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mercredi 3 avril 2024

La psychiatrie va mal mais son image se porte bien

par Eric Favereau   publié le 2 avril 2024

Alors que la psychiatrie publique s’enfonce depuis des années dans la crise, une série d’expositions, de documentaires ou d’ouvrages la montrent chaleureuse et bienveillante. Effet nostalgique ? Aveuglement ?

Si un Persan, à l’instar de celui des Lettres persanes de Montesquieu, venait à atterrir en France en ce début de printemps 2024 pour s’enquérir de l’état de santé de la psychiatrie française, il en sortirait globalement admiratif et confiant, tant ce qu’on lui montre ces jours-ci sur nos écrans ou dans les musées a un côté bienveillant et nostalgique.

C’est en effet un des paradoxes du moment. Alors que, jusqu’à récemment, on n’entendait que l’énoncé d’un constat catastrophique de l’état de nos hôpitaux psychiatriques, avec la dénonciation d’une absence criante de personnel, avec des patients mal pris en charge, endormis, sédatés à outrance quand ils ne sont pas attachés sur des brancards faute de lits disponibles, voilà que lorsque l’on rentre dans un musée, lorsque l’on se rend dans une salle de cinéma ou lorsqu’on regarde tout simplement un documentaire sur la psychiatrie, on est rassuré : toutes ces œuvres renvoient l’image d’une prise en charge douce et aimante. Certes, tout n’est pas simple, les difficultés pointent en arrière-plan, mais l’humanité des soignants et le regard bienveillant des visiteurs font que cela fonctionne plutôt bien. On serait en somme bien loin du désastre annoncé.

«Vous êtes toujours la bienvenue»

Ainsi au Palais de Tokyo, dans l’exposition «Toucher l’insensé», on voit de la vie brute. C’est une belle réussite, on y assiste à une foule d’initiatives, toutes semblent bien fonctionner, c’est même rebelle et insolent. On crée, on soigne, on prend soin. Une grande place est donnée à la fameuse clinique de La Borde, haut lieu de la psychothérapie institutionnelle (1), avec des entretiens de Félix Guattari, ou de Jean Oury, et bien sûr de François Tosquelles, psychiatre catalan qui a bouleversé la psychiatrie d’après-guerre. On les écoute tous, un peu admiratif, très enchanté et presque rassuré. Quel étonnant moment vit-on ! La psychothérapie institutionnelle est partout fêtée et reconnue, que ce soit dans les librairies ou sur nos écrans, partout… Sauf dans les lieux de soins, où elle reste une pratique marginale, assommée par le triomphe des neurosciences et des médicaments.

Dans un documentaire récent, Etat limite, diffusé sur Arte, c’est la même douce tonalité qui prévaut. On y rencontre des psychiatres particulièrement attentifs, compréhensifs et conciliants, gentils et humains, comme celui des urgences de l’hôpital Beaujon, le Dr Jamal Abdel-Kader. Il est jeune, et il faut le voir s’adresser avec élégance à un toxicomane défiguré par les coups. Il faut l’entendre parler tatouages à une jeune fille amputée des deux jambes après une tentative de suicide, ou chercher des cigarettes pour soulager des patients. Voire saluer une malade qui quitte le service comme s’il parlait depuis le seuil de son salon : «Solange, sachez que vous êtes toujours la bienvenue.» Certes, à la fin, il fait part de son désarroi devant le manque de moyens, se demandant même s’il va continuer à exercer, il n’empêche : Jamal Abdel-Kader est présent et il fait un travail impressionnant. Comme si quelque chose était bel et bien possible.

Un dialogue simple et humain

Et cela continue. Dans les deux documentaires de Nicolas Philibert qui font suite à Sur l’Adamant, c’est le même air du temps bienveillant et attentif que l’on ressent. Ainsi dans Averroès et Rosa Parks, une série d’entretiens entre psychiatres et patients hospitalisés, il y a de l’écoute, de l’empathie. Tout paraît possible. Certains des patients délirent, mais on les entend. Et l’on ne peut être qu’admiratif quand on suit dans le dernier volet du triptyque – la Machine à écrire et autres sources de tracas, en salles le 17 avril – un duo de soignants qui se rend au domicile des patients, sous le prétexte de réparer un lecteur de cassettes qui ne fonctionne plus, une machine à écrire qui se bloque. Tout cela se déroule dans un dialogue simple et humain, thérapeutique aussi. «Le silence, cela me tue», dit joliment la vieille patiente, à qui l’on redonne vie à son poste de radio.

Pourquoi faire la fine bouche et douter, me direz-vous ? On reste un peu perdu par l’écart entre cette psychiatrie humaniste qui d’un côté a envahi nos musées, les salles de projections, les librairies, et de l’autre côte les remontées du terrain qui sont, elles, bien plus sombres. Certes, il y a aujourd’hui une kyrielle de petites oasis où se font avec chaleur et compétence des prises en charge efficaces. De ces lieux-là, on n’en parle sûrement pas assez. Pour autant, que peut-on en déduire ? Assiste-t-on à un renversement de tendance ? Sortirait-on d’un discours de plaintes pour nous rappeler qu’autre chose est possible ? Serait-ce la preuve qu’en dépit d’un climat sombre on peut faire des choses ? Ou bien tout cela n’est-il qu’un écran de fumée, enrubanné de nostalgie, pour supporter la lourdeur des temps présents ?

(1) La psychothérapie institutionnelle, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, vise à soigner aussi bien le patient que les murs de l’asile.


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