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lundi 1 avril 2024

Le désarroi des parents d’enfants hyperactifs : « Une maman m’a demandé un jour si je n’avais pas peur de droguer mon fils »

Par   Publié le 30 mars 2024

Le TDAH, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, est difficile à vivre pour les jeunes qui en sont atteints mais aussi pour leurs parents, qui s’interrogent sur les réponses à apporter : la consommation d’un médicament psychostimulant, le méthylphénidate, a plus que doublé en dix ans. 

« Un petit monstre. » C’est ainsi que Luc (le prénom a été modifié), le fils de Myriam Molinier, était qualifié tout petit. Et même de « fou », comme a lâché le père de Myriam un jour. Luc représentait le cauchemar de tout parent. Un enfant de 4 ans qui, d’un coup, peut se mettre à faire voler les chaises de la cuisine puis à s’acharner dessus pour tenter de les casser. Des fugues, la honte des crises en public, une famille à bout, un divorce à la clé… « On encaisse autant que l’enfant. On nous dit qu’il est capricieux, mal élevé, on n’a plus d’amis parce que personne ne veut supporter un gamin qui ne tient pas en place », confie, depuis la Loire, Myriam Molinier, 52 ans, gérante de Neurodiff’Formation, une société qui vise à transmettre des connaissances sur les troubles neurodéveloppementaux.

Luc a beaucoup de mal à maintenir son attention, à terminer une tâche. Il ne tient pas en place, est impulsif, avec une difficulté à attendre, une tendance à couper la parole… Il coche toutes les cases des symptômes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Près de 5,9 % des moins de 18 ans seraient concernés, selon l’Assurance-maladie. A 6 ans, Luc est diagnostiqué et commence à prendre un médicament, le méthylphénidate, autorisé à partir de cet âge. « Le traitement l’a canalisé », estime sa mère. Commercialisée sous les noms de Ritaline, Medikinet, Quasym ou Concerta, cette molécule, classée comme stupéfiant, agit sur le cerveau pour améliorer la concentration et maîtriser l’impulsivité.

En France, autour de 0,7 % des 3-17 ans y ont eu recours en 2019, selon une étude parue dans la revue Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, en février 2022. Rien à voir avec certains Etats américains, où un jeune sur dix est sous méthylphénidate. Néanmoins, la consommation ne cesse d’augmenter : elle a plus que doublé en dix ans dans l’Hexagone, comme l’a révélé un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), publié en mars 2023 et intitulé « Quand les enfants vont mal, comment les aider ? ». A tel point que fin février, l’Agence nationale de sécurité du médicament a alerté sur les difficultés d’approvisionnement de médicaments à base de méthylphénidate, voire sur la rupture de stock de certaines spécialités.

Les troubles de l’attention sont de plus en plus connus du grand public. En décembre 2023, le président de la République, Emmanuel Macron, a même intégré le TDAH dans sa stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement. Aux yeux de bon nombre de parents épuisés, démunis face à leur enfant qui souffre, le diagnostic peut apparaître comme une voie d’espoir, de soulagement, et le traitement comme une solution miracle.

Stages de guidance parentale

Avec la médiatisation du phénomène, de nombreuses familles se demandent si elles sont concernées. Laurent Chazelas, président de l’Association française des psychologues de l’éducation nationale, raconte ainsi que « des parents viennent à l’école exposer les difficultés de leur enfant en ayant déjà posé eux-mêmes un diagnostic de TDAH ». Leur attente ? Une meilleure prise en charge de leur enfant.

La première étape consiste à faire diagnostiquer le TDAH par un médecin spécialiste du trouble, de préférence pédiatre, neurologue ou pédopsychiatre. Depuis quelques années, des charlatans proposent aux parents désespérés des diagnostics établis à la va-vite en échange de plusieurs centaines d’euros. « En regardant les critères, tout le monde peut se sentir TDAH. Il faut faire attention au phénomène de mode pour mettre des mots sur un mal-être qui est parfois d’une tout autre origine. Le diagnostic ne peut être posé que par un médecin, qui établira si le trouble engendre de la souffrance, du handicap », énonce Benjamin Rolland, psychiatre aux Hospices civils de Lyon et responsable d’un diplôme interuniversitaire « TDAH à tous les âges », à destination des professionnels de santé, des patients et des familles.

