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mercredi 1 mars 2023

Téléréalité et violences conjugales: «Faire la part belle aux masculinités toxiques revient à les valider»

par Lucie Beaugé  publié le 4 mars 2023 

Depuis une semaine, la candidate de téléréalité Hilona Gos accuse son ex-fiancé Julien Bert de violences physiques et verbales, que ce dernier nie. Alors qu’il avait déjà été épinglé dans plusieurs affaires, cette tête d’affiche de W9 a prospéré durant dix ans sur le petit écran.
publié le 4 mars 2023 à 15h55

Dans le petit monde de la téléréalité, les affaires sordides s’enchaînent. Après les histoires d’escroqueriesd’abus de confiance et de violences sexuelles, un candidat emblématique de W9 est accusé de violences conjugales par son ex-compagne. Lui : Julien Bert, dix ans de téléréalité et un rythme effréné de participations (les Marseillais vs le reste du monde, les Cinquante),présenté par ces programmes comme un «serial lover» et globalement apprécié du grand public. Elle : Hilona Gos, première télé en 2017, décrite comme «hystérique» sur les réseaux sociaux (appréciation sexiste mais tristement classique lorsqu’une femme se met en colère) par une partie des téléspectateurs depuis leur participation commune à l’émission Objectif : reste du monde (ORDM) en 2021.

A l’époque, des épisodes sous-entendent que Julien a eu un comportement grave à l’extérieur, mais sans plus de clarté. Et Hilona Gos endosse le mauvais rôle, montrée au montage comme instable et irascible. Dans deux vidéos postées sur YouTube les 26et 27 février, la star de la téléréalité raconte que Julien Bert l’a insultée, menacée et même violentée à plusieurs reprises durant leur relation, qui s’est étendue de 2019 à 2021. Selon Hilona Gos, le stress causé par ces violences l’aurait même conduite à faire une fausse couche.

Depuis ce témoignage, l’image du couple qu’ils formaient à la télé s’est muée en symbole des violences conjugales. Le cador de la téléréalité a nié ces accusations dans une vidéo. Mais la dernière réponse filmée d’Hilona Gos, mise en ligne ce mercredi, dévoile de nombreux enregistrements audios accablants dans lesquels Julien Bert avoue notamment l’avoir étranglée.

«Oui, c’est très grave, mais encore une fois ça les regarde»

Alors que W9 et Banijay productions ont scénarisé les disputes du couple dans ORDM, la question de leur responsabilité quant au choix de mettre fortement en lumière Julien Bert (avec un montage largement en sa faveur) peut se poser. D’autant que plusieurs participants, qui étaient présents lors de cette saison ORDM, affirment avoir été mis au courant des faits de violence.

Bien avant la prise de parole d’Hilona Gos, Kellyn, une autre candidate ayant participé à l’émission ORDM en même temps que le couple, avait déclaré auprès du youtubeur Sam Zirah en juin 2021 : «Je sais pourquoi ils se sont séparés […] mais ça, ça les regarde.» Et la même influenceuse d’ajouter que ceux qui savaient «ne pouvaient pas le dire [face caméra] parce que [Julien et Hilona] ne voulaient pas le dire». Quelques mois plus tard, Mujdat, un candidat présent lors du même tournage, affirmait face au même youtubeur : «Si elle veut éteindre Julien elle l’éteint, et tu en entends plus parler. […] On connaît les raisons mais personne n’en a vraiment parlé et ce n’est pas à moi d’en parler.» «C’est grave ?» interroge Sam Zirah. «Oui, c’est très grave, mais encore une fois ça les regarde», répond son invité.

A la suite des révélations d’Hilona Gos, un autre candidat, Illan Castronovo, s’est également exprimé lundi sur les réseaux sociaux, affirmant qu’il «était au courant depuis longtemps», puisque la candidate se serait confiée à lui lors du tournage d’ORDM. Pour rappel, Illan Castronovo a lui-même été accusé de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement ces derniers mois, faits qu’il nie. Une des femmes qui a déposé plainte pour viol contre Castronovo après une soirée dans une boîte de nuit du Loir-et-Cher en 2018 affirme avoir été réveillée par la lumière d’un téléphone pointé dans sa direction, tenu par un autre candidat de téléréalité : Julien Bert.

