Dans une tribune adressée au « Monde », le psychiatre Michel David s’inquiète des réglementations de plus en plus complexes pour encadrer l’hospitalisation sans consentement, le recours à l’isolement ou à la contention. Il y voit un déni de la maladie mentale.
La psychiatrie est une discipline médicale qui ne laisse pas indifférent. Entre les internements arbitraires, les sorties précipitées, et les faits divers graves, spectaculaires et très médiatisés, la psychiatrie se singularise du reste de la médecine, rendant presque impossible de débattre sereinement sur les soins pour les personnes souffrant de maladie mentale.
La psychiatrie peut prodiguer des soins sans le consentement du patient, que ce soit dans le cadre d’une hospitalisation à la demande de la famille ou du préfet, ou par des mesures d’isolement ou de contention décidées par l’équipe médicale. En imposant des soins, une restriction de la liberté d’aller et venir est ainsi imposée aux patients. Bien que l’objectif de protection de la santé soit le cap des soignants, cette contrainte exercée est de plus en plus contestée. De nombreuses actions juridiques ont été menées, notamment par des associations de patients, devant les tribunaux et jusqu’au Conseil constitutionnel, forçant le législateur à encadrer plus strictement le recours à ces mesures. Désormais, le juge judiciaire a un droit de regard sur les modalités de soins sans consentement et les mesures d’isolement et de contention que les psychiatres peuvent être amenés à prescrire. C’est une avancée nécessaire pour les respects des droits des personnes hospitalisées.
Le Conseil de l’Europe, dans son rapport de mai 2019, soutient l’idée de « mettre fin à la contrainte en santé mentale [et de la] nécessité d’une approche fondée sur les droits humains ». Ce positionnement semble s’inscrire dans un déni de la maladie mentale. Le Conseil de l’Europe répugne à parler de personnes souffrant de maladie mentale, préférant évoquer des personnes ayant des problèmes de santé mentale ou, mieux encore, de « personnes ayant un handicap psychosocial ». Si l’être humain semble accepter les maladies physiques, les maladies mentales seraient des pathologies honteuses heurtant sa fierté, conduisant à nier la gravité de certaines d’entre elles.
Dans le contexte d’une psychiatrie hospitalière contrainte de longue date par les restrictions budgétaires, la complexité croissante de la réglementation rend la pratique trop compliquée. L’espoir que cette complexité conduirait à une diminution de la contrainte n’a pas plus donné de résultats que la diminution de l’offre médicale n’a conduit à faire reculer les maladies physiques. La maladie mentale résiste au droit comme aux idéologies libertariennes.
Soulager ou culpabiliser l’entourage ?
La promotion de l’autonomie, de l’« empowerment » pour recourir à un terme obscur, conduirait chacun à décider de sa vie. Sans prendre position sur cette idéologie, ce sont ses conséquences possibles qu’il convient d’avoir à l’esprit. Abolir les soins sans consentement pourrait soulager l’entourage qui se sent en conflit relationnel avec son proche en lui imposant une hospitalisation, comme le fait souvent remarquer l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques. Mais cette abolition pourrait tout autant culpabiliser les proches en cas de suicide
La contrainte abolie pourrait conduire à laisser des personnes déprimées se suicider. Ce ne sera pas du suicide assisté, mais de l’assistance passive au suicide. Les personnes présentant des troubles psychiques perturbant gravement l’ordre public pourront être incarcérées ou hospitalisées dans de rares unités sanitaires sécuritaires, souvent éloignées de leur domicile, les unités dites de soins intensifs psychiatriques (USIP). Deux solutions qui ne font pas consensus. Les unités sécuritaires ont d’ailleurs été l’objet de vives critiques par treize associations dans un communiqué intitulé « Les USIP : les symptômes de la dérive d’une psychiatrie sans boussole », dans lequel elles demandaient un moratoire pour toute nouvelle USIP. Le ministère de la santé n’a pas réagi à ce texte, tandis qu’un groupe de travail émanant de la Commission nationale de psychiatrie se penche actuellement sur cette question. Pourtant, de nouveaux projets d’USIP semblent se dessiner, comme celui présenté à SantExpo le mercredi 24 mai.
Il devient difficile d’agir face à la maladie mentale, d’autant plus que les moyens humains d’accompagnement manquent cruellement, là où l’excellence relationnelle s’impose. Pourquoi cette attitude face à la psychiatrie ? Est-ce une méconnaissance de la discipline ? Une peur et un déni de la maladie mentale grave ? Est-ce la force de conviction de mouvements antipsychiatriques ? Est-ce une soumission à un droit européen également ignorant de la psychiatrie ? La loi du 24 janvier 2022 relative à l’irresponsabilité pénale en cas de troubles mentaux a révélé notre malaise sociétal face à la maladie mentale, d’autant plus que la loi était associée à la sécurité intérieure.
La solidarité républicaine envers les personnes malades est en voie de dépérissement. N’avons-nous que le choix entre les laisser mourir, les emprisonner ou abuser de l’isolement et de la contention ? Comment trouver un juste équilibre entre contrainte et liberté du patient pour éviter de tomber dans toutes les formes d’excès ? La psychiatrie est un modèle pour réfléchir à ces questions, mais le contexte politique actuel ne semble guère propice à ces réflexions de fond.
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