Une fois le diagnostic posé, s’informer sur le trouble constitue le socle premier pour les familles. Puis une thérapie doit aider l’enfant à mieux cerner ce qui le préoccupe et à y remédier. Certains CHU, comme celui de Montpellier, proposent un suivi global pour les jeunes porteurs d’un TDAH et leurs parents. Son service de médecine psychologique de l’enfant et de l’adolescent organise des formations pour venir en aide aux familles. Ces stages de guidance parentale sont également accessibles en ligne. Aux yeux d’Isabelle (le prénom a été changé), une Héraultaise dont le fils de 17 ans a été diagnostiqué, « cela aide à comprendre la différence de [leur] enfant ». Puis à s’y adapter…

Tous les mercredis pendant un trimestre, le fils d’Isabelle a assisté à un stage, à l’hôpital Saint-Eloi, mené par un psychomotricien, pour apprendre à se concentrer et à structurer sa pensée. Parmi les nouveaux outils à disposition de l’adolescent, la carte mentale. Il la dessine avec une idée centrale et des liens vers les éléments connexes qui gravitent autour. En complément, il prend du méthylphénidate. « Le “médoc”, ça ne fait pas tout, rapporte Isabelle. En revanche, cela peut aider pour optimiser l’application des autres méthodes thérapeutiques. Je ne m’interroge plus sur l’acceptabilité de son traitement, tellement j’en vois le bénéfice. Il est plus posé, a retrouvé sa joie de vivre, et cela l’aide à préparer le bac. »

La Haute Autorité de santé préconise de prescrire ce médicament en dernier recours« lorsque les mesures non médicamenteuses avec des approches éducatives, familiales, rééducatives et psychothérapiques (psychoéducation, thérapies cognitivo-comportementales, etc.) seules sont insuffisantes. Le traitement pharmacologique est alors intégré à la stratégie de prise en charge globale, et en association avec les mesures correctives ». Ses nouvelles recommandations sur la prise en charge des enfants avec TDAH sont attendues pour le deuxième semestre 2024. Selon Myriam Molinier, il s’agit là d’une « façon de voir très française » : « D’après mon expérience, le traitement permet une amélioration nette qui fait qu’on n’a pas besoin d’un suivi thérapeutique », précise-t-elle. A présent, son fils Luc se rend chez son pédopsychiatre une fois par an seulement, pour renouveler son ordonnance.

« Ce n’est pas une pilule magique »

D’autres regrettent que, bien souvent, le médicament soit prescrit sans autre forme d’accompagnement. La pénurie de spécialistes pèse dans la balance. Il n’est pas aisé d’obtenir un suivi régulier avec un pédopsychiatre : il n’en reste plus que 597 en France. Du côté des centres médico-psychologiques, ce n’est pas mieux : en 2022, il fallait compter six mois pour décrocher un rendez-vous. Et parfois jusqu’à deux ans, comme dans la Loire, rappelle Myriam Molinier, qui a créé une association, TDAH Partout Pareil, pour conseiller les parents.

« Le méthylphénidate ne guérit pas du TDAH, rappelle aussi le psychanalyste Sébastien Ponnou, expert auditionné dans le cadre du rapport du HCFEA et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Rouen-Normandie. Il est important de recevoir l’enfant en séance pour comprendre ce qui l’affecte et trouver des solutions pour l’aider. » « L’intérêt de ce médicament est qu’il a une rapidité d’action, il est possible de le prendre uniquement en cas de besoin. Mais l’idée, ce n’est pas de donner un traitement pour être tranquille, que le jeune se tienne sage. On peut comprendre ce qu’est la fatigue d’avoir un enfant avec ces symptômes, mais ce n’est pas non plus une pilule magique », prévient Céline Bonnaire, psychologue clinicienne et psychothérapeute.

Virginie Bouslama, présidente de l’association Typik’Atypik, mère d’un adolescent porteur d’un TDAH et elle-même diagnostiquée, témoigne qu’« aucun parent ne se dit “Youpi, je vais donner un psychostimulant à mon enfant”. On a régulièrement des réflexions. Une maman m’a demandé un jour si je n’avais pas peur de le droguer. Je lui ai répondu : “Je me drogue aussi, alors” ». Afin d’évaluer régulièrement l’efficacité du traitement, il est recommandé de faire des pauses, surtout pour les tout-petits.

