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vendredi 3 mars 2023

La parole de lecteurs du « Monde » sur la fin de vie : « Votre article m’a libérée de cette colère que je portais en moi »

Par   Publié le 5 mars 2023

L’article de Vanessa Schneider sur la fin de vie de son père, publié à la mi-janvier, a suscité de nombreuses réactions sur l’accompagnement des malades et leurs familles allant très largement dans le même sens que notre journaliste.

La publication dans Le Monde, le 16 janvier, du récit de notre journaliste Vanessa Schneider sur la fin de vie de son père, l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider, mort d’un cancer en juillet 2022, a suscité un écho rare, que ce soit sur le site du Monde, au courrier des lecteurs ou sur nos réseaux sociaux.

Ces réactions vont quasiment toutes dans le même sens, celui de la dénonciation de l’incapacité du corps médical à accompagner les malades et leur famille et de l’absence de formation des médecins dans ce domaine. Voici quelques extraits de réactions de lectrices et lecteurs du Monde.

« Par moments, je me suis sentie seule et lâchée par le corps médical »

Chantal Catzeflis-Benassy, Les Matelles (Hérault) : « (…) Tout ce que vous relatez résonne au fond de moi et me touche particulièrement, tant ce parcours et ses arcanes ressemblent point par point à ce que j’ai traversé tout au long des quatorze mois de maladie de mon mari jusqu’à son décès, à notre domicile, le 25 novembre 2021, à 68 ans. Il était directeur de recherches (biologiste) émérite, venait de prendre sa retraite depuis un an quand la maladie s’est déclarée (cancer du poumon avec métastases cérébrales).

(…) J’estime, dans cette douloureuse épreuve, avoir eu beaucoup de chance, beaucoup de chance d’avoir croisé, rencontré des soignants formidables (pour la plupart), compétents, dévoués, passionnés mais au bout du rouleau. Beaucoup de chance d’avoir bénéficié d’un système médical – gratuit ou presque – performant et à la pointe mais qui souffre de graves dysfonctionnements car à bout de souffle, comme vous le décrivez vous-même.

(…) Et pour conclure, vous dire combien, par moments, je me suis sentie seule et lâchée par le corps médical, impuissant, absent, incapable (parfois) de mettre des mots sur cette fin de vie qui approche. Le manque de formation de certains médecins, oncologues en particulier, à être empathiques, à parler de la mort avec franchise, pudeur et simplicité. Car ils n’ont tout simplement pas de formation. »

« Un comportement inacceptable des soignants »

Philippe Serrier, Paris : « Je viens de lire l’article que vous avez écrit, publié par Le Monde. Il consterne le médecin que je suis. S’il est le reflet parfait de la situation catastrophique de l’hôpital d’aujourd’hui, il met en lumière un comportement inacceptable des soignants. Le refus d’effectuer une visite à domicile de la part d’un généraliste est inacceptable. Cet homme doit changer de métier.

Avant d’être pneumologue, j’ai été généraliste, et je peux dire que je n’ai jamais refusé une demande de visite, le manque de temps n’est pas une excuse ni un prétexte, ni même une explication. Il est le témoin d’un changement à la fois sociétal (« J’ai une vie de famille, elle est essentielle ») et de mentalité (« Je fais mon travail et ce n’est pas un sacerdoce »).

(…) Ce que vous contez est insupportable. A cela, il n’y a qu’une explication : la perte du devoir de médecin. Par ailleurs, à la décharge (relative) des hospitaliers, nous alertons depuis vingt ans les gouvernements successifs du risque de naufrage. Mais, comme celui-ci est en réalité un sabordage au profit du privé, ce qu’aucun gouvernement n’ose afficher, rien n’a été et ne sera fait pour sauver l’institution. »

« Comment est-il acceptable que l’entourage ne soit pas informé ? »

Joëlle Bolloch, Paris : « (…) Un jour, quand je vais chercher le plateau [repas], je m’entends dire qu’il avait été décidé d’arrêter d’alimenter [mon mari]. Aux questions que je pose, il m’est répondu que jamais on ne provoque la mort des patients en les faisant mourir de faim. Je réponds que c’est la première fois que mon mari est en train de mourir et que je ne connais pas bien les pratiques des services de soins palliatifs.

