Par Laure Belot Publié le 4 mars 2023
L’association Dessine-moi la high-tech, que le psychiatre breton a cofondée, propose des ateliers ludiques aux jeunes malades et permet de faire collaborer des datascientists volontaires aux travaux des chercheurs.
Assis en tailleur, jean, basket et chemise blanche décontractée, le psychiatre Gaël Fournis reconstruit une tour de 20 centimètres en Kapla. Et pour cause. Encouragé par son papa, Flavio, 5 ans et demi, vient encore de la détruire d’une balle télécommandée roulant comme un bolide. Un peu en retrait sur une chaise, Axelle, 12 ans et demi, manie tout en subtilité un robot multicolore, et ce malgré son bras passant sous son sweat-shirt pour cause de perfusion. A l’autre bout de la pièce, allongée sur son lit déplacé depuis sa chambre, Namizata, 10 ans, en a fini de son immersion aquatique avec son casque de réalité virtuelle. Smartphone en main, elle pilote fougueusement un drone attaché à un ballon vert gonflé à l’hélium. Son exploration est si hardie que le dirigeable de poche s’échappe de la pièce pour flotter allègrement dans le couloir, au grand plaisir de la fillette, tout sourire.
Ce mardi 14 février après-midi, veille de la Journée internationale du cancer de l’enfant, la salle d’animation du 9e étage de l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif, offre une parenthèse de légèreté à une dizaine d’enfants sous traitement et à leurs parents. Un moment de découverte d’objets numériques que l’association Dessine-moi la high-tech, cofondée en 2019 par Gaël Fournis, propose désormais dans une dizaine de CHU et centres de soins en France, de Brest à Nice, en passant par Paris, Tours ou Marseille. A chaque fois, une petite équipe de bénévoles anime ces ateliers dans des services d’oncologie pédiatrique.
Comment ce psychiatre breton de 36 ans, féru de criminologie et expert auprès de la cour d’appel de Rennes, s’est-il retrouvé dans cette aventure ? Tout a commencé au printemps 2018, se souvient celui qui était alors psychiatre hospitalier à plein temps à Rennes. Le papa d’un jeune enfant atteint d’un cancer, Grégory Nimod, le contacte. Cet ingénieur veut rassembler des compétences multiples dans une association d’aide autour des cancers pédiatriques. Une année de cogitation plus tard, Dessine-moi la high-tech naît avec deux finalités : apporter aux patients des moments d’évasion technologique, « pour notamment défocaliser et estomper douleur et stress », précise Gaël Fournis, et aider la recherche en oncologie pédiatrique grâce à l’intelligence artificielle (IA).
Des conclusions surprenantes
Le premier objectif, l’animation high-tech, se teste dès 2019 avec succès dans le service d’oncohématologie pédiatrique du CHU de Rennes. L’avènement surprise du confinement, qui bouleverse la façon de communiquer, aide paradoxalement l’association à concrétiser sa deuxième finalité, plus insolite. Sans complexe et se présentant en binôme, Gaël le psychiatre et Grégory l’ingénieur frappent numériquement et à distance aux portes des plus grands centres de cancérologie pédiatrique (Instituts Curie et Gustave-Roussy, Ihope à Lyon) afin de proposer des services bénévoles en intelligence artificielle. Leur force, annoncent-ils par mail, une kyrielle de datascientists talentueux. « Au départ, des amis ou amis d’amis, travaillant dans de grandes entreprises », précise Grégory Nimod, lui-même ingénieur chez Orange. Dans cette période où les compétences en IA et en analyse de données complexes sont largement recrutées par des acteurs économiques privés, l’argument fait mouche et les portes des centres de recherche s’ouvrent. De façon inédite, ces personnes se rencontrent en visioconférences par Zoom pour évoquer d’éventuels projets.