Et cela, également pour limiter les effets sur la croissance des enfants, car le méthylphénidate diminue l’appétit : la structure chimique du médicament est apparentée à celle de l’amphétamine, tout comme le Mediator, un antidiabétique prescrit comme coupe-faim, à l’origine d’un grave scandale sanitaire. « Il y a un profil d’effets indésirables communs : des troubles cardio-vasculaires comme la valvulopathie, l’hypertension, les palpitations, et cela peut aller jusqu’à la mort subite. Ce n’est pas anodin », met en garde Florence Chapelle, responsable de la rédaction de la revue indépendante Prescrire.

Luc a longtemps été un « gringalet » et fait une tête de moins que les autres, reconnaît sa mère. Il prend du méthylphénidate sans interruption depuis neuf ans. La durée médiane de traitement chez les petits Français de 6 ans était de cinq ans et demi en 2011, selon l’étude déjà citée de Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. « Arrêter le week-end et les vacances, c’était trop dur, la famille aussi a besoin de calme », lâche Myriam Molinier.

Les dernières vacances sans médicament, elle s’en souviendra longtemps. Luc avait 7 ans. « Nous étions en Espagne. J’ai refusé de lui acheter une brosse à cheveux alors que nous étions dans un immense centre commercial. Il l’a jetée par terre et s’est enfui. Au bout d’une demi-heure, nous avons sollicité le personnel de sécurité qui l’a retrouvé grâce aux caméras. Après ça, j’évitais de l’emmener faire les courses car l’ennui chez lui provoquait des crises. Mais un jour, il a bien fallu qu’il m’accompagne pour essayer des chaussures. En voulant se cacher dans les rayons, il a renversé toutes les boîtes. J’ai presque été sortie par la vendeuse », relate-t-elle.

« Pas en lien avec un contexte familial défaillant »

Si les excès de colère ne sont pas propres aux jeunes diagnostiqués TDAH, Diane Purper Ouakil, psychiatre au CHU de Montpellier, explique que leur intensité et leur fréquence les différencient. « Un enfant avec TDAH confronté à la frustration le ressent d’autant plus fort qu’il a moins d’autocontrôle, de freins. Avant d’aller faire des courses, il est important de lui expliquer ce que l’on peut acheter et ce que l’on ne peut pas pour prévenir une éventuelle crise, d’autant que le bruit, l’excitation et les diverses stimulations l’affectent particulièrement », fait valoir la praticienne.

Luc, 15 ans et aujourd’hui déscolarisé, s’instruit à domicile. Pour la plupart des enfants qui souffrent de ce trouble, l’école est mal vécue dès le plus jeune âge, même s’il existe des astuces pour les aider à la supporter, que livre Fabienne Henry, enseignante référente pour la scolarisation des élèves en situation de handicap et autrice d’Accompagner l’enfant dans ses apprentissages scolaires : TDAH, Dys, HPI, TSA et tous les autres ! (Dunod, 2023) : par exemple, « il est important d’éviter de placer l’enfant près de la fenêtre, car ce qui se passe dehors va le distraire, et également de baliser le temps, avec un sablier ou autre, pour l’aider à maintenir son attention pendant la durée de l’exercice ».

Des stratagèmes utiles aux parents d’enfants qui ont du mal à se concentrer. Pendant un temps, Luc et ses deux sœurs, aujourd’hui âgées de 17 et 20 ans, ont été suivis par une neuropsychologue – non médecin, donc. Celle-ci soupçonnait un TDAH aussi chez les deux aînées. Mais le pédopsychiatre de l’une des filles a refusé de la mettre sous méthylphénidate, craignant d’accroître son anxiété et sa dépression, visiblement liées à une situation de harcèlement scolaire : cela fait partie de la liste des effets indésirables fréquents, c’est inscrit dans la notice. La famille a alors traversé la France pour consulter un psychiatre connu pour son repérage du trouble et obtenir une réponse médicamenteuse. Depuis le Sud-Est donc, cap au nord-ouest pour une diagonale en quête de comprimés. En Normandie, toute la famille est diagnostiquée, de la mère aux filles.

Pourquoi avoir commencé un traitement ? « La cadette était très maladroite. Par exemple, elle renversait son verre à chaque repas », illustre Myriam Molinier. L’aînée, « très sensible au bruit », est sous méthylphénidate. La mère de famille, aussi. « J’étais épuisée. Quand on gère des enfants avec TDAH, on n’a pas de repos. Un jour, j’ai failli m’endormir au volant sur un trajet de 40 kilomètres seulement. J’ai voulu essayer le méthylphénidate. J’ai vu la différence tout de suite, je pouvais conduire dix heures d’affilée », rapporte-t-elle. A présent, elles sont toutes les trois suivies par le même psychiatre lyonnais, « selon les besoins », et en ce moment, uniquement une fois par an, pour le renouvellement de la prescription.

