XVIIIe arrondissement de Paris, bureau national du PS  

publié le 21 mars 2024

La lutte pour les droits des femmes suppose d’affranchir leur corps de l’assignation reproductive, qui est l’une des raisons principales de leur domination, rappelle un collectif d’élus socialistes.

Une gestation pour autrui éthique est-elle possible ? «Je suis, à titre personnel, favorable à une GPA éthique.» Il aura suffi d’une petite phrase prononcée par le patron des socialistes Boris Vallaud, dans la magazine Têtu début mars, pour relancer le débat au sein du parti. «Ce qui n’est pas éthique, c’est l’absence de cadre législatif et réglementaire. Il y a des GPA qui se produisent dans des conditions de marchandisation du corps, et le meilleur rempart contre cela c’est de légiférer», affirmait le député des Landes. Une position qui ne fait pas l’unanimité.

A la suite du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, plusieurs personnalités de gauche et de la majorité ont été interrogées sur la question de la gestation pour autrui (GPA) et se sont montrées ouvertes à une «GPA éthique». Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et de la Famille, jugeait même souhaitable de «sortir du tabou de la gestation pour autrui» tout court. Nous ne le répéterons jamais assez : la lutte pour les droits des femmes suppose d’affranchir leur corps de l’assignation reproductive, qui est l’une des raisons principales de leur domination.

La GPA est d’ailleurs strictement interdite en droit français, au nom de principes dits d’ordre public, c’est-à-dire auxquels on ne peut déroger, sauf cas très exceptionnels tant ils visent à garantir notre vivre-ensemble, c’est-à-dire «ce qui nous est commun et essentiel», selon le Conseil d’Etat. Dans sa décision du 31 mai 1991, dite mères porteuses, la Cour de cassation affirme ainsi que «la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient […] au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain», principe dégagé par la jurisprudence sur la base de l’article 1129 du code civil selon lequel «il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions (1)». En d’autres termes, en droit français, les personnes sont protégées contre toute exploitation du corps par autrui ou de leur propre chef, par exemple pour des raisons financières.

«Un vœu pieux»

Entendons-nous : il ne peut exister de GPA «éthique», car la bioéthique, l’éthique, c’est précisément l’indisponibilité du corps humain et la pleine liberté pour les femmes de disposer de leur corps, sans aucune forme de pression. «La GPA éthique est un vœu pieux», comme l’affirme René Frydman, inventeur de la fécondation in vitro et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Tout simplement parce que la GPA n’intervient jamais dans les faits hors marchandisation ou contractualisation portant sur le corps d’une femme.

Victor Hugo disait : «La misère est la mère de tous les vices.» Imagine-t-on sincèrement que, cette possibilité ouverte, aucune transaction financière ou aucune pression «amicale» ne s’exercerait pour pratiquer une GPA ? Qu’une femme «prête» ou «loue» son utérus de gaieté de cœur, et accepte de subir les conséquences en matière de santé que cela implique, par simple bonté d’âme ?

Regardons ce qu’il se passe en Grèce où est autorisée une gestation pour autrui soi-disant «éthique» où seuls sont dédommagés les frais de la grossesse et de l’accouchement : le recrutement des mères porteuses s’y fait avec des dessous-de-table, et celles-ci sont pour beaucoup des immigrées européennes originaires de pays pauvres comme l’Albanie ou la Bulgarie, qui n’ont pas d’autres sources de revenus (2). Des femmes précaires qui louent, non pas leur force de travail, mais leur utérus, leur faculté reproductive, à des couples plus fortunés. Sur le continent américain, là où la GPA existe, ce sont souvent des femmes non blanches qui sont concernées au profit des couples de personnes blanches : la GPA est un paroxysme du système capitaliste qui fait naître un nouveau prolétariat de la gestation, où se cumulent domination raciale, sexiste, et de classe.

Objet d’échange

La GPA transforme en objet d’échange le corps d’une femme et le lien filial avec l’enfant ; Marx avait vu juste lorsqu’il décrivait un temps où «toutes choses, jadis inaliénables, sont devenues des objets d’échange», du fait du besoin d’extension perpétuel du capitalisme.

Une étude de juillet 2022 du Center for Bioethics and Culture parue dans la revue Dignity explique clairement que «plus la situation financière de la femme est compliquée, plus la femme est encline à prendre des risques pour sa santé».

La communauté médicale nous alerte, en effet, sur les risques sanitaires et psychologiques pour les mères (les risques de dépression post-partum sont notamment significativement plus élevés), comme pour les enfants. Ces considérations essentielles sont rappelées par Olivia Maurel, née d’une GPA et porte-parole de la déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la GPA, qui attire l’attention sur les risques de troubles émotionnels et sociaux des enfants et insiste sur un principe fondamental : un enfant ne devrait jamais être l’objet d’une transaction. Elle alerte sur le danger de glissement en cas d’autorisation de la GPA : permise au départ pour des raisons d’infertilité ou des raisons sociales, elle l’est ensuite plus largement (parce que «l’offre», notamment si la GPA est initialement limitée à une GPA «éthique», sera vite susceptible de ne pas satisfaire la «demande»).

La GPA est un acte d’aliénation, voire de marchandisation du corps des femmes, ce contre quoi les féministes se battent depuis des décennies. L’utérus de la femme et l’enfant sont considérés dans cette logique comme des choses pouvant faire l’objet d’une transaction. Après la belle victoire collective de la constitutionnalisation de l’IVG, nous devrons rester collectivement vigilant·e·s, car rien n’est jamais acquis. En l’espèce, la situation de l’enfant «est le grand oublié du débat», comme le souligne Martine Segalen, et le discours des femmes ayant porté l’enfant lors d’une GPA a tendance à être invisibilisé au profit d’autres discours militants autour du désir d’enfant. D’autres solutions existent et peuvent, elles, faire l’objet d’un débat. Mais nous le disons aujourd’hui haut et fort : nos corps ne seront jamais asservis pour le compte des hommes.

(1) «L’indisponibilité du corps», de Patricia Vannier, Fiches de droit des personnes (Ellipses, 2020), pp. 123-128.
(2) «Pourquoi la gestation pour autrui dite éthique ne peut être», de Martine Segalen, Travail, genre et sociétés, 2017 /2 (numéro 38), pp. 53 à 73.
Gabrielle Siry-Houari est l’autrice de la République des hommes (Bouquins, 2021).

Cosignataires : Geneviève Couraud Membre fondateur de la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution (Ciams) Jean-François Debat Maire de Bourg-en-Bresse Cécile Fadat Adjointe au maire de Condat, conseil national du PS Béatrice Hakni-Robin Adjointe à la maire de Rennes, bureau national du PS Céline Hervieu Conseillère de Paris, porte-parole du PS Maud Olivier Ancienne députée, coauteure et rapporteure de la loi contre le système prostitutionnel Dominique Potier Député de la Meurthe-et-Moselle Michèle Vitrac Présidente d’Elu.es contre les Violences faites aux Femmes, conseil national du PS Eleonore Avenet Secrétaire fédérale à l’égalité femmes-hommes de l’Hérault et Halima Delimi Instances nationales du PS.


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