Je demande à voir le médecin, celle qui m’avait accueillie le premier jour, je lui demande la raison qui a poussé à prendre cette décision. Réponse : “Madame nous n’avons pas décidé de cesser de l’alimenter, c’est lui qui n’est pas en mesure de le faire, et d’ailleurs pourquoi tenez-vous à ce qu’il mange ?” Interloquée, je cherche une réponse… et le médecin reprend : “Madame, quand on fait quelque chose, il faut savoir pourquoi on le fait.”

Je bafouille : peut-être pour qu’il ait dans la bouche le goût de quelque chose qu’il aime, et aussi parce que c’est le seul moment de partage qui reste. Elle termine l’entretien en me disant qu’il vit sur ses réserves… et n’a pas de besoins vu qu’il n’a pas d’activité. A ma demande concernant le temps qu’il lui reste à vivre, réponse : ça ne se compte pas en mois.

(…). Sur France Inter, interrogé à propos du débat qui devrait s’ouvrir sur la fin de vie, Olivier Véran [le porte-parole du gouvernement] l’a pourtant bien expliqué : aujourd’hui, les soins palliatifs en toute fin de vie consistent à cesser d’alimenter et d’hydrater le malade, tout en lui administrant des sédatifs. Comment est-il acceptable que l’entourage le plus proche, qui est sur place chaque jour, ne soit informé ni du pourquoi de cette décision de cesser alimentation et hydratation ni du contenu, du dosage, des effets des sédatifs administrés ? »

« Pourquoi le législateur et la société ne regardent-ils pas la fin de vie en face ? »

Laurence Andréo, Castres (Tarn) : « (…) Comment mettre fin à son calvaire autrement ? Comment répondre à la demande clairement exprimée par papa, alors que le cadre légal n’autorise pas la sédation à visée létale en France ? Voilà le dilemme auquel ont été confrontés le corps médical et sa famille. Quelle réponse apporter quand la situation devient insupportable pour le malade et son entourage ? Comment soulager quand aucune solution médicamenteuse ne permet d’atténuer la souffrance morale ?

La loi Léonetti définit les droits des malades en fin de vie qui peuvent faire connaître leurs volontés exprimées à travers des directives anticipées, les médecins ne devant pas pratiquer d’obstination déraisonnable ou d’acharnement thérapeutique. Cette loi est certes une avancée, mais elle ne prend pas en considération les situations critiques auxquelles sont confrontés quotidiennement les médecins et les proches du malade en fin de vie. On laisse les intervenants se débrouiller avec ces questions d’éthique.

(…) Face à l’absence de réponses légitimes du corps médical, j’ai envisagé de répondre à la demande de fin de vie exprimée par mon père. Comment le législateur peut-il continuer à laisser les familles dans un tel désarroi ? Les poussant à envisager et parfois à passer à l’acte en commettant des gestes extrêmes…

Pourquoi le législateur et la société ne regardent-ils pas la fin de vie en face ? Pourquoi ne poussent-ils pas les portes des services hospitaliers où les fins de vie se passent à l’abri des regards ? Jusqu’à quand va-t-on continuer à ne pas entendre la détresse extrême des malades qui souhaitent que leurs souffrances soient abrégées ?

Face à ce tsunami qui s’est abattu sur notre famille, nous avons trouvé une écoute auprès du personnel du service de soins palliatifs de l’hôpital. Il est important pour moi de parler de ces professionnels de santé qui, au-delà des techniques médicales, mettent de l’humanité dans la prise en charge du malade et de ses proches. Nous avons toujours eu conscience, avec ma sœur, que dans ce flot de malheurs nous avions eu la “chance” que papa soit admis dans ce service où l’écoute, la considération et la bienveillance ne sont pas de vains mots.

