Par Marion Dupont Publié le 3 avril 2024
L’expression choisie par le président, Emmanuel Macron, pour son projet de loi sur la fin de vie illustre sa volonté de cadrer le débat politique et médiatique à venir. Délibérément vague et consensuelle, elle est même reprise par ses opposants, qui y voient la définition même des soins palliatifs.
Histoire d’une expression. D’évidence, il importe de bien choisir ses mots quand on parle de la mort. C’est sûrement pourquoi, parallèlement aux diverses concertations menées entre 2022 et 2023 en vue d’une modification de la législation sur la fin de vie, un groupe d’experts, mené par l’écrivain Erik Orsenna, s’était vu confier une mission spécifique par l’exécutif : concevoir un lexique des mots de la fin de vie, dans l’espoir de définir des termes parfois flous et de déminer un sujet sensible.
Si ce glossaire n’a finalement jamais été publié, le choix d’Emmanuel Macron d’annoncer un projet de loi prévoyant le recours à une « aide à mourir » montre que le président a longuement réfléchi à la façon de cadrer le débat politique et médiatique à venir.
En effet, pourquoi avoir retenu ce vocable afin de désigner la possibilité pour les patients majeurs atteints d’une maladie incurable, dont le pronostic vital est engagé à courte ou moyenne échéance, de demander qu’un terme soit mis à leur souffrance ? Le choix ne manquait pourtant pas : « euthanasie », « suicide assisté », « assistance au suicide », ou même les variantes « aide active à mourir » et « aide médicale à mourir », les formulations sont aussi nombreuses que les positions sur le sujet. « Parce qu’il est simple et humain, a répondu Emmanuel Macron à Libération et à La Croix, et qu’il définit bien ce dont il s’agit. » En ce qui concerne ce dernier point, il est pourtant permis de douter.
Appréciée pour son ambiguïté
Historiquement, l’expression « aide à mourir » est précisément appréciée pour son ambiguïté. « C’est une formule que l’on voit apparaître dans les sondages réalisés par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité [ADMD] dans les années 1980-1990 », note Michel Castra, professeur de sociologie à l’université de Lille. Alors qu’à cette époque la polémique autour de la fin de vie bat (déjà) son plein, l’ADMD cherche à démontrer le vaste soutien des Français à l’euthanasie, au suicide assisté et au droit de choisir sa mort. Dans le contexte de ces questionnaires, l’expression « aide à mourir », qui ne précise ni l’auteur, ni la nature, ni les modalités de l’« aide » apportée, s’avère, selon lui, fort utile. « Cela a permis à l’ADMD de dire que 85 % des Français étaient favorables, si la personne se trouvait dans une souffrance insurmontable due à une maladie incurable, à ce qu’elle puisse être aidée à mourir à sa demande », poursuit le sociologue.
Cette imprécision a d’ailleurs permis à l’expression d’être reprise… par les opposants à ces pratiques. Dans un compte rendu de congrès, publié en 2004, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), une institution historiquement opposée à l’euthanasie et au suicide assisté, demandait ainsi : « Aider à mourir, n’est-ce pas d’abord prendre soin et accompagner ? » Vingt ans plus tard, dans une tribune au « Monde », Claire Fourcade, directrice de la SFAP, voit même dans l’aide à mourir « la véritable mission des soins palliatifs ». « L’expression euphémise considérablement la réalité qu’elle désigne, et peut donc désigner des choses diamétralement opposées », explique M. Castra.
Philippe Bataille, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et ancien membre de la « commission Orsenna », voit, de son côté, l’expression comme un véritable « chapeau lexical », et ce, à plus d’un titre. Elle s’avère en premier lieu très commode pour ce projet de loi qui, s’il introduit la possibilité d’une « aide à mourir », promeut aussi, dans son premier chapitre, les soins palliatifs par le biais d’une stratégie décennale et de moyens supplémentaires alloués à ces services.
« Une ressource »
De plus, en l’état, l’« aide à mourir » annoncée semble relever à la fois du suicide assisté et de l’euthanasie, ou, du moins, ne pas trancher entre ces deux modes opératoires. Le projet de loi prévoit ainsi que, d’une manière générale, la substance létale prescrite par un médecin soit administrée par la personne elle-même, soit une pratique proche du suicide assisté, tandis que, si elle n’est pas en mesure de réaliser elle-même ce geste, elle sera autorisée à demander à une tierce personne – un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle aura désignée – de le faire à sa place − une pratique proche de l’euthanasie.
« L’utilisation de cette formulation dans le titre de la loi est une ressource, car cela permet de tenir ensemble euthanasie et suicide assisté sans les nommer. Ainsi, les deux restent dans la perspective de l’activité parlementaire », estime M. Bataille.
« L’utilisation de cette formulation dans le titre de la loi est une ressource, car cela permet de tenir ensemble euthanasie et suicide assisté sans les nommer. Ainsi, les deux restent dans la perspective de l’activité parlementaire », estime M. Bataille.
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