Deux ans plus tard, le bilan est pour le moins encourageant. Intrigué, le pédiatre Samuel Abbou, du département d’oncologie pédiatrique de l’Institut Gustave-Roussy, reconnaît avoir au départ « joué un peu coquin » avec les bénévoles de l’association. « Nous leur avons donné un grand jeu de données d’ADN circulant [fraction d’ADN libre qui se retrouve dans le sang et peut-être ou non issue de tumeur], pas toutes décryptées, en leur demandant : “Arrivez-vous à les classer sans savoir ce qu’il adviendra de ces patients ?” Nous voulions qu’ils aient une approche différente d’un bio-informaticien maison. » Leurs conclusions vont surprendre. « Avec peu d’informations, ils ont trouvé une autre méthode d’analyse [utilisant l’IA] qui reproduit notre résultat, reconnaît le pédiatre. Cela nous a confortés car en sciences, on aime bien montrer la même chose de plusieurs façons. »
« L’analyse d’images par IA pour détecter les rayons vides des supermarchés s’est avérée une approche utile pour étudier la dynamique de prolifération de cellules » – Marie Castets, de l’Ihope à Lyon
Cette recherche, qui repose sur un modèle prédictif estimant le risque de récidive de l’ostéosarcome – tumeur maligne de l’os –, s’apprête à être publiée par l’Institut Gustave-Roussy dans une revue scientifique. Mais l’approche machine learning (apprentissage automatique) proposée par les bénévoles pourrait servir à de futurs travaux. « Cela pourrait nous amener de manière très pragmatique à une seconde publication utilisant un modèle de machine learning, explique Samuel Abbou. Nous arrivons à des résultats similaires que l’on peut même affiner. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est une piste. » Le pédiatre estime que cette collaboration est à poursuivre. « Les personnes n’appartenant pas au monde académique ont un pas de côté intéressant et apportent une certaine candeur. »
Constat similaire de Marie Castets, de l’Inserm, au Centre de recherche en cancérologie de Lyon (Ihope). La scientifique, qui anime React-4kids, un réseau collaboratif de 400 chercheurs en oncologique pédiatrique, fait « travailler » les datascientists de Dessine-moi la high-tech sur cette plate-forme numérique. « Les approches très “entreprise” des bénévoles peuvent trouver une transposition dans des outils dont on a besoin. L’analyse d’images par IA pour détecter les rayons vides des supermarchés s’est avérée une approche utile pour étudier la dynamique de prolifération de cellules dans une plaque de culture », s’étonne-t-elle encore. Les échanges se font « sans se déplacer, comme un ping-pong entre datascientists et bio-informaticiens du réseau ». Prochain travail prévu : chercher des signatures de résistance à un traitement. « Nous avons collecté les données de 140 tumeurs, mais la cohorte n’est pas encore suffisante. »
« Le statut associatif de cette collaboration change tout, poursuit la chercheuse. C’est finalement de l’intelligence collective à destination de la recherche », alors que l’on compte chaque année en France 2 200 nouveaux cas de cancers pédiatriques et 500 décès. Marie Castets ne connaît Gaël Fournis « que par visio », mais confirme l’importance de ce« référent médical » pour établir la confiance dans ce dispositif insolite qui relie plusieurs mondes. Même sentiment pour le chercheur Julien Vibert. Celui-ci reconnaît n’avoir transféré le mail de Dessine-moi la high-tech à ses supérieurs de l’Institut Curie « uniquement parce que la démarche était bénévole et qu’un psychiatre signait le message ». Ce contact a débouché sur une collaboration « fructueuse qui a confirmé, d’une autre manière, un de nos algorithmes de recherche maison », se souvient-il.
Une aventure multidisciplinaire
Investi avec passion dans cette activité chronophage, le psychiatre, père de quatre enfants, a dû se mettre en retrait de son poste à temps plein et assure désormais des remplacements hospitaliers. Bénédicte Gohier, professeure de psychiatrie au CHU d’Angers, qui a jadis promu Gaël Fournis chef de clinique, n’est pas surprise de cette aventure multidisciplinaire prise hors des sentiers battus. « Gaël, ouvert sur le numérique, est curieux et entreprenant. C’est un optimiste qui trouve toujours des solutions très concrètes aux problèmes. »
Avec ses 150 bénévoles et ses moyens artisanaux, l’association répond à un besoin de l’époque, selon Gaël Fournis. « A notre petite échelle, nous faisons tomber les barrières entre mondes hospitalier, de la recherche et de l’entreprise. Nous proposons une sorte de mécénat de compétence en intelligence artificielle, ce qui est assez unique, estime-t-il. Les datascientists bénévoles se réunissent à distance avec des chercheurs sur leur temps de loisir. Ils ont l’impression d’apporter un sens nouveau à leur savoir. »
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