Tout simplement merci à toute l’équipe qui nous a soutenues pour nous éviter de sombrer dans ces moments particulièrement éprouvants. Ils ont été à nos côtés pour accompagner papa dans sa fin de vie. »

« Heureusement, la déshumanisation n’a pas encore totalement atteint la lointaine province »

Chantal Guillaud-Abramson, Perpignan : « (…) Mon émotion est liée au fait que je vis ce qu’elle a vécu, mon mari étant atteint du même type de cancer que celui de son père. Je pourrais ajouter qu’il a connu lui aussi diverses longues hospitalisations, dont une à Gustave-Roussy où, gentiment, on nous a dit de rentrer chez nous car il n’y avait plus rien à faire. Chez nous, c’est Perpignan ! Nous sommes passés par Montpellier, où nous avons entendu le même son de cloche, avec moins de froideur tout de même.

Ici, tout a été fait depuis six mois pour que tout se passe le mieux possible : prise en charge par les soins palliatifs dans le cadre de la HAD (hospitalisation à domicile), hospitalisation de quatre semaines avec diverses tentatives pour contenir l’ictère. Retour à la maison avec la bienveillance et les soins de la structure HAD. Le tunnel est long et j’en connais la sortie.

Je voulais simplement dire merci à Vanessa Schneider pour son article très complet et surtout lui dire que, heureusement et jusqu’à présent, la déshumanisation de l’hôpital de la capitale n’a pas encore totalement atteint la lointaine province – et j’espère, la proche province. Je crains cependant que nous ne perdions rien pour attendre ! »

« Le métier de médecin nécessite un minimum d’empathie »

François Anglade, Valence : « Je suis un vieux médecin généraliste de 78 ans et je ne parviens pas à m’expliquer comment on a pu arriver à vivre le parcours de soins que vous décrivez avec une modération d’expression qui rend votre description encore plus forte.

Comment peut-on expliquer le comportement du médecin traitant, l’attitude des différents intervenants pendant ce long calvaire ? Je trouve que le discours ambiant évoquant la “misère” du système de santé actuel a bon dos, et que ce métier nécessite un minimum d’empathie. »

« Votre article m’a libérée de cette colère que je portais en moi »

Annie Bessagnet, Deuil-la-Barre (Val-d’Oise) : « (…) Mon mari est décédé en mars 2022 d’un cancer généralisé. J’aurais aimé que personne ne rencontre les mêmes difficultés que celles qu’il a connues et que nous avons connues, mes enfants et moi. Votre article atteste du contraire, et j’en suis sincèrement désolée.

Je relève des similitudes flagrantes entre la fin de vie de votre père et celle de mon mari : mise en place efficace des protocoles médicaux mais communication très froide, voire très maladroite, des diagnostics ou bilans, manque de temps et d’empathie des médecins, difficultés pour la prise en charge du malade dans la phase terminale de sa maladie (traitement de l’urgence, impression de devoir se débrouiller seul contre le milieu médical pour trouver une solution, conflit avec les médecins pour maintenir le malade en soins palliatifs), attitude inadmissible du médecin traitant qui n’est d’aucune aide pendant la maladie mais qui n’oublie pas de facturer une consultation pour remplir un formulaire administratif…

Votre article m’a certes fait revivre ces moments douloureux où nous avons dû mener cette bagarre contre le système de santé, au lieu de consacrer notre temps et notre énergie à mon mari. Mais il m’a surtout apaisée, libérée de cette colère que je portais en moi. Je m’étais promis d’écrire aux médecins concernés afin de leur faire part de ma révolte devant tous ces dysfonctionnements, dont ils sont également les victimes. Votre article, qui résume en tout point notre parcours du combattant, l’a fait pour moi, en quelque sorte. (…) »


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