par Luc Le Vaillant publié le 28 février 2023
«Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent», chantait Stephan Eicher à la lointaine époque où l’actualité ne se débitait pas encore en breaking news et en pugilats servis sur un plateau. Rien ne s’est amélioré, au contraire. Et il est de moins en moins possible de déjeuner en paix.
Les informations morbides recouvrent la quotidienneté de chacun d’une maille de fer comme on en voit parfois aux façades des bâtiments, armure et masque à la fois. Les alertes, notifications et autres «pushs» sont des aiguilles rougies enfoncées sous les ongles de l’indifférence et de la désinvolture. Ce sont aussi des électrochocs qui lobotomisent le sens des proportions et la tentative de déconnexion, la hiérarchie des priorités et la capacité à ne pas jouer les affligés moutonniers. Résultat, devant son granola et ses graines de chia, chacun se sent comme un combattant de MMA et se fait tataner dans sa cage de Faraday par du drame et du pathos, de la désolation et de l’indignation, de la distraction et de la divagation.
Fausses perspectives et vraies régressions
Les esprits les plus déliés et les cœurs les plus tendres, les cyniques les plus faisandés et les âmes les plus sautillantes se découvrent gladiateurs empêtrés dans un filet sanguinolent de confusion. Ils s’y retrouvent nassés comme des black blocs en fin de manif en compagnie de Zelensky, le clown héroïque, et de Poutine, le tyran antique, avec Erdogan, le sultan enfin menacé, et le bébé à l’œil vif rescapé des décombres du tremblement de terre en Turquie, avec les agriculteurs bios qui s’étaient vus trop beaux, avec l’inflation qui chiffre haut et l’essence qui ne passera pas les deux euros, coincés entre Madonna qui se lifte comme ça lui chante, Rihannaqui a la maternité glorieuse et Palmade en garde à vue perpétuelle.
Cet afflux de savoirs multiples et cette prolifération de scrupules pour le lointain, cette connaissance des causes premières et des fins dernières étaient censés faire du consommateur de JT un citoyen lucide et lumineux, un démocrate dégourdi et débonnaire, un Descartes mâtiné de Kant. Or, il se pourrait que la circulation accélérée des annonces des malheurs d’ici et d’ailleurs embarque aussi dans ses soutes des passagers de moins en moins clandestins : fausses perspectives et vraies régressions, délires collectifs et surévaluations d’opinions minoritaires. Chaque tentative de juste mesure des choses comme chaque essai de vérification des tenants et aboutissants est aussitôt dénoncée comme un regard en surplomb et un argument d’autorité. Ce qu’ils sont parfois, avouons-le, tant les faits peuvent être biaisés par des erreurs de parallaxe et tant les vérités tiennent souvent à la position et à la posture de qui les formule.
La réalité sent le roussi
Au lieu d’un discernement clair et net, la société de l’accès génère de la tétanie et de l’angoisse, de l’engorgement et de l’écœurement, comme si le moindre aileron de requin découpé aux antipodes devait obligatoirement affecter les connectés à perpétuité. Ce feu de l’enfer qui chauffe les fesses de l’univers et fait de tous les étranges étrangers des cousins de misère, braque aussi les proches qui se découvrent voisins de débinage, commères aigries ou concierges ordurières et moralisantes. Au point que je comprends mal comment ce poids pesant sur les épaules de monsieur Tout-le-Monde n’a pas encore rendu la vie immonde et fait du suicide généralisé un minimum vital, sinon un prérequis.
Si la notion d’objectivité est à rejeter, il faut avoir l’honnêteté d’admettre que les nouvelles n’ont jamais eu autant de raisons d’être mauvaises. La réalité sent le roussi et le réel est en soins palliatifs. L’espoir en des jours meilleurs est gangrené par la surchauffe de la chaudière et par la panique nucléaire. Pourtant les Français continuent d’aller leur bonhomme de chemin, sans exagérément se scandaliser des désastres annoncés. Entendre crier au loup de plus en plus fort les mithridatise peut-être. Ou alors, à la manière de Talleyrand, après s’être trop regardé le nombril et inquiété pour des broutilles, se rassurent-ils indûment en se comparant aux Ukrainiens, aux Iraniennes ou aux Afghanes. Il est aussi envisageable que le déversoir permanent de catastrophes ait noyé leur vigilance sous des gargouillis d’écume et qu’ils aient choisi l’attention flottante du psychanalyste fatigué, si ce n’est le déni du patient réfractaire. Devant cette embolie de traumas exhumés et cette litanie d’oracles avariés, ils semblent préférer vivre au présent, oubliant le passé et annulant le futur. Si ça continue, je ne serais pas surpris de les voir coiffer un canotier vieux d’un siècle et entonner à la manière de Maurice Chevalier : «Dans la vie faut pas s’en faire /Moi je ne m’en fais pas /Toutes ces petites misères / seront passagères /Tout ça s’arrangera»
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