Marion Rousset Publié le 02/03/23
Trois associations ont annoncé mercredi attaquer l’État en justice pour “défaut de mise en œuvre de la loi”. Elles entendent faire appliquer la loi de 2001 qui prévoit trois séances annuelles d’éducation à la sexualité pour les élèves. Dans les faits, nombre d’enseignants craignent encore de s’aventurer sur ce terrain miné.
Où sont donc passées les trois séances d’éducation à la sexualité annuelles prévues par la loi? Le ministère de l’Éducation nationale a publié le septembre 2022 une circulaire enjoignant les établissements de respecter cette obligation inscrite en 2001 dans le code de l’éducation. « Les inspecteurs et inspectrices de l’éducation nationale du premier degré, les directeurs et directrices d’école et les chefs d’établissement organiseront le renforcement de l’éducation à la sexualité au bénéfice des élèves », peut-on lire dans un document qui demande que ce thème soit mis à l’ordre du jour des conseils d’école ainsi que des comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement dans les collèges et les lycées d’ici à la fin de l’année 2022. Pap Ndiaye lui-même avait haussé le ton quelques jours plus tôt : « Nous devons parler d’éducation à la sexualité à l’école […] dans le premier comme le second degré », a-t-il ainsi déclaré le 12 septembre sur France Info.
C’est que les faits sont têtus. Plus de vingt ans après l’introduction de cette obligation légale, moins de 15% des élèves bénéficient de trois séances d’éducation à la sexualité pendant l’année scolaire à l’école et au lycée (moins de 20% au collège), selon un rapport de l’Inspection générale de l’Éducation nationale remis à l’époque à Jean-Michel Blanquer, qui n’avait jamais été rendu public. Dévoilé par Mediapart fin septembre, cet état des lieux est corroboré par une enquête du collectif féministe #NousToutes réalisée entre 2021 et 2022 qui constate qu’en moyenne « seulement 13 % du nombre total de séances ont effectivement été réalisées » dans le secondaire. `
Profs de SVT et infirmières trop peu aidés ?
Annexes à la loi, décrets et circulaires s’empilent depuis des années… Et pourtant rien n’y fait. « On a objectivement du mal à faire respecter cette obligation légale, admet Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, notamment parce que l’éducation à la sexualité n’est pas assez portée collectivement par les équipes. » Le fait est que dans les établissements les professeurs de SVT sont en première ligne, souvent bien seuls – avec les infirmières scolaires – à prendre en charge cet enseignement. « Notre discipline s’y prête mais dans les textes c’est ouvert à tout le monde. Sauf que personne ne le sait ! » regrette Arnaud Holzmann, formateur sur les questions d’éducation à la sexualité. « Beaucoup de collègues ont peur car ils ne se sentent pas légitimes. Ils ont en tête une vision très centrée sur la dimension mécanique de l’acte sexuel alors que bien d’autres aspects pourraient être abordés par des professeurs de lettres, d’arts plastiques et même de mathématiques », affirme-t-il.
Encore faut-il lever le flou qui alimente les fantasmes des familles comme les réticences des équipes, lesquelles craignent de s’aventurer sur un terrain miné. « Il ne s’agit pas d’éduquer aux pratiques sexuelles mais, comme l’indique une circulaire de 2018, de transmettre le respect de soi et d’autrui de manière adaptée à l’âge de l’enfant ou de l’adolescent », martèle Édouard Geffray. Une définition qui reste encore bien trop générale, à en croire la sociologue Gabrielle Richard : « Ce qui revient constamment, c’est de savoir si c’est bien le rôle de l’école d’aborder ces questions et si ça ne relèverait pas plutôt de la sphère familiale. C’est au ministre de tenir un discours clair et d’expliquer noir sur blanc en quoi l’éducation à la sexualité a sa place dans le cadre scolaire », assure-t-elle.
Une chose est sûre, cela ne se résume ni à la description de l’acte biologique de reproduction ou des premières manifestations de la puberté, ni à la prévention des grossesses non désirées ou des maladies sexuellement transmissibles. D’autres thématiques comme l’égalité entre les filles et les garçons, la lutte contre les violences sexuelles et le respect du consentement viennent compléter l’éventail. Mais ce n’est pas là que le bât blesse, selon Gabrielle Richard : « On a surtout du mal à avoir une approche positive, relative au désir et au plaisir, à parler de sexualité en fait ! C’est un discours que beaucoup d’adultes trouvent sensible, en particulier quand on y mêle des questions sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Il faut se sentir solide pour avancer sur ces terrains éminemment glissants. »
Jérémy Destenave, professeur de SVT, le reconnaît volontiers : « J’aurais du mal à animer une séance sur l’homophobie, n’ayant pas vécu ce type de discrimination, donc j’aurais plutôt tendance à m’appuyer sur une association. » Mais pour lui, le principal frein est ailleurs. Il tient à l’organisation du temps scolaire rythmé par des programmes difficiles à boucler : « Quand on leur dit que leur classe aura tant d’heures de moins qui seront consacrées à des séances d’éducation à la sexualité, les collègues sont réticents », constate-t-il.
Des démarches pédagogiques à creuser
Quant aux associations, très sollicitées, elles ne parviennent pas toujours à répondre à la demande. Le Cacis (Centre accueil consultation information sexualité), qui intervient à Bordeaux, a ainsi déjà décliné deux propositions de chefs d’établissement cette année. « On ne nous accorde pas les moyens de mener à bien cette mission, a fortiori dans les écoles primaires où les financements publics sont encore plus compliqués à obtenir qu’au collège », déplore la directrice, Mélanie Maunoury.
Reste que dans l’esprit de la loi, l’éducation à la sexualité ne peut être sous-traitée en totalité. « Avant de penser à cofinancer certains projets menés en partenariat avec des associations, faisons d’abord en sorte que les chefs d’établissement s’emparent de cette obligation qui doit correspondre à un projet pédagogique, souligne Édouard Geffray. Les partenaires extérieurs interviennent toujours sous l’autorité et le contrôle d’un professeur dans le cadre d’une démarche arrêtée par l’établissement. » Pour encourager les équipes à se lancer, le ministère a prévu la mise en place d’un module de formation en décembre-janvier ainsi que la création de ressources pédagogiques en ligne, notamment autour de la littérature jeunesse.
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