«Tant que la machine tourne, ils ne réagissent pas»

Si autant de candidats étaient au courant des accusations de violences conjugales portées par Hilona Gos, est-il possible que la chaîne et la production n’en aient pas eu connaissance ? Contactés par Libération, W9 a décliné notre demande d’interview et Banijay productions n’a, pour l’heure, pas répondu à notre sollicitation. Mais pour Sam Zirah, à la tête de la chaîne YouTube numéro 1 sur l’actualité de la téléréalité, le simple fait de «scénariser une relation toxique, comme cela a été fait pendant des semaines, n’avait pas lieu d’être». Lors du tournage d’ORDM à l’époque, les caméras ont en effet été braquées sur le couple se disputant continuellement. «Rien n’était expliqué, ils proposaient aux téléspectateurs une intrigue bancale. Ils se sont servi du drame de vie d’un couple pour tirer un scénario», analyse le youtubeur. Dans une logique d’audience, Sam Zirah constate que «tant que la machine tourne, ils ne réagissent pas».

Nathalie Nadaud-Albertini, docteure en sociologie de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de la téléréalité estime que la responsabilité des chaînes et des boîtes de production est importante car «faire la part belle aux masculinités toxiques revient à les valider, à envoyer à la société le message que de tels comportements sont acceptables alors qu’ils ne le sont pas».

Dans le cas d’accusations de violences visant des candidats – qu’elles soient morales, physiques ou sexuelles –, le bénéfice du doute peut-il être accordé à la production ? Non, si l’on en croit la réponse de la directrice générale de Banijay productions, Florence Fayard, interrogée par Pure Médias en septembre au sujet d’Illan Castronovo. «S’il y a un doute sur un comportement ou qu’un comportement violent ou déplacé a été avéré, il est de notre devoir de producteur de ne pas mettre des personnes véhiculant ce genre d’image à l’antenne. Beaucoup de jeunes peuvent considérer les candidats comme des modèles», avait-elle déclaré.

«Cela relève de la santé mentale et non plus de la télé»

Bien avant les accusations d’Hilona Gos, Julien Bert avait déjà été mêlé à de nombreuses affaires – outre celle d’Illan Castronovo mentionnée précédemment. Lors du tournage de la saison 6 des Anges de la téléréalité (diffusé sur NRJ 12) en 2014, une vidéo ayant fuité montre Julien Bert frapper à plusieurs reprises avec son sexe le visage d’une autre candidate, Frédérique, alors qu’elle somnolait. Des faits qui pourraient être qualifiés d’agression sexuelle. Dans un autre registre, le trentenaire a également été condamné et placé sous bracelet électronique pour trafic de stupéfiants, après avoir fait appel en 2019.

Pour Lena Ben Ahmed, membre du collectif féministe #NousToutes, la médiatisation d’un couple peut également «profiter» à l’agresseur. «Il y a de nombreux enjeux, liés notamment aux revenus. Si le couple est beau, donne envie, cela favorise l’entrée d’argent, ce qui peut provoquer le silence, souligne la militante. Mais Hilona Gos se rend compte que cela a beaucoup plus d’effets néfastes sur elle de ne pas parler. Aujourd’hui, elle est traumatisée, cela relève de la santé mentale et non plus de la télé.» Dans ses vidéos, la candidate explique également avoir voulu protéger l’image de celui qu’elle accuse de violences. «Dans les relations qui ne sont pas publiques, il y a déjà cette peur de gâcher la vie en portant plainte, en l’envoyant en prison… Cette crainte peut se décupler quand la relation est médiatisée», juge Lena Ben Ahmed.

Depuis trois jours, les messages de soutien à l’influenceuse ne cessent d’affluer sur les réseaux sociaux. Selon Nathalie Nadaud-Albertini, il y a une évolution importante entre les débuts de la téléréalité et aujourd’hui. «Lorsque [la candidate de Loft Story] Loana a raconté les violences dont elle a été l’objet, sa parole n’a pas été entendue, remarque la sociologue. Désormais, les candidates prennent la parole, sans s’excuser de parler, elles osent, dénoncent et sont entendues. […] On se pose la question de la responsabilité des chaînes et des boîtes de prod envers la société sur ces questions, alors qu’avant on posait [uniquement] la question de leur responsabilité en termes de fragilité psychologique des candidats.»


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