par Yassine Karchi publié le 25 mars 2024
Les établissements médico-sociaux seront contrôlés à partir de 2025, a annoncé Fadila Khattabi, ministre déléguée aux Personnes âgées et aux Personnes handicapées, qui a dévoilé ce lundi 25 mars sa stratégie contre les violences et négligences à domicile et dans les établissements médico-sociaux. Elle a été publiée au lendemain de la diffusion, dimanche sur M6, d’une enquête de «Zone interdite» sur les défaillances de l’Etat dans le secteur du handicap.
Anne-Sarah Kertudo est fondatrice et directrice de l’association Droit pluriel ayant pour but de défendre les droits des personnes en situation de handicap. Un an après avoir participé au lancement des états généraux des maltraitances, elle estime qu’il «est temps de vraiment penser aux familles et à ce qu’elles vivent». Elle demande ainsi «l’ouverture de nouvelles structures».
Selon vous, les pouvoirs publics possèdent-ils aujourd’hui de bons outils pour recueillir, suivre et répondre aux situations de maltraitance concernant les personnes en situation de handicap ?
Non, notre association recense énormément de retours sur la question des établissements médico-sociaux. Beaucoup de personnes nous saisissent pour des sujets de violence. Ce ne sont pas des petites violences, ce sont des tortures comme des brûlures de cigarettes, des traces de coups, etc. On a aussi beaucoup de viols. Ce qu’on constate, c’est qu’il n’y a souvent pas de réponse de la part des directions d’établissements, c’est-à-dire que ce n’est pas pris très au sérieux. Par exemple, nous avons le cas d’un viol dans un foyer, où l’auteur a été déplacé à l’étage du dessous.
Dans l’affaire Cynthia Chevallard, une adolescente qui a été retrouvée morte en 2022 dans des conditions étranges dans son institut médico-éducatif, rien n’a changé plus d’un an après. La plainte n’est toujours pas traitée, la police nous dit qu’elle attend le rapport d’expertise. C’est comme si dans une école, on retrouvait un enfant mort et le lendemain tout continuait comme si rien n’était.
Comment accueillez-vous l’annonce d’une stratégie nationale de lutte contre les maltraitances visant les personnes en situation de handicap ?
Il manque l’essentiel, c’est ce qu’attendent les familles : l’ouverture de nouvelles structures. Il manque des milliers de places. Quand on dénonce des violences, par exemple, les familles disent qu’elles n’ont pas le choix car il n’y a pas d’autres lieux d’accueil. De plus, avec cette annonce au lendemain du reportage de M6, on a forcément un tout petit peu peur que ce ne soit pas un travail de fond, mais un effet d’annonce.
Quelle est votre position quant à l’annonce du contrôle de tous les établissements médico-sociaux accueillant des personnes handicapées ?
On est en faveur du contrôle des établissements. Mais d’abord, il faudrait revoir de fond en comble les pratiques. Il faudrait que les familles puissent visiter ces lieux, qu’ils ne soient pas des zones de non-droit avec des portes fermées à double tour. Aujourd’hui, on ne sait pas ce qui se passe derrière.
Ensuite, qu’il y ait des contrôles, c’est bien. Toutefois, ils vont être faits par les agences régionales de santé, alors que ce sont elles qui financent ces structures. C’est donc un problème. Par ailleurs, un contrôleur aurait en moyenne à sa charge 90 établissements. Comment, dans ces conditions, faire du travail sérieux, c’est-à-dire y aller à plusieurs reprises, s’entretenir avec les résidents, etc. ? Et comme en plus, les contrôles sont annoncés longtemps à l’avance, les établissements ont le temps de faire tout ce qu’il faut pour que ça soit bien joli à son arrivée. Il faudrait que ces contrôles soient faits par des personnes indépendantes et qu’elles en aient des moyens.
Dans votre association, qu’observez-vous quotidiennement en termes de maltraitance sur les personnes en situation de handicap, notamment dans les instituts médico-éducatifs (IME) ?
Il ne se passe pas une journée sans qu’on ait une remontée de viols, de coups portés sur des résidents, au sein de notre permanence juridique. Les parents en larmes nous disent qu’ils sont obligés de raccompagner leur enfant dans la structure parce qu’ils n’ont pas d’autre solution. On les encourage à porter plainte, mais souvent ils ne veulent pas car ils ont peur qu’en se défendant, ils se retrouvent sans solution, et avec leurs enfants ou leurs proches à la maison.
La stratégie nationale entend «libérer la parole» des personnes en situation de handicap victimes de maltraitance : est-ce qu’elle est suffisamment libérée ?
Comme pour les violences faites aux femmes, le problème n’est pas la parole. La question, c’est : est-ce qu’elle est écoutée ? Les personnes qui portent plainte, on ne les écoute pas, on ne les croit pas. Elles ne sont pas prises au sérieux. Les victimes, elles parlent. Il faut que chacun fasse son travail. Les forces de l’ordre n’ont pas le droit de refuser une plainte. Quand elle vient d’une personne handicapée, c’est pareil.
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