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lundi 26 juin 2023

Fin de vie : « Comme observé dans certains pays ayant légalisé l’euthanasie et le suicide assisté, le déclassement de l’offre palliative serait en marche »

Publié le 22 juin 2023

TRIBUNE

Les considérations économiques et financières sont insuffisamment prises en compte dans le débat sur la légalisation d’une aide active à mourir, estiment, dans une tribune au « Monde », Alexis Burnod, Yves-Marie Doublet et Louis Puybasset.

Le débat national sur la fin de vie a laissé peu de place à la réflexion sur les réalités économiques et financières de notre politique de soins. Au nom de la liberté et de l’égalité, les participants à cette réflexion ont succombé aux joutes oratoires sur la conquête de nouveaux droits individuels, plutôt que de penser collectivement notre organisation de santé et son coût.

Les travaux de la convention citoyenne, la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale ou l’avis de la commission du Conseil économique, social et environnemental n’ont jamais mis en perspective la problématique de la fin de vie avec les choix de politique de santé de notre pays. A juste titre, tous ont déploré l’insuffisance de l’offre de soins palliatifs, sans grande originalité. En effet, les insuffisances de la politique de soins palliatifs sont dénoncées régulièrement depuis quinze ans par le Parlement, la Cour des comptes et l’Inspection générale des affaires sociales. Les rapports exploratoires de Jean Leonetti ou de Didier Sicard n’ont pas davantage permis une correction significative de la trajectoire, alors que le droit à l’accès aux soins palliatifs est reconnu par la loi depuis 1999. Mais il est vrai que le législateur a la fâcheuse tendance à considérer sa mission accomplie une fois le droit consacré dans un texte.

Certes, des plans de soins palliatifs se sont succédé, mais l’offre à domicile reste insuffisante et 21 départements n’ont toujours pas d’unités de soins palliatifs. Pendant ce temps, le vieillissement de la population s’accentue, les structures hospitalières sont fragilisées, les déserts médicaux constituent une triste réalité et le discours en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté fait son chemin. Ces deux formes de mort administrée apparaissent comme la seule réponse à l’incapacité de penser le soin ou de développer une culture palliative pourtant nécessaire aux besoins d’une société vieillissante comme à ceux des personnes vulnérables.

On dépense plus mais mal

Selon le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, les dépenses de l’Assurance-maladie s’élevaient à 245 milliards d’euros en 2022. Six milliards d’euros seraient dépensés pendant la période de la fin de vie, dont la moitié dans le dernier mois. Parmi ces dépenses figurent les médicaments et dispositifs dits « onéreux ». Une partie de ces prescriptions relève de l’obstination déraisonnable en raison d’une insuffisance de concertation réfléchie sur la pertinence de leur indication. Les dépenses de ces traitements onéreux « curatifs » ont augmenté de 36,7 % depuis 2015, soit trois fois plus que l’ensemble de la consommation des soins hospitaliers sur la même période. Noyées dans une technicité coûteuse parfois inutile, ces dépenses éclipsent complètement celles, nécessaires, liées au soulagement des symptômes et à la logistique de l’aide à l’autonomie que requiert toute personne fragilisée par la maladie, la vieillesse ou le handicap. On dépense plus mais mal. Dans son rapport de 2022 sur les comptes de la Sécurité sociale, la Cour des comptes constate que « la France est l’un des pays européens dans lequel les dépenses ont le plus progressé et qui a conduit le moins de réformes structurelles ».

La satisfaction de demandes pour accéder « quoi qu’il en coûte » à des traitements onéreux, la garantie d’un financement par la collectivité d’une activité très rentable pour l’industrie, génératrice d’emplois, sont des réalités pesant plus lourd que la culture palliative, qui exige du temps et du personnel. On mesure donc la distorsion prévalant aujourd’hui entre les lois de l’économie de la santé et la norme juridique, qui prohibe l’obstination déraisonnable. Au Royaume-Uni, l’Institut national pour l’excellence en matière de santé et de soins, chargé d’évaluer le rapport coût-efficacité des nouveaux traitements, pourrait, à cet égard, nourrir la réflexion.

Contradictions éthiques et économiques

La régulation de cette course sans fin pourrait non seulement permettre une prise en charge plus adaptée et raisonnable de la personne, mais aussi alimenter un fonds de financement de soins palliatifs. La détermination de cette juste proportion des soins exige pluridisciplinarité et concertation.

Le débat sur la fin de vie n’est pas uniquement un choix de liberté individuelle. C’est aussi le choix collectif d’une société prise dans des contradictions éthiques, souvent rappelées, mais également économiques qu’elle ignore. Si l’euthanasie ou le suicide assisté étaient légalisés sans remettre en cause des intérêts économiques solidement établis, les dépenses de traitements onéreux « curatifs » continueraient très vraisemblablement d’augmenter. L’exercice de la médecine risquerait alors d’être ramené à un choix binaire entre une obstination déraisonnable économiquement dérégulée et la satisfaction de la demande de mort de patients érigée en service public. Entre les intérêts économiques et la loi, il n’y aurait plus de place pour une médecine dont la vocation fondamentale est de penser au quotidien le soin dans sa singularité. Les soignants ne rempliraient plus qu’une fonction de prestataires de services renforçant la maltraitance du système médical. Comme observé dans certains pays ayant légalisé l’euthanasie et le suicide assisté, le déclassement de l’offre palliative serait en marche. Celle-ci serait présentée comme une option de second choix par rapport à la mort administrée, devenue la norme.

La formation au soulagement et à l’accompagnement serait-elle encouragée ? Maintiendrait-on une recherche pour toujours mieux soulager, prendre soin, accompagner ? La sollicitude dispensée aux patients et aux proches serait-elle mieux assurée ? Les situations de mal-mourir, vécues par nombre de proches de patients, reculeraient-elles pour autant ? Rien n’est moins sûr. Pourrons-nous penser le soin, prendre en charge les personnes vulnérables et articuler à long terme les effets d’une nouvelle législation avec l’organisation de nos dépenses de santé ? Là réside le cœur du débat sur la fin de vie, qui doit réunir les citoyens, les soignants, les bénévoles et le législateur.

Alexis Burnod est chef du service de soins palliatifs, Institut Curie, site de Paris ; Yves-Marie Doublet est chargé d’enseignement à l’espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ; Louis Puybasset est chef du département d’anesthésie-réanimation de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Sorbonne-Université.


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