Le trouble est-il héréditaire ? Certains spécialistes, plutôt d’obédience psychanalytique, ne croient pas à l’explication biologique, séduisante, mais qui manque de preuves scientifiques : l’Assurance-maladie précise bien que « les causes du TDAH ne sont pas encore connues avec certitude », même si on sait « que le TDAH n’est pas en lien avec un contexte familial défaillant en matière d’éducation, un stress psychologique, une mauvaise formation scolaire ou un manque de volonté d’apprendre ».

Stratégies d’influence des laboratoires

Gabriel, 12 ans, prend du méthylphénidate depuis trois ans en complément de son suivi au CHU de Montpellier. Son père, Florian (qui n’a pas souhaité donner son nom), policier, était très méfiant vis-à-vis de ce médicament classé stupéfiant, ayant en tête son possible usage détourné – en cas d’abus, il peut conduire à un état de dépendance. « J’assimile cela à de la drogue. Même si je tire mon chapeau au méthylphénidate, qui nous aide au quotidien, cela reste de la saloperie. Je ne peux pas m’empêcher de craindre de découvrir un jour qu’il lui a cramé des neurones… Le sport l’aide à se canaliser, ça permet qu’il en prenne le moins possible, notamment les jours où il n’a pas besoin d’avoir une attention particulière, le week-end », témoigne le quadragénaire.

Dans la Loire, Myriam Molinier a changé d’officine quand la pharmacienne lui a fait remarquer « devant tout le monde »qu’il s’agissait d’un produit stupéfiant. La délivrance des spécialités à base de méthylphénidate dans le TDAH est très encadrée. Mais, depuis septembre 2021, à la suite de pressions des associations de patients, il n’est plus obligatoire de se rendre en consultation à l’hôpital pour obtenir une première ordonnance. Avant cela, « compte tenu du peu de spécialistes, c’était trop difficile d’avoir un diagnostic sans attendre des mois, voire des années », rappelle Myriam Molinier. La prescription initiale est à présent ouverte aux médecins psychiatres, pédiatres et neurologues exerçant en ville et est valable un an. Néanmoins, l’ordonnance doit être renouvelée tous les vingt-huit jours : les généralistes y sont autorisés.

Avec un trouble mieux connu du grand public et une prescription facilitée, les ventes de médicaments augmentent. Après Novartis et sa Ritaline – le médicament à base de méthylphénidate le plus connu, qui ne fait plus partie de son portefeuille aujourd’hui, repris par Infectopharm –, d’autres laboratoires se sont mis sur le créneau, en proposant des traitements qui ne nécessitent plus qu’un cachet par jour au lieu de deux. Cela leur a permis de déposer de nouveaux brevets, qui les protègent de la concurrence pendantLes laboratoires déploient leurs stratégies d’influence en sous-main, dans l’espoir de pousser à la prescription en misant sur le bouche-à-oreille des parents, qui se tournent souvent vers les associations de patients. La plus connue d’entre elles ? HyperSupers. La structure a reçu des financements de producteurs de méthylphénidate, à hauteur de 35 000 euros entre 2015 et 2017, comme cela a été déclaré dans la base de données publique Transparence-Santé (créée en 2014, à la suite du scandale du Mediator). Ils proviennent essentiellement du laboratoire Shire, racheté depuis par Takeda – qui commercialise le Quasym –, et de HAC Pharma, le fabricant de Medikinet. Aucune de ces firmes n’a répondu aux sollicitations du Monde.

« Certains laboratoires nous ont démarchés quand ils étaient en période de lancement de produit, réagit Christine Gétin, présidente d’HyperSupers. Nous avons parfois accepté des subventions de projets pour organiser des journées d’information grand public, et à condition qu’ils ne s’occupent pas des contenus que nous préparions. On ne nous achète pas, et nous ne sommes pas prescripteurs », ajoute-t-elle. Elle précise aussi que, depuis six ans, son association ne reçoit plus de financement de la part de l’industrie pharmaceutique. Sa priorité, conclut-elle, c’est d’aider les autres parents face au mur de difficultés que constitue ce